Pour commémorer une grande date ou un haut fait d'armes durant la révolution et ou simplement pour célébrer une fête culturelle ou religieuse locale, les habitants de certains villages organisent, chaque année, une touisa. C'est le cas notamment en Kabylie où de nombreux veaux sont sacrifiés à l'occasion. Cette coutume appelée communément thimechret, à laquelle prennent part toutes les familles du douar, y compris celles résidant à Alger, est en train de prendre un essor tel, qu'elle a fini par devenir un véritable phénomène de société. La preuve, même pour l'Aïd El Adha, des citoyens s'organisent en recourant au sacrifice d'un veau ou taureau en remplacement du mouton devenu trop cher pour eux. D'ailleurs, c'est en raison de la hausse incessante des prix des moutons sur le marché, que ces citoyens ont jeté leur dévolu sur le boeuf pour accomplir le rite de la Sunna. Se cotisant entre eux, sans que leur nombre ne puisse, toutefois, dépasser les sept personnes, comme l'exige la chari'a, ces nouveaux adeptes du sacrifice collectif, semblent avoir trouvé la bonne formule, en tout cas, pour célébrer la fête de l'Aïd. Certes, le prix d'un taureau dépasse souvent les 30 millions de centimes mais, selon eux, il est préférable d'acheter, à sept, un boeuf à ce prix, plutôt que de débourser 40.000 ou 50.000 dinars pour un agneau. Ce n'est pas seulement pour une histoire d'argent. Un mouton, même celui vendu à 90.000 dinars, ne pèse pas plus de 45 kg sur pied. Au total, c'est-à-dire en ne comptabilisant que la viande sans les abats, celui qui l'achète n'aura que 30 ou 35 kg nets de viande. A l'inverse, un boeuf valant, par exemple, 31, 5 millions de centimes, pèse plus de 350 kg. Les sept personnes qui l'achèteront, bénéficieront chacune, au minimum de 50 kg dont 40 nets de viande. Ecoutons un membre de cette grande famille installée depuis plus de soixante ans à Alger. «Cela fait de nombreuses années que nous nous cotisons pour sacrifier un boeuf à l'occasion de la fête religieuse de l'Aïd. C'est une vieille pratique qui nous permet de contourner la cherté du prix du mouton. A sept, nous avons déboursé chacun 45.000 dinars pour acheter celui de cette année. En poids, cela représente, en moyenne, 45 à 50 kg de viande nette. En tout cas, beaucoup plus que si l'on avait acheté un mouton à 60.000 dinars», nous a-t-il confié. Autre avantage, la bête vendue est entretenue et gardée sur place jusqu'au jour J. «Lorsque vous achetez un mouton, vous êtes obligés de l'emmener chez-vous, parfois une ou deux semaines à l'avance. Imaginez dans ce cas les désagréments que cela pourrait causer à une famille logeant dans un minuscule appartement. En ce qui nous concerne, nous n'avons aucun souci à nous faire dans la mesure où la bête que nous avons achetée est gardée et entretenue par le fellah jusqu'au mardi matin, c'est-à-dire le jour de l'Aïd», nous a- t-il, déclaré. Ce n'est pas tout. D'un commun accord, vendeurs et acheteurs ont convenu du sacrifice du boeuf sur place. «C'est le fellah, lui-même, qui se chargera de cette besogne et c'est lui qui coupera les morceaux en sept parts égales.» Il ne faut pas l'oublier, l'égorgement d'un boeuf requiert beaucoup d'expérience et les personnes initiées exigent parfois jusqu'à 10 000 dinars pour un travail de quelques secondes. Notre interlocuteur nous a appris que c'est un boucher attitré qui se chargera de la mise à mort de la bête et c'est lui qui fera le partage. Seul aléa, cependant, les sept personnes qui se sont cotisées sont obligées de faire plus de vingt kilomètres pour récupérer la viande. «Le propriétaire habite une ferme pas loin de Boufarik. C'est loin, mais nous en avons maintenant l'habitude. D'ailleurs, nous ne sommes pas obligés de nous y rendre tous les sept, seuls deux se chargeront du transport de la marchandise», nous a-t-il fait savoir. Lorsque nous lui avons demandé si cela ne risquait pas de prendre beaucoup de temps et retarder la préparation des plats de l'Aïd, il a répondu que «tout a été prévu et qu'il n'y avait pas de souci à se faire à ce sujet». Pour la petite histoire, certaines familles qui ont opté pour le sacrifice d'un taureau à la place du mouton le jour de l'Aïd, se déplacent jusqu'au bled pour passer avec les autres membres de la famille, établis là-bas, la grande fête. Une pratique qui permet à ces familles de garder le contact entre elles et surtout de faire perdurer une coutume à laquelle elles prennent de plus en plus goût.