Les détenus ne se rappellent au souvenir de l'opinion que lorsqu'ils recourent à la jacquerie. L'Algérie, à quelques semaines des législatives de 2002, avait vécu au rythme de mutineries cycliques qui avaient touché pas moins de sept prisons entre février et mai. Après Mostaganem, un véritable drame avait secoué la prison de Chelghoum Laïd, faisant pas moins de 22 morts. Il devait être suivi par une autre mutinerie, à Serkadji celle-là, dans la cellule des mineurs, pour se solder par 19 décès. La liste des morts devait s'arrêter là. Pas celle des mouvements de colère. Une nouvelle tentative, étouffée dans l'oeuf, a en effet touché Serkadji, suivie de près par El-Harrach, Constantine, El-Khroub et la prison Laâlalig d'Annaba. Ces graves mutineries, qui avaient également fait plus d'une centaine de blessés, étaient trop rapprochées dans le temps pour ne pas soulever un nombre important de questionnements politiques, puisque c'est l'actuel chef de gouvernement qui trônait à la tête de la justice et qui devait payer de sa personne à la suite de l'échec de son parti aux législatives et sa démission du RND. Mais, quoi que fussent les «non-dits» de cet épisode sanglant de l'histoire récente de notre pays, il n'en demeure pas moins que ces mutineries en série trouvaient des justifications dans les conditions carcérales immondes subies par la majeure partie des détenus. L'aveu devait en être fait aussi bien par Ouyahia que par son ancien chef de gouvernement, Ali Benflis qui, à l'occasion, devait insister sur la nécessité d'accélérer la réforme pénitentiaire, instituant quelques semaines plus tard le portefeuille de ministre délégué à cet office, confié à l'un de ses plus proches collaborateurs, Abdelkader Salat. Par delà les constats et les actions menées par les autorités, dont les résultats, de l'avis de tous, tardent à se faire jour, il convient de souligner que la sonnette d'alarme avait maintes fois été tirée par les visites d'inspection de la Cicr. Normal, rétorquent les plus lucides observateurs qui savent que sur les quelques 150 prisons que compte le pays, pas moins d'une centaine date du siècle passé, et sont donc loin de répondre aux conditions minimales d'hygiène et de sécurité requises par les normes internationales. La surpopulation n'est pas non plus en reste puisque les statistiques les plus récentes en notre possession indiquent que le nombre de places disponibles n'est que de 36 000 alors que celui des détenus avoisine les 50.000. L'avocat Mohand Issaâd, qui présidait la commission nationale chargée de la réforme de la justice, avait eu le loisir de visiter pas moins de 13 établissements pénitentiaires. Son constat, contenu dans le rapport final remis au président Bouteflika, ne laissait pas d'être aussi alarmant. Issaâd, qui mettait en relief «les conditions de détention déplorables», ajoutait qu'«une bonne partie des prisonniers n'auraient même pas leur place dans ces établissement puisque la détention préventive, censée être l'exception, a fini par être transformée en règle». Ce véritable constat de désolation laisse prévoir que d'autres mouvements de colère, comme celui qui vient de secouer la prison de Béjaïa, ne se produisent un jour ou l'autre. Ouyahia, qui en a acquis l'expérience serait-on tenté de dire, serait bien inspiré, dès lors, d'accorder une priorité toute particulière à la réforme pénitentiaire, et même de la justice, afin de ne pas laisser mûrir cette bombe à retardement.