Ahmed Taleb El Ibrahimi, visiblement déçu, prépare une réponse pour ce vendredi. Les deux grosses pointures politiques de ce pays, sans lesquelles l'actuelle présidentielle n'a que très peu de sens, ont réagi hier à la sortie du chef d'état-major de l'ANP. Mouloud Hamrouche, qui a été le premier à afficher la couleur en soutenant, à l'appui de son retrait de la course, que l'armée a été soit neutralisée, soit est revenue sur sa décision de neutralité, a ainsi réagi à la sortie du général Mohamed Lamari. En termes circonspects et parfaitement mesurés, notre interlocuteur commence par relever qu'«à l'évidence, il y a, dans les propos du chef d'état-major de l'ANP, des arguments certains en direction des fonctionnaires et des juges pour se libérer des allégeances». La sortie, cependant, semble intervenir bien trop tard, puisque la machine est bien lancée et que les déséquilibres dans les rapports de force constatés sur le terrain, avaient poussé Hamrouche à ne pas se présenter, d'autres candidats à ne pas franchir le seuil des 75 000 signatures et, enfin, Taleb à être éliminé de la manière la plus discutable et scandaleuse qui soit. Au sujet du timing, Mouloud Hamrouche ajoute pour dire: «Je ne sais pas encore s'il est encore temps. Mais c'est un bon investissement démocratique pour l'avenir.» Ainsi, cet ancien chef de gouvernement, à qui le pays doit la plupart de ses avancées démocratiques, semble-t-il déjà projeté bien au-delà du 8 avril, et résolument tourné vers la prochaine présidentielle que son jeune âge lui permet d'appréhender avec assurance sur la base de cette évolution, malgré tout, positive. Le ton est tout autre du côté du mouvement Wafa. Alors que le Docteur Ahmed Taleb Ibrahimi promet un communiqué de la plus haute importance pour ce vendredi, le ton en est déjà donné dans les déclarations que nous avons pu récolter auprès de son porte-parole et directeur de campagne, Mohamed Saïd. A ses yeux, en effet, «la sortie du chef d'état-major, au regard de son timing, qui intervient beaucoup trop tardivement, trahit le mépris de ce dernier en direction de la classe politique». Aussi positif et conforme aux aspirations du groupe des dix, le timing en fait, est un véritable non-événement: «La sortie du général Mohamed Lamari intervient après que les jeux aient été faits au profit du président-candidat.» Il semble, aux yeux des observateurs, que tout a été fait pour que les dépassements aient lieu et se poursuivent afin que le plus redoutable adversaire de Bouteflika, Taleb, soit éliminé, avant de siffler la fin de la «récréation» avec une bipolarité factice sans réels enjeux politiques ou stratégiques. Il ne fait aucun doute, en effet, que cette sortie, qui rejoint les grandes lignes du tout premier manifeste du groupe des dix, en est une sorte de réponse, mais à deux mois d'intervalle, et à une poignée de jours du scrutin, avec des «adversaires» triés sur le volet pour faire face au candidat-président. Idem pour le mémorandum relatif à la violation de la Constitution par Bouteflika et que le chef d'état-major avait en quelque sorte demandé en indiquant attendre des preuves de la part de la classe politique. Globalement parlant, c'est tout le groupe des dix, à une ou deux exceptions près, qui met en avant sa déception à cause du retard pris dans une pareille riposte qui aurait été «idéale» si elle était intervenue avant que ne commence la campagne de collecte des signatures. En attendant que le groupe se penche sur cette question lors de sa prochaine réunion, la rencontre qui s'est tenue mardi au siège du FLN s'est penchée sur le fait que le jeu politique soit verrouillé d'avance en ce sens que des candidatures douteuses aient été retenues alors que d'autres, parfaitement légales et légitimes, aient été supprimées. Ainsi, est-il mis en avant une «aggravation» dans les atteintes à la Constitution de la part du président-candidat depuis la confection et l'envoi du mémorandum relatif à ce sujet à l'ensemble des institutions du pays. «En s'érigeant en censeur politique, le Conseil constitutionnel s'est disqualifié. L'invalidation de certains candidats pour des raisons politiques et dans des circonstances opaques, et la caution apportée aux conditions illégales dans lesquelles ont été collectées les signatures au profit du président-candidat, révèlent l'incapacité de cette institution à veiller sur la régularité des opérations de vote.» Le groupe, qui enchaîne sur l'affaire du FLN, sans trop insister sur la disqualification scandaleuse de Taleb, ajoute que «la décision du Conseil d'Etat par laquelle il s'est déjugé dans l'affaire du parti FLN, constitue une preuve supplémentaire qui jette le discrédit sur l'institution judiciaire». L'Algérie qui vit au rythme d'une violence quotidienne, se trouve au bord de graves dérives au lendemain du 8 Mars, comme l'avait prévu Taleb dans une récente déclaration. A ce sujet, le groupe souligne dans son communiqué que «jamais le pays n'a vécu une situation où se conjuguent dévalorisation des institutions et recours généralisé aux émeutes comme unique moyen de revendication face à un pouvoir rongé par le despotisme et la corruption». La crainte des lendemains incertains est mise en avant de manière criante par le groupe, en conclusion de sa déclaration: «Cette situation fait peser de graves menaces sur la cohésion nationale et la stabilité du pays.»