Pour la première fois en Algérie, depuis 1962, aucune partie, aucune personne influente du pouvoir ne sait avec exactitude quelle sera l'issue du scrutin du 8 avril. Le duopole constitué par Bouteflika et Benflis a divisé les blocs monolithiques et fractionné en morceaux les institutions de l'Etat. Cela comporte une bonne et une mauvaise chose. La bonne c'est que le jeu est vraiment ouvert et la marge de fraude dérisoire. La mauvaise est que les failles ouvertes par les soutiens «à très haut niveau» de l'un et de l'autre des deux candidats risquent de ne pas se refermer avant longtemps. Au bouclage de la septième journée de la campagne, on constate que tous les candidats, sans exception, ont opté pour ce qui touche le plus les électeurs : les problèmes quotidiens liés au ventre, au travail et au logement. Là au moins les choses restent claires, même si les promesses le seront moins. Le ventre et plus si affinités Pour Djaballah, «la crise peut être dépassée si les ressources humaines et naturelles étaient utilisées à bon escient, et si, à la tête de l'Etat, il y avait l'homme de la situation», a-t-il dit, hier, à Chlef, une région durement éprouvée par la pauvreté et le chômage. Un discours analogue a été adopté par Rebaïne, à Djelfa, et Louisa Hanoune, à Sidi Bel-Abbès, avec une attention prononcée sur «la nécessité de changer de président pour pouvoir opérer les changements», pour le premier, et une fixation sur le «taux de chômage qui touche 30 % de la population active», indice révélateur, selon Louisa, de la précarité et de l'indigence, donc de nouveaux foyers de tension, voire de «terrorisme». Les comités de soutien de Bouteflika, mieux dotés et plus «expérimentés», passent carrément à l'action. Il ne suffit pas de dire mais tout est de faire...manger. C'est ainsi que dans plusieurs localités des Hauts Plateaux -Djelfa, El Bayadh, Aïn Oussara, etc. - «le méchoui a accompagné le discours et le couscous a été agrémenté de sauce faite de assel et zebda», selon un consommateur de Hassi Bahbah. Les chevaliers et les manants La fin de la première semaine de la campagne a permis, en outre, de jauger la situation, de faire un premier bilan et de passer à la vitesse supérieure. On sait d'ores et déjà que le coude-à-coude Bouteflika-Benflis ne sera départagé que grâce aux alliances, aux ralliements et autres connexions de conjoncture que l'un ou l'autre pourra établir en dernier ressort. Le général à la retraite Rachid Benyellès a fait son choix et opté pour Benflis, alors que le général à la retraite Ataïlia reste fidèle à Bouteflika, de même que Tahar Zbiri et Ahmed Ben Bella, deux figures emblématiques du régime pendant les années soixante. Mais rassurez-vous: ce n'est pas ces messieurs, ni Ghozali, ni Taleb Ibrahimi, ni Hamrouche, ni Touati et ni tous ceux qui se sont alignés avec un candidat contre les autres, qui vont faire la différence, mais bien la piétaille, la masse des objets votants non identifiés et les manants qui départageront les candidats. Ils sont au moins 10 millions de personnes qui crèvent la faim, vivant officiellement, au-dessous du seuil de pauvreté, dont deux millions de déplacés dans le cadre de «l'exode sécuritaire» et 800.000 qui vivent sous des toits de chaume ou des feuilles de zinc. Et c'est bien cette catégorie de citoyens qu'il faudrait convaincre, rassurer et aider, non pas aujourd'hui et demain, mais certainement après le 8 avril. Non pas uniquement par devoir et humanisme mais par crainte et prévention. Car, depuis Octobre 1988, les autorités ont appris l'essentiel : les problèmes du ventre sont le principal catalyseur d'une population qui peut, à tout moment, s'exprimer de la manière la plus violente qui soit.