L'image véhicule un caractère d'objectivité: «On croit davantage à ce que l'on voit.» Aussi, l'image cinématographique établit-elle une ressemblance, par exemple, entre un objet réel et sa représentation supposée; sa fonction, celle de la ressemblance, appelée «iconicité», favorise, notamment, chez l'adulte un besoin d'images selon son objectif pour se distraire, se cultiver, se former ou s'informer. Particulièrement, l'image du passé se pose et s'impose comme existence au présent. Elle devient élément signifiant de souvenir dans la mémoire: c'est chose fort intéressante quand cette image, supportant un fait historique, le développe, l'anime, le charge de significations. L'image instruit Après plus de 2500 ans, dirais-je, la formule du sage chinois, l'immense philosophe Confucius, «Une image vaut mille mots» est encore assez suggestive pour nous inciter à comprendre que l'Histoire, partie de l'humanité ou d'un peuple, cette plus ancienne des sciences de l'Homme, ne peut être connue seulement par les documents écrits. L'image cinématographique - toute image, évidemment - est un document réalisé toujours pour le présent, et ce que nous appelons «film» peut avoir, directement ou indirectement, pour objet, et par un caractère tout à fait spécial, de rapporter, d'illustrer un fait historique... N'allons pas plus loin dans la réflexion: notre propos est étayé par le volumineux et obstiné travail de recherche de Achour Cheurfi, publié sous le titre Dictionnaire du cinéma algérien et des filmes étrangers sur l'Algérie: réalisateurs, comédiens, films (*), 1151 pages denses de texte serré. L'image instruit. Elle incite à penser, donc à juger. Cette idée n'est certes pas aussi abrupte que je l'écris. Pourtant, la mémoire, si courte que soit la période revisitée par l'image technique, concède sérieusement - parfois sans doute à l'insu de son concepteur (cas d'une réalisation cinématographique pour distraire) - la «vedette» à l'Histoire, à l'événement daté, - en somme, au fait scientifique qui devient le détail particulier situé dans le passé, dans la vie d'un peuple. Toutefois, si de tels films évoqués ne sont ni «historiens» ni «d'histoire», ils constituent une importante production cinématographique où l'on trouve l'expression sinon de la mémoire commune des Algériens, du moins une partie de la conscience individuelle de chacun, en formation. À ce propos, il est bon de prendre en considération l'intention de Achour Cheurfi, écrivant en «Liminaire générale» à son «Dictionnaire du cinéma algérien»: «Le présent dictionnaire de répertorier, recenser et présenter tous les films documentaires ou de fiction (courts métrages, moyens et longs métrages), produits par les Algériens ou les étrangers (ayant traité de l'Algérie), durant la période coloniale ou après l'indépendance. Il ne se limite point à des indications sommaires sur cette importante production mais ambitionne de fournir les éléments informationnels nécessaires afin de mieux la cerner, la comprendre et en tirer des enseignements. C'est dans cet esprit qu'en plus des notices concernant les films, nous avons cru utile d'ajouter des biographies de cinéastes, comédiens (de cinéma et de théâtre), directeurs de photographie ou compositeurs de musique de films, pour ce qui concerne le cinéma national.» J'y relève deux «expressions» fortes: «Tirer des enseignements» et «ce qui concerne le cinéma national». Voilà ce qui valorise et systématise l'intérêt du travail de recherche effectué par Achour Cheurfi, journaliste, écrivain (deux recueils de poésie: Cornaline, Chahla suivi de Danse infidèle et une pièce de théâtre: La Maison maudite) et chercheur. Il est auteur de plusieurs dictionnaires consacrés aux élites intellectuelles, politiques et artistiques de l'Algérie. On cite: un Dictionnaire encyclopédique de l'Algérie, une Anthologie algérienne, une Encyclopédie maghrébine, La presse algérienne: Genèse, conflits et défis, Encyclopédie des pays musulmans, Dictionnaire des localités algériennes, Petit dictionnaire du théâtre algérien de 1920 à nos jours. Notre cinéma est notre mémoire aussi Ainsi, Achour Cheurfi, en dépit des difficultés de toutes sortes induites par l'ampleur de la tâche dont les inévitables «coquilles», «omissions» et autres «erreurs» que rencontre, à son corps défendant, tout chercheur passionné, scrupuleux, méthodique, soucieux de puiser dans les bonnes sources, réussit à nous offrir des documents de qualité. Comme toujours, modeste face à son oeuvre, respectueux de ses lecteurs et conscient de l'imperfection de celle-ci et de «sa nécessaire perfectibilité par une mise à jour périodique et une critique renouvelée», Achour Cheurfi écrit: «Nous espérons que ce travail [...] pourra susciter des études approfondies, des réflexions et des débats susceptibles de contribuer à mieux éclairer les enjeux et les perspectives quant à l'importance, pour une nation d'élaborer elle-même ses propres images et de connaître par elle-même l'image qu'elle a auprès des autres nations afin de la consolider et au besoin la corriger. Il s'agit d'un besoin vital et d'une oeuvre de longue haleine d'autant plus que nous sommes entrés de plain-pied, et ce depuis plus d'un demi-siècle, dans ce qu'on peut appeler, sans complexe, la civilisation de l'image.» Pour des raisons méthodologiques et techniques, Achour Cheurfi présente son ouvrage en trois «volets», chacun présenté par un propos «Liminaire» explicatif: 1- Le cinéma national (1957-2012), 637 pages. 2- Le cinéma colonial (1897-1962), 76 pages. 3- Films étrangers sur l'Algérie (1962-2012), 339 pages. Suivent: Petit glossaire (11 pages), Chronologie sommaire (35 pages), Annexes (Textes juridiques, 36 pages), Bibliographie (10 pages), Indexe des noms cités (16 pages). Sans faire une fixation sur le manque d'illustrations (photos de réalisateurs, de techniciens, d'auteurs, d'acteurs, d'affiches de films, car je sais la complexité d'un tel ouvrage et les pesantes exigences matérielles que requiert l'ensemble du labeur, il me plaît de souligner la clarté de l'expression, de la présentation générale et la conviction sereine de Achour Cheurfi que l'avenir annonce des promesses d'une possible richesse de création audiovisuelle dans notre pays. Dans ce Dictionnaire du cinéma algérien, une étape importante dans la découverte ou la redécouverte de notre cinéma, de notre vérité, de notre identité, il y a une belle intention déclarée pour son évolution et sa promotion, pour son utilité à éveiller les jeunes consciences algériennes à se réapproprier leur patrimoine immatériel. Notre cinéma est notre mémoire aussi. Il suffit de lire ces quelques lignes émouvantes, encourageantes et justes de l'auteur: «Il s'agit de rendre hommage à tous ceux qui contribuent à nous donner l'image la plus fidèle de nous-mêmes en nous faisant rire ou pleurer, réfléchir ou rêver et, dans tous les cas, participent à la définition dynamique de l'identité de la nation à un moment où précisément, les repères, dans une mondialisation effrénée et univoque, traversent une zone de turbulences et subissent une forte érosion.» Je ne saurais terminer ce Temps de lire, sans saluer les exploits de nos jeunes cinéastes amateurs et professionnels qui, d'un festival à l'autre, font progresser et aimer le film amazigh sous la houlette de Si El Hachemi Assad, secrétaire général du HCA, commissaire du Festival culturel national du film amazigh. Le cinéma amazigh, bien évidemment, participe à la relance du cinéma national. (*) DICTIONNAIRE DU CINEMA ALGERIEN et des films étrangers sur l'Algérie par Achour Cheurfi Casbah-Editions, Alger, 2013, 1151 pages.