2500 DA pour égorger un mouton L'Aïd El Kebir est donc pour certains, l'occasion de faire de bonnes affaires. Que ce soit pour les professionnels ou de jeunes «caméléons» sans aucune expérience qui adoptent un métier spécifique à chaque événement... L'Aïd El Adha est l'occasion de faire de bonnes affaires, et pas seulement pour les éleveurs de moutons. En effet, certains ont trouvé des astuces pour se remplir les poches durant cette fête religieuse. Ils ont ainsi créé des... métiers de l'Aïd El Adha. Le plus connu de ces petits métiers est sans contexte «égorgeur» de moutons! Ne supportant pas la vue du sang, ou par peur de faire souffrir la bête...,beaucoup sont ceux que l'acte du sacrifice rebute. Ajouté à cela la mutation qu'a connue la société algérienne ces dernières années, ce qui fait qu'il est devenu rare de trouver un grand oncle ou un bon voisin pour le sacrifice du mouton. Alors celui-ci se faisait en communion avec la grande famille ou les voisins. Désormais, c'est «chacun pour soi et Dieu pour tous». Même si on ne peut pas généraliser cette situation, elle crée tout de même des «listes d'attente» au niveau des abattoirs! «Eh, tu ne viens que maintenant, tu t'y prends un peu tard. «Sghar» (les jeunes, expression populaire pour définir les débrouillards) ont réservé depuis plus d'une semaine.» Ce n'est pas la réponse d'un agent de voyage pour un hôtel ou un billet d'avion, ni même celui d'un propriétaire d'une salle des fêtes, mais celle de l'employé de l'abattoir de Rouiba. «Comme on se connaît, je te fais une faveur, tu nous le ramène le matin, mais je ne sais pas à quelle heure le tien passera!», ajoute-t-il pour nous indiquer que l'attente sera longue même très longue! «Sinon, je te donnes le numéro d'un ami, si tu as de la chance il pourra passer pour ton mouton. Dis lui que tu appelles de ma part», rétorque-t-il. Le numéro de son ami en poche, nous l'appelons. «Ah, désolé, vous vous y prenez vraiment tard. J'ai déjà plus de 12 rendez-vous pour le jour de l'Aïd. Je ne sais même pas à quelle heure je pourrai les liquider», assure cet égorgeur qui nous donne tout de même le numéro d'un autre de ses amis. Et la quête de l'égorgeur continue. 2500 DA pour égorger, 500 dinars pour la douara et 1000 dinars pour le bouzelouf Après trois coups de fil ayant les mêmes réponses et où chacun nous renvoi à l'autre, alléluia! nous finissons par trouver un égorgeur de... moutons bien sûr, même si nous aussi on va passer sous son couteau avec le prix qu'il nous donne. «Oui, je peux passer chez vous le matin. Je n'ai pour le moment que sept moutons à égorger, donc il me reste encore trois places de libre. Car je me fixe l'objectif de 10 moutons, je pourrais en faire plus, mais cela est très fatiguant. Mais je vous avertis, ce sera 1500 dinars le mouton. Je l'égorge et dépiaute», annonce t-il la couleur avant de renchérir pour nous proposer des suppléments. «Ah, oui, j'ai oublié de vous dire, j'ai avec moi deux jeunes qui m'aident, ils peuvent vous nettoyer la douara pour 500 dinars et le bouzelouf pour 1000 dinars», souligne-t-il ce qui ressemble dûment à du commerce! Et on a de la chance. Car selon les dires des personnes, les prix pratiqués par notre égorgeur sont abordables ou plutôt dans les normes. «Les prix pour égorger et dépiauter un mouton commencent à 1 200 dinars et peuvent aller jusqu'à 2500 dinars», nous confie un boucher. Ces «tueurs professionnels» égorgent, en général, une dizaine de moutons si ce n'est plus pendant la matinée de l'Aïd. Les comptes sont facilement fais. Ils peuvent donc se faire jusqu'à 25.000 dinars pour une matinée de travail. La bonne affaire, quoi. Cette situation a poussé certains jeunes qui n'ont rien à voir avec le métier d'égorgeur, à le pratiquer le jour de l'Aïd. Des saisonniers de l'abattage. Mourad en fait partie. Ses deux amis et lui commencent leur matinée de l'Aïd en «s'attaquant» rapidement au mouton familial avant d'aller honorer leurs «rendez-vous». «On a appris à égorger et dépiauter les moutons depuis notre adolescence. Il y a deux ans en voyant l'argent que se faisaient les «égorgeurs» professionnels, on s'est dit pourquoi pas se faire un peu d'argent pendant l'Aïd», témoigne-t-il. «En plus «hadou hassanette» (on fait de bonnes actions) en perpétuant à plusieurs reprises le sacrifice d'Abraham et on aide des gens qui ne trouvent personne pour abattre leurs moutons», rétorque-t-il pour être en paix avec sa conscience. L'égorgement du mouton, le jour de l'Aïd est ainsi devenu pour certains un véritable business. Cette pratique a toujours existé, mais les égorgeurs étaient payés avec une partie du mouton. Et même quand cela se faisait avec de l'argent, c'était au propriétaire du mouton de la fixer en glissant un billet dans la poche de l'égorgeur. Désormais, c'est un véritable commerce avec des prix fixes et exorbitants et où il faut même prendre rendez-vous! C'est aussi la fête des... bouchers Toutefois, ces égorgeurs ne sont pas les seuls à se frotter les mains le jour de l'Aïd El Adha. Après avoir fait leur «travail» la matinée, ils laissent l'après-midi et le lendemain aux bouchers. Ces derniers qui baissent rideau pendant plusieurs jours après l'Aïd, ne sont pas aussi malheureux que cela! Eux aussi ont trouvé un nouveau filon pour se faire de l'argent. Le jour de l'Aïd, tout simplement, ils vous découpent votre mouton monnayant une somme d'argent. Très rentable, il n'y a pas de viande à vendre, mais seulement à couper. Cela pour des prix qui vont de 1000 dinars à 2000 dinars pour le mouton, si ce n'est plus. «Tout dépend du boucher, de l'endroit et surtout la taille du mouton», rapporte un boucher de la capitale qui découpe plus d'une cinquantaine de moutons durant l'Aïd El Adha. «Je suis dans la moyenne. Certains de mes collègues en font plus», témoigne-t-il. «Il nous arrive même de renvoyer certains clients tellement on est débordés», atteste ce boucher. Il est vrai que ces dernières années, d'interminables queues se forment devant les boucheries qui ouvrent spécialement pour cela pendant l'Aïd. Mouton sur les bras, ils attendent un par un leur tour. Mais comment expliquer cette tendance? «Avant, les gens s'entraidaient pour égorger les moutons et même pour les dépecer. Maintenant à l'ère de la rapidité, ils n'ont pas le temps de le faire. Ils préfèrent payer pour épargner ce qu'ils considèrent comme corvée alors que jadis, cela faisait partie du charme de cette fête. En plus, ils préfèrent ne pas gâcher leur mouton qu'il ont payé rubis sur l'ongle. Ils évitent un massacre en le faisant dépecer par un professionnel qui leur découpe de bons morceaux», répond notre ami boucher. «Cette situation arrange très bien nos affaires. Au final, tout le monde est content», se réjouit-il. Transporter son mouton, plus cher qu'en taxi Egorgeurs et bouchers sont donc les grands «gagnants» du jour de l'Aïd avec les nouveaux services qu'ils ont mis en place. Mais avant d'arriver à ce jour de l'Aïd, et avant d'égorger cette pauvre bête, d'autres ont fait leur beurre grâce à cette fête. Et on ne parle pas de maquignons et vendeurs de moutons qui est une évidence., on parle de ceux qui s'installent devant ces maquignons pour offrir leurs «services». Quand on achète notre mouton de l'Aïd, il faut bien trouver une solution pour le transporter. Même si on a une voiture, on n'aime pas forcément qu'elle soit envahie pas l'odeur du mouton, qui dure des semaines avant de s'estomper. Alors, on loue un «taxi» pour nos moutons. Les transporteurs publics se mettent devant ces vendeurs de moutons à attendre que quelqu'un en achète un. Dès que c'est fait, il vous apostrophe: «transport khouya?». On ne peut pas les rater. Ils sont aussi nombreux que les moutons, surtout depuis que les petites camionnettes chinoises ont fait leur apparition. Leurs tarifs ne sont pas donnés. Ils se passent le mot et s'entendent sur des tarifs communs pour saigner les citoyens. Des courses de quelques dizaines de kilomètres peuvent être facturées à 500 dinars. Alors que d'autres, plus longues peuvent dépasser les 2 000 dinars. C'est plus cher qu'un taxi. Ce qui pousse certains citoyens habitant dans les environs à s'entendre à plusieurs pour ramener leurs moutons ensemble. «Cela nous permet de se partager les frais de transport. Ça devient plus abordable», nous confie Moncef, un citoyen qui a opté pour cette solution. En plus de transporter le mouton, il faut le nourrir. On trouve alors des vendeurs de foin. 1000 dinars la botte! Rien que ça! Sinon, vous avez des petits sachets dont le prix commence à 100 dinars. Une bonne affaire pour les petits jeunes qui en vendent. Certains de leurs amis ont, par contre, opté pour la vente de billots de bouchers traditionnels, comme moyens de travail. Barbecue, charbon, sans oublier d'aiguiser son couteau... La fête de l'Aïd c'est aussi l'occasion de vendre le charbon et les petits barbecues pour les brochettes qu'aiment consommer les Algériens le deuxième jour de l'Aïd. Ils sont bien sûr vendus par les quincailleries chez qui on les trouve toute l'année. Mais pendant l'Aïd, on les trouve même dans les magasins d'alimentation générale, les bureaux de tabac... Sinon, des petits jeunes nous les proposent sur les routes ou à proximité de l'endroit où nous avons acheté notre mouton. L'Aïd El Adha fait aussi le bonheur des aiguiseurs de couteaux. Car, cette fête c'est l'occasion pour les Algériens de faire un petit lifting à leurs couteaux afin d'égorger le mouton sans le faire souffrir. On trouve des professionnels de ce métier sinistré qui passe de père en fils. Mais, ils sont en voie de disparition. Cependant, on trouve beaucoup de jeunes qui en font un métier du dimanche ou plutôt de l'Aïd.! Dans les marchés ou dans les quartiers populaires, les remouleurs pullulent. Ce sont souvent des jeunes qui traînent une table «de torture» avec deux disques et qui proposent de donner une nouvelle vie à vos couteaux pour quelques dinars (entre 50 et 150 dinars). Mais est-ce vraiment efficace ou c'est seulement du bricolage? Pour Saïd, artisan en boucherie, l'aiguisage de couteaux est un art qui n'est pas donné à n'importe qui! Certes, il recommande aux gens d'aiguiser leurs couteaux afin d'être prêts pour le jour J, mais dénonce le fait que des gens qui n'ont rien à voir avec la boucherie et encore moins avec le remoulage s'approprient ce métier. «Il faut faire très attention: la plupart des jeunes qui proposent ce genre de service ne savent pas comment il faut aiguiser ces couteaux», explique-t-il. «Au lieu de leur redonner vie, ils ne font que les abîmer pour être bons pour la poubelle», avertit-il encore. L'Aïd El Kebir est donc pour certains l'occasion de faire de bonnes affaires. Que ce soit pour les professionnels ou de jeunes «caméléons» sans aucune expérience, qui adoptent un métier spécifique à chaque événement...C'est donc ainsi qu'est devenu l'Aïd El Adha, une fête commerciale où tout se monnaye...On vous souhaite donc «Saha Aïdkoum», des voeux qui n'ont pas de prix...