Pour lui, la neutralité de l'armée, quoi qu'en disent certains, «est désormais un fait avéré». C'est le chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, connu pour son sens de la rhétorique et de la répartie, qui a pris sur lui d'essuyer le tir de barrage de la presse nationale et internationale, à la suite de la victoire écrasante de Bouteflika lors de cette présidentielle. Il commencera par énumérer une série de remarques, importantes à ses yeux, avant d'entamer les débats. Ainsi, aussi bien ce scrutin que les résultats qui en ont découlés, constituent-ils un «tournant décisif dans la vie politique algérienne». Lourde de sens, sans doute, la remarque ne signifie pas «une reconfiguration volontariste du champ politique national, ni une fermeture du champ médiatique national». Ainsi, et même s'il savoure sa victoire et se donne déjà les airs d'être le futur chef de gouvernement du président gagnant, Ouyahia se garde de brandir la moindre menace : «J'espère que la presse obéira à un code déontologique sans forcer les pouvoirs publics à recourir régulièrement à la justice.» Quant à l'ouverture des médias lourds aux privés, Ouyahia se contentera de dire que «le moment n'est pas venu», avant d'ajouter, paraphrasant Poutine «sans complexe» qu'il n'est «pas question de permettre que de l'argent sale soit injecté dans des télévisions et des radios privées». Une occasion pour tirer à boulets rouges sur K-News en train d'appeler le peuple à la rébellion, «que fallait-il attendre d'autre d'un hors-la-loi, qui aura à répondre de tout cela devant la justice?». Enchaînant sur les «points forts» de ce scrutin, Ouyahia a salué, à deux reprises, «la présence d'une dame remarquable comme Louisa Hanoune parmi les candidats en lice». Poussant plus loin sa volonté d'être le plus transparent possible, Ouyahia promettra qu'il «rendra public l'ensemble des rapports que feront les observateurs étrangers quel qu'en soit le contenu, de même que les missions des ONG en 2000, avaient enquêté en toute transparence avant que leurs conclusions ne soient soumises à l'appréciation de l'opinion publique nationale». Pour ce qui est de la «régularité du scrutin», Ouyahia évoquera l'ensemble des garanties mises à la disposition des candidats et de leurs représentants, mais aussi la «transparence avec laquelle s'est déroulé le scrutin de bout en bout». Il annonce également que «le nombre de PV remis aux représentants de chacun des candidats sera rendu public, de même que leurs recours». I ajoute que «ceux qui s'estiment véritablement lésés ont toute latitude d'en appeler au Conseil constitutionnel comme le leur permet la loi». Il en profitera, abordant ce sujet, pour ajouter que «si Benflis, que je respecte et que je suis dans ses déclarations, parle de corps électoral gonflé : il n'a augmenté que de quelques centaines de milliers depuis les dernières législatives de 2002». L'attaque, littéralement sous la ceinture, vise le FLN de Benflis qui avait largement profité de ce scrutin, devenant de loin la première formation politique du pays. Il ajoute que le vote des corps constitués a été supprimé alors que celui des bureaux itinérants a été réduit de sorte à ne plus représenter qu'un taux inférieur à 1 % du corps électoral. Pour ce qui est de la protestation qui avait eu lieu jeudi soir à la place du 1er-Mai et qui avait été violemment réprimée par les forces de l'ordre, Ouyahia dira en premier lieu que «le peuple, qui sort d'un terrible drame, ne suivra plus les discours politiciens et aventuriers». Il ajoutera, pour justifier ce qui s'est passé que «les rassemblements, qui ne sont pas sujets à une autorisation préalable sont systématiquement interdits conformément au décret signé par mon prédécesseur, M. Ali Benflis». L'on se demande, toutefois, pourquoi les manifestations de liesse pro-Bouteflika ont été permises, protégées, et diffusées en boucle à la télévision. L'on se demande surtout si c'est en cela que consistera le fameux tournant politique annoncé par Ouyahia dans sa conférence de presse. Pour ce qui est de l'armée, outre «la confirmation de sa non-implication dans la vie politique ainsi que toutes les accusations qui lui sont accolées», Ouyahia ajoutera en réponse à une question que «les meilleurs et les plus courtois rapports existent entre le chef de l'Etat et la haute hiérarchie militaire, à commencer par le chef d'état-major». Refusant ostensiblement de s'étaler sur l'avenir politique de son gouvernement et de l'alliance présidentielle qui ont eu l'heur d'assurer un second mandat à Bouteflika, Ouyahia se contentera de dire, énigmatiquement qu'«à chaque jour suffit sa peine». Précision : «Dès que le Conseil constitutionnel rendra publics les résultats officiels, je présenterai ma démission comme le prévoit la Constitution». Cette «fausse modestie» contraste, toutefois, avec la manière dont il a mis en avant «la promotion de la réconciliation nationale, dont il a détaillé la teneur, tout en se revendiquant du camp des éradicateurs qui, selon lui, n'ont rien perdu du tout». Même si Ouyahia a refusé de répondre à la question de la dissolution de l'APN, dont la majorité FLN gênera forcément le président dans ses actions, il ne fait aucun doute, aux yeux des observateurs qu'il en sera ainsi dans les prochaines semaines. Idem pour le «règlement» de la crise du premier parti du pays, laissé aux seuls soins de la justice et de ses militants. Une formule passe-partout, mais qui en dit long sur les jours sombres qui attendent Benflis et ses fidèles après le sort qui avait été réservé, depuis 1999, au principal et plus redoutable adversaire de Bouteflika, Ahmed Taleb Ibrahimi en l'occurrence.