Si les rues de Constantine semblent s'animer brusquement au second jour de l'Aïd El Adha, au matin du premier jour de la fête, la ville des ponts semblait déserte sous un temps grisâtre. L'heure étant au sacrifice du mouton. Si les effluves de "bouzelouf" s'élevaient déjà dans certains foyers juste après la prière de l'Aïd, chez d'autres "l'aventure du kebch" continuait avec la quête d'un bon égorgeur. Il faut dire que si les apprentis-égorgeurs sont légion, les professionnels, ceux qui s'y entendent pour "traiter" un mouton sans écorcher la peau ni l'érafler, ne semblent pas courir les rues. L'égorgeur du mouton reste quoi qu'il en soit la vedette de la journée de l'Aïd et en dénicher un "bon" requiert de la chance et, quelquefois, un peu de "piston". A Aouinet El Foul, au centre-ville, lieu connu par sa concentration de bouchers, les citoyens prospectent les lieux à la recherche d'un égorgeur professionnel. "J'ai payé plus de 30.000 dinars pour un mouton, et je ne veux pas qu'un égorgeur amateur me l'esquinte", lance Amine, venu à la recherche d'un "pro" qu'on lui a recommandé, à Aouinet El Foul. Farès, un boucher bien connu sur la place, qui affirme avoir "plusieurs commandes pour la journée" préfère donner la priorité aux "clients habituels". Farès égorge puis écorche et vide une vingtaine de moutons. Quand il est débordé, il sollicite d'autres collègues "de confiance" qu'il recommande aux retardataires. Le service est facturé entre 1.000 et 1.500 dinars par tête de mouton. Samedi, second jour de l'Aïd, les bouchers continuent évidemment d'être courus car il faut débiter la carcasse et c'est aussi un travail de professionnels, même si quelques ménages font la découpe à la maison, avec plus ou moins de bonheur. En plus des bouchers ayant pignon sur rue qui ouvrent leur boutique spécialement pour le dépeçage (des boutiques invariablement prises d'assaut), de nombreux jeunes commis débrouillards empruntent des tables pour la découpe et s'installent carrément au bas des immeubles, "armés" de tout leur attirail (coutelas, haches, scies...). Et les clients ne manquent pas, il faut même souvent faire la queue. Changement de décor en début d'après-midi. Les enfants tout de neuf vêtus égayent les rues du centre-ville. Juste après le traditionnel couscous du second jour, ils sont des centaines, accompagnés de leurs parents, à donner de belles couleurs aux cités. Le jardin "Bennacer" au cœur de Constantine est la destination privilégiée pour prendre des photos de souvenir de l'Aïd. Un Aïd légèrement différent car, contrairement aux années précédentes, les commerçants semblent avoir respecté la permanence. Des épiceries et des boulangeries sont ouvertes au centre de l'antique Cirta. Dans l'après-midi, les nerfs plus détendus, il est temps d'apprécier la fête, de rendre visite à la famille et aux proches, vivants ou disparus. A Constantine, comme partout ailleurs dans le monde musulman, "aïdekoum mabrouk" est sur toutes les lèvres et le sourire est de rigueur. La solidarité a fait que même les gens démunies ont eu droit à un mouton ou, à défaut, à plusieurs quartiers de viande. "Ah, s'il pouvait en être ainsi tous les joursà", soupire Farès, le boucher de Aouinet El Foul qui a troqué sa blouse ensanglantée contre un seyant costume.