img src="http://www.lexpressiondz.com/img/article_medium/photos/P131106-09.jpg" alt=""Je m'intéresse à la source de la violence"" / Son long métrage Les chevaux de dieu est en compétition au Festival du film maghrébin. Un film sensible et poignant sur la manière dont on devient terroriste. Une plongée dans les abysses du mal et de la violence. Un film qui diffère de ses autres oeuvres cinématographiques mais qui tend parfois à se lier par des fils tenus, comme Ali Zaouia prince de la rue, ou s'en éloigner comme Whatever Lola Wants, notamment puis de revenir par la tragédie humaine à nouveau par le biais du documentaire à travers l'excellent My Land... Bref, nous avons enfin rencontré à Alger ce jeune réalisateur confirmé, qui n'a cessé de nous surprendre après avoir découvert ses films primés à travers le monde... L'Expression: Les chevaux de dieu, pourquoi un tel film au Maroc? Craignez-vous la montée de l'islamisme et du terrorisme là-bas? Bien que c'est aussi inspiré d'un attentat qui a eu lieu au marché de Marrakech... Nabil Ayouch: Les chevaux de dieu c'est inspiré de ce qui a été un vrai tremblement de terre au Maroc. Quelque chose qui a secoué l'ensemble du peuple marocain le 16 mai 2013 où 14 jeunes des bidonvilles de Sidi Moumen, qui habitent, à quelques kilomètres de chez moi descendent dans cinq endroits différents et se font exploser en visant pas n'importe quel lieu mais en visant des lieux qui touchent à l'identité marocaine dans sa diversité. Un resto espagnol, un resto italien, un cimetière juif, un centre culturel israélite et un grand hôtel international. Pour nous, au Maroc, c'était quelque chose d'énorme parce que c'est un pays qui est bâti, construit au fil des siècles sur le mélange des races, le mélange des cultures et là, ça a été quelque part la fin de l'innocence. D'un seul coup ça était un réveil très brutal. Il se trouve que ce quartier de Sidi Moumen, je le connaissais très bien, j y ai tourné les premiers scènes d'Ali Zaouia. J y ai aussi tourné des documentaires sur le microcrédit à Sidi Moumen. C'est un quartier que j'ai beaucoup arpenté. J'ai été peut-être plus heurté par ce qui s'est passé le 16 mai 2003 quand j'ai appris que ces jeunes descendaient de ces quartiers-là. J'ai eu envie d'y retourner. J'avais envie d'aller à l'écoute de cette jeunesse et d'entendre ce qu'elle avait dire. C'est petit à petit comme ça que j'ai construit le propos du film. Ce n'est pas une reconstitution mais la façon que vous avez de raconter avec ces tranches chronologiques lui donne un cachet de véracité supplémentaire... Comme si c'était la biographie de ces gamins, car quand ils vont commettre ces attentats ils ont 22 ou 23 ans. Ils sont tout jeunes. Je me suis inspiré d'un roman qui s'appelle Les étoiles de Sidi Moumen, roman de Mahi Bine Bine. Qui parle de faits réels. C'est un peu sur la base de ces matières-là que j'ai eu envie de repartir à l'origine de la violence. A la source de la violence car elle ne vient pas de nulle part. Elle a une origine et ce qui m'intéresse dans Les chevaux de dieu c'est d'aller remonter à cette origine. Vous démystifiez un peu comment on devient terroriste. Un peu comme dans le film de Nouri Bouzid Making of mais différemment... Est-ce une manière de comprendre ces gens-là et leur cheminement? Comprendre en tout cas ce qui pourrait être compris, car tout ne peut pas être compris dans cette histoire car il y a des choses qui nous échappent forcément. Pour qu'un être humain décide d'en arriver là, il doit arriver à un certain degré de désespoir, ajouté à cela des paramètres que l'on ne maîtrise absolument pas. Mais en tout cas il y a des facteurs et des éléments constructeurs qui bâtissent cet adulte différemment de ce qui l'aurait été s'il avait grandi dans un environnement autre, s'il avait été à l'école, s'il avait une structure familiale solide qui l'encadre mais pas vécu tous les microtraumatismes qu'il a vécus dans son enfance et qu'on voit dans le film, s'il n'y avait pas eu cet endoctrinement, etc. En gros, c'est sortir des schémas basiques, binaires dans lesquels on veut nous enfermer, surtout les médias occidentaux quand il traite du phénomène du terrorisme où en général on prend beaucoup de raccourcis et on est dans la conséquence et non pas dans la cause. J'ai essayé de comprendre comment effectivement comme vous l'avez dit, un gamin de 10 ans peut se transformer en une bombe humaine. Ce qui m'a intrigué dans votre façon de filmer est ce premier plan qui, partant du ciel de la carte géographique zoome ce petit patelin isolé, qu'avez-vous voulu signifier par là? Ce qui m'a frappé dans ces bidonvilles, car j'en ai visité plusieurs, c'est leur isolement. Leur déconnexion. Ils ont été oubliés, donc ils sont plantés quelque part très loin et en même temps, il n'y a rien qui les relie au reste de la ville. La plupart du temps il y a cette fameuse autoroute qu'on voit au début du film que les gamins traversent après le match de foot. Façon de dire que là c'est le monde réel, c'est l'économie, c'est l'industrie, c'est l'emploi et de l'autre côté c'est le chômage, c'est l'oubli, l'absence d'éducation, et c'est là qu'ils vivent et ont grandi. Façon de planter le décor. Vous l'avez dit, et effectivement je l'ai remarqué quand on regarde le début du film on pense forcément à Ali Zaouïa, vous êtes donc influencé par l'univers des enfants? Ce qui est sûr c'est qu'il y a une fratrie entre les deux films. Il y a une consanguinité indéniable. Quelque part, ces jeunes qu'on voit dans Les Chevaux de dieu sont ce que les enfants d'Ali Zaouïa auraient pu devenir. Après, pour répondre plus directement à votre question, je m'intéresse aux marginaux, à ceux qui vivent à la marge. Plus qu'à ceux du milieu. Parce qu'ils ont leurs codes, ils ont des choses à dire, des choses à raconter. Et je pense qu'on ne les écoute pas suffisamment. Est-ce le fait d'être métis, né d'un père musulman et d'une mère juive française d'origine tunisienne qui a fait que vous vous intéressez aussi aux deux camps (juif et musulman) dans le documentaire My land sans pouvoir trancher ou juger. Vous aviez peur de vous mouiller? C'est ça qui fait que je m'intéresse à la différence. Aux différences, c'est cette double identité absolument. Dans mon enfance et ce qui a jalonné mon parcours, j'ai été beaucoup marqué par la période de 5 à 14 ans, pendant une dizaine d'années où j'ai grandi à Sarcelles, dans la banlieue parisienne. Je ressentais très fortement ce sentiment d'exclusion à la fois, parce que Sarcelles est une ville très communautariste, composée d'Arabes, de Noirs, des Asiatiques, et que moi j'étais un mélange de différentes races, je ne me sentais pas appartenir à une communauté ou à une autre. J'avais un sentiment d'exclusion aussi par rapport à la grande ville qu'était Paris, qui était à la fois toute proche et inaccessible. Je pense que c'est pour ça que j'ai assez vite compris ce que pouvaient ressentir les jeunes de Sidi Moumen, ces jeunes des bidonvilles et j'ai eu envie de m y intéresser. Je me sentais aussi oublié, déconnecté... Dans votre film My land vous avez eu la judicieuse idée de filmer les deux côtés des camps et de montrer les images aux uns les autres en les confrontant aux points de vue de l'autre. Pourquoi? J'avais envie de confronter en fait deux mémoires. Une mémoire palestinienne dont l'horloge biologique s'est arrêtée en 1948, donc une mémoire figée. Et puis de l'autre côté, des Israéliens de la jeune génération, donc je saute une génération, une mémoire jamais apprise parce qu'ils ont la mémoire de leur peuple mais ils n'ont pas la mémoire de la terre. Ils sont capables de vous parler de ce qui s'est passé il y a deux mille ans, mais sont incapables de vous parler de l'histoire palestinienne. J'avais envie d'ouvrir des portes, d'éveiller les consciences et j'avais envie véritablement que cette jeunesse israélienne qui vote, qui décide de l'avenir de son pays, petit à petit puisse prendre conscience de choses dont elle est ignorante. Véritablement ignorante et du lavage de cerveau qu'elle a eu à subir depuis des années et même des décennies de la part de son gouvernement, des médias, des manuels scolaires... Il y a un vrai black-out sur la mémoire palestinienne. Quand on voit et on écoute cette jeune fille juive vers la fin du film, qui plaide pour le vivre-ensemble on comprend en quelque sorte le message ou l'idéal vers lequel tend votre film et qui résumerait peut-être votre état d'esprit... Il y a à la fois un enjeu politique qui est sous-jacent, sur lequel je suis très pessimiste et puis un enjeu humain pour lequel par contre j'ai plus d'espoir. Parce que, dès qu'on parle de l'humain, les frontières bougent à l'intérieur beaucoup plus facilement que si on parle de territoire, absolument. On sent bien dans le film la manière dont évoluent ces Israéliens vis-à-vis de ces images des Palestiniens. On sent que cela les affecte.