Des université qui doivent obéir à des cahiers des charges «Aucune race ne peut prospérer si elle n'apprend qu'il y a autant de dignité à cultiver son champ qu'à composer un poème.» George Washington, premier président des Etats-Unis d'Amérique (1789-1797) Une information pratiquement reprise en boucle: l'Algérie autorise l'ouverture des universités privées. Doit- on nous en réjouir ou en être inquiet? Les deux! C'est une bonne chose si on sait où on va. C'est une très mauvaise chose s'il s'agit de sacrifier les dernières défenses immunitaires du pays en terme d'indépendance et de refus d'assujettissement au néolibéralisme et à la mondialisation rampante pour qui le système éducatif est un marché de 1000 milliards de dollars qu'il faut se partager. Devant ce silence assourdissant, notamment de ceux qui se piquent d'être des défenseurs de l'orthodoxie «sociale», je me suis senti comme un devoir en tant qu'enseignant, depuis de longues années, de donner mon avis en évaluant sans partie pris les tenants et les aboutissants de ce scoop... On dit aussi que les universités algériennes pourront désormais entreprendre des activités économiques ou commerciales. Ce n'est pas un scoop, c'est tout au plus une régularisation d'une situation existante. L'avènement d'universités privées non encadrées dans le cadre d'un cahier des charges strict en termes de droits (financement complémentaire de l'Etat) et de devoirs, serait, à première vue, un danger et un constat d'échec que d'accepter la doxa néolibéraliste sous la contrainte. C'est un constat aussi d'échec que d'admettre qu'il y a des universités à deux vitesses où les modes de fonctionnement des deux entités sont totalement différents. D'un côté ceux qui ont les moyens - acquis plus ou moins honorablement - et qui auront droit aux meilleurs enseignements, aux meilleurs professeurs et aux meilleures formations initiales dans le primaire et le secondaire, de l'autre, les tout-venant ceux laissés-pour-compte. Comment aller vers une rénovation de notre système éducatif pour le mettre en phase avec la réalité du monde et faire appel, dans un cadre organisé à toutes les compétences tout en se prémunissant contre les dérives et les marchands d'alphabet? Etat des lieux du système éducatif post-indépendance Sans revenir sur le besoin irrépressible des Algériens sevrés durant l'ère coloniale- à peine 10 ̈% d'une classe d'âge allait en classe- la massification, le manque d'enseignants algériens qualifiés, a fait que nous avons sous-traité l'imaginaire des enfants à près de 26 nations qui, chacune à sa façon, a contribué à formater les cerveaux des enfants avec le résultat que l'on sait aussi d'une arabisation bâclée qui nous a amené à la formation «d'analphabètes bilingues». Nos étudiants ne savent pas écrire une phrase correctement. Plus de 8 millions d'élèves dans les trois paliers avec, depuis quelques années, un tassement dans les inscriptions en première année du primaire. 1500 lycées, 4000 C.E.M. 20.000 écoles. Le budget de l'éducation en 2013 était de 629 milliards de dinars soit une moyenne de 70.000 DA par élève (700 euros) En France, l'Etat consacre 55 milliards d'euros pour l'éducation. Soit 7 140 euros par an (de 5000 euros en maternelle à 8500 euros au lycée). (1) Ce chiffre est dix fois plus important qu'en Algérie! Le budget de l'éducation représente en Algérie un mois de recettes pétrolières du pays (70 milliards de $). Ce budget est composé à 90% de masse salariale, l'aspect pédagogique est insuffisant Au-delà du feuilleton de la triche au Bac, nous pouvons dire que nous avons atteint un seuil dangereux Par ailleurs, nous avons vu que l'expérience des écoles privées - qui reste à évaluer- a donné en première analyse lieu à une école à deux vitesses, bien qu'un phénomène nouveau apparait, celui d'une démonétisation de l'Ecole qui ne fait plus rêver, à telle enseigne que les parents ballotés par les errements de la société, et le laissez-faire de l'Etat, investissent pour certains dans les clubs de foot pour l'avenir de leurs enfants, car le signal des gouvernants- devant le laisser-faire d'une dérive du football- est qu'il vaut mieux faire travailler ses pieds que ses neurones. Le monde actuel et son évolution Il nous faut d'abord décrire l'environnement international qui n'a jamais été aussi ensauvagé par un Occident sûr de lui et dominateur, notamment après la disparition de l'Union soviétique. L'Islam, le Satan de rechange, la pénurie d'énergie, les changements climatiques, la géopolitique de la rapine sous les dehors des droits de l'homme est en fait, une nouvelle forme d'ingérence. Dans cet environnement de plus en plus critique, il est utopique de croire que l'Algérie fera exception. Nous sommes un petit pays disposant d'un grand territoire, le plus grand d'Afrique disposant aussi de ressources énergétiques aux portes de l'Europe. En clair, nous remplissons les conditions pour une «sollicitude» de grands de ce monde pour être «redressés» Quelques expériences d'universités privées Comment alors résister à la normalisation? Le secret, l'éducation. On sait que la prépondérance d'un «empire», dans le contexte contemporain, ne se mesurant plus aux seuls atouts militaires et diplomatiques, l'Amérique s'est assurée aussi de la domination scientifique. Elle aspire chaque année des dizaines de milliers de cerveaux du reste du monde qui viennent dans ses universités, ses laboratoires ou ses entreprises. Cela lui a permis, ces dix dernières années, de rafler 19 prix Nobel (sur 26) en physique, 17 (sur 24) en médecine et 13 (sur 22) en chimie En 2005, il existait 4182 établissements d'enseignement supérieur, 81% d'une classe d'âge fait des études, ce qui représente le plus fort taux de scolarité dans le supérieur dans le monde. Chaque Etat a en principe plusieurs universités privées (à but non lucratif) ainsi que deux systèmes universitaires publics: un système plus prestigieux dit «université de» (par exemple University of Arizona) dont le siège est souvent très sélectif, et un système parallèle et moins prestigieux, «université d'Etat de». En 2000, 77% des étudiants américains étaient inscrits dans une université publique.Depuis les années 1990-2000, un système privé à but lucratif (for-profit school). Les universités sont autonomes.Il existe des frais d'inscription à l'entrée dans l'université. Ceux-ci varient en fonction de l'Etat (pour les universités publiques) ou le prestige de l'établissement (pour les universités privées). Le budget et les ressources financières varient grandement d'une université à l'autre. L'endowment est la dotation de l'université: il s'agit d'un capital placé en Bourse sous forme d'actions et d'obligations et dont seuls les intérêts sont dépensés chaque année. Le montant total de la dotation d'Harvard est de 25,9 milliards de dollars et 560 millions de dollars d'intérêt pour l'année 2005. Les dons proviennent de riches particuliers, mais aussi des anciens élèves, des parents... les salaires des enseignants ne sont pas les mêmes d'une université à l'autre. Ils sont recrutés et remerciés par le Conseil d'administration.» (2) Un autre pays: le Royaume-Uni. «Il est souvent considéré, en France et ailleurs, comme un modèle du point de vue des établissements d'enseignement supérieur. Malgré leur diversité, les établissements d'enseignement supérieur partagent un certain nombre de caractéristiques communes: l'indépendance légale; le statut de fondation (ou charitable status): ce statut impose aux établissements un certain nombre de restrictions pour leur gestion financière (interdiction de réaliser des profits...), mais leur confère aussi certains avantages fiscaux (...) Autonomie et gouvernance sont bien des éléments fondamentaux du succès des universités britanniques car elles permettent d'entretenir et de développer l'excellence de l'institution.(3) La refondation graduelle du système éducatif dans son ensemble L'échec ou la réussite d'un pays est indexé sur la performance du système éducatif. Il nous faut améliorer les méthodes d'éducation et les contenus en partant du principe que la finalité est de former un futur citoyen avec des savoirs utiles. Il devrait y avoir une continuité entre l'école, l'université, avec notamment la réhabilitation fondamentale des disciplines scientifiques. Nous devons former les combattants d'un nouveau jihad à la fois contre l'ignorance et pour l'obligation de donner une chance d'exister scientifiquement à l'Algérie dans un monde de la guerre de tous contre tous. La formation professionnelle, qui devra jouer un rôle important dans le développement du pays, devrait s'astreindre à des formations dont le pays a cruellement besoin. Il est utopique et inutile pour le pays de former des milliers de médecins, d'ingénieurs s'ils sont pléthoriques, mal formés. Par contre, il y a un cruel besoin de maçons, de ferronniers, de plombiers, tout une panoplie de métiers qui avaient leurs lettres de noblesse. Notre système éducatif devra, pour survivre, être de plus en plus flexible et performant. La formation de l 'élite est pour le pays une question de survie. Des moyens appropriées et une vision claire doivent permettre aux grandes écoles d 'être à l 'avant-garde de la science. L'apport de nos nationaux expatriés n'est pas là, pour se substituer à celui des nationaux restés à demeure. En matière d'éducation nationale aucune recette miracle n'existe et nul de par le monde n'a encore réussi à faire en sorte que l'égalité des chances puisse être respectée en permettant à tous d'acquérir les savoirs fondamentaux indispensables. Aucun pays n'est semblable à un autre, il ne pourrait donc pas y avoir de remède global. La préparation des jeunes au monde exigeant du XXIe siècle requiert une école davantage centrée sur les apprentissages fondamentaux et sur le développement intellectuel des élèves, une école stimulante qui inculque le goût et la capacité d'apprendre, une école qui initie et introduit au monde de la culture, une école qui prépare aux rôles sociaux de la vie adulte, une école qui rend capable de juger et d'agir de façon responsable, une école qui élève et fait réussir dans la vie. Il est nécessaire de repenser les structures. Il est connu que les trois paliers de l'éducation et de l'enseignement englobent l'école primaire de base pour apprendre, le tryptique: lire, écrire et compter, un enseignement secondaire constituant une charnière préparant soit aux études supérieures, soit à l'entrée dans le monde du travail, quand il est disponible... L'Université du XXIe siècle: cap sur l'économie du savoir Plus de 1.200.000 d'étudiants pour un budget en 2013 de 265 milliards de DA pour fréquenter l'Université persuadés que leurs efforts déboucheront sur un métier. Soit une dotation de 200.000 DA par étudiant contre 11.000 euros en Allemagne et 20.000 euros aux Etats-Unis. Soit un rapport de 1 à 5 avec l'Europe et 1 à 10 avec les Etats-Unis (4) En Algérie, sur les 100.000 diplômés chaque année, en moyenne à peine 10% arrivent à trouver un emploi public ou privé. Très peu rejoignent l'université et préparent des magisters et ne trouvent pas de postes d'enseignants à leur sortie.... Par ailleurs, les universités ne connaissent pas les nouveaux besoins des entreprises. Pourquoi l'université a une faible productivité qualitative? Est-ce totalement du fait des mauvais choix? Pourquoi l'université n'était-elle pas en phase avec la réalité du pays ou encore mieux avec la réalité du monde? Les raisons sont multiples. Tout d'abord, il faut savoir que plus de la moitié du budget de l'enseignement supérieur est dévolu à l'intendance ce que l'on appelle trivialement hôtellerie, transport et restauration. En clair, la moitié du temps de la tutelle est dévolue à des tâches que ne sont pas de ces missions fondamentales. Si en plus on y ajoute les temps alloués à la construction des locaux pédagogiques (amphis, salle de TD, labo), l'acte pédagogique ne se mesure pas en nombre d'amphis. Il est nécessaire de revenir aux missions propres. Les principes devant régir l'université: un maître mot, l'autonomie De ce fait, il est nécessaire là aussi que des états généraux définissant les métiers de l'avenir, les méthodes d'enseignement telles que le LMD seront réévaluées pour leur apport réel. De plus, les formations technologiques, colonnes vertébrales de tout développement industriel, devront être réintroduites Une université créatrice de richesse, notamment par la création de start-up, doit pouvoir aussi avoir les moyens d'une vraie recherche avec notamment de grands axes (recherche agronomique, développement durable, énergies, eau, environnement). Comment doit faire notre université pour s'adapter? Est-ce que la solution est le privé? C'est une évidence: le monde qui nous entoure change, et très vite, de plus en plus vite, grâce à la diffusion de nouveaux moyens de communication et d'information. La flexibilité est devenue le terme le plus fréquemment utilisé. Le bouleversement des savoirs, la façon de les apprendre, la mutation nécessaire des relations entre l'Etat, les entreprises et la société. Avant d'ouvrir d'une façon qui peut paraître débridée, à tout vent, le dernier bastion de souveraineté, de rappeler les principes. Il est faux de croire que la solution c'est le privé, acceptant par cela la fatalité d'un enseignement étatique au rabais. S'il est important qu'il y ait une compétitivité entre les établissements, il serait mal venu de donner au privé la liberté du renard dans le poulailler, en clair, qu'il n'a que des droits, notamment celui de vendre une étiquette qui ne repose sur rien éminemment pérenne si ce n'est certaines fois une publicité mensongère qui saigne les parents aux quatre veines pour un hypothétique diplôme payé à prix d'or mais qui ne garantit nullement un emploi. Si nous devons aller vers le privé, la stratégie du pays fera que la priorité doit être donnée aux stratégies à vocations technologiques. L'université devrait permettre à chaque étudiant de progresser avec toutes ses chances, de trouver aussi la spécialité où il a le plus d'aptitude. Tout étudiant devrait être assuré de quitter l'enseignement supérieur avec un diplôme à valeur professionnelle. Il faut cependant qu'il se sente prêt à accomplir l'effort nécessaire pour cela. De plus chacun devra pouvoir revenir vers l'université tout au long de sa carrière, après un premier diplôme d'une part, pour valoriser en permanence ses «acquis», ou pour acquérir un autre diplôme à son rythme. Pour cela, les établissements devraient tendre de plus en plus vers une autonomie accrue. Ils devront par ailleurs, faire l'objet d'une évaluation systématique, plus transparente,plus ouverte, plus créatrice de droits et de devoirs Les enseignants ne devraient pas être que des fonctionnaires qui «fonctionnent» sur les anciens schémas, mais des entrepreneurs qui «entreprennent». Chacun exercera dans sa vie un nombre croissant de professions et d'activités. L'Etat se doit, enfin, à travers l'université et les enseignants former l'homme nouveau qui ne doit pas être un assisté mais déjà avant la sortie même de l'université, un entrepreneur qui entreprend quelle que soit sa projection. Le moment est venu d'élaborer une nouvelle échelle sociale basée sur le savoir et le savoir-faire en un mot la méritocratie. Nous devons militer pour un Etat stratège qui doit donner la chance à chaque Algérien pour peu qu'il en témoigne l'ambition d'évoluer dans la vie. Cependant, rien ne sera pérenne si le regard des gouvernants ne change pas vis-à-vis des enseignants, ces «gardiens du temple». Ils doivent faire preuve de sollicitude de la part des autorités, la méfiance vis-à-vis des élites doit cesser. Ce sont des formateurs sans qui rien de pérenne ne pourra être construit. 1.http://www.journaldunet.com/economie/magazine/ cout-d-un-etudiant/ 2. Les universités américaines: Encyclopédie Wikipédia 3.http://www.ambafrance-uk.org/La-gouvernance-des-universites 4. http://www.education.gouv.fr/cid11/le-cout-d-une-scolarite.html