«Une civilisation qui s'avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente.» Aimé Césaire Je crois, qu'avant de parler de la production cinématographique, il serait bien de parler aux générations qui n'ont pas connu ces hauts lieux de convivialité qu'étaient les cinémas pour se rendre compte de l'ambiance dans laquelle ont baigné nos parents et celle que nous avons connue un tout petit peu avant la grande dégringolade civilisationnelle. Aller au cinéma était un rituel magique pour les familles qui pouvaient disposer d'un budget de loisirs modeste: on y allait seul, en couple, en bande de copains qui voulaient griller deux heures, les samedi après-midi ou tard dans la soirée. Cela commence d'abord par un petit attroupement devant le hall du cinéma où une immense affiche aguicheuse focalise tous les regards. Les noms des grands comédiens s'étalent en grand au-dessus du titre emphatique alors que celui du réalisateur est quasiment invisible. Des photos extraites des principales scènes sont épinglées en bas de l'affiche ou dans une vitrine aménagée à cet effet. Après le passage obligé devant la caissière qui coche les numéros des fauteuils que vous occuperez, vous êtes pris en charge par une ouvreuse attentionnée qui vous guide dans les rangées de fauteuils cramoisis. Déjà une musique sourd des haut-parleurs invisibles, invitant les spectateurs à patienter et à se mettre en condition pour une séance d'émotion. Qui dira la folle impatience des amoureux attendant fébrilement que s'éteignent les lumières pour effectuer les premières explorations réprouvée par la morale bien-pensante. Dès que les lumières s'éteignent, il y a un moment de flottement où chacun choisit la meilleure position pour goûter un moment de détente collective. Il y a d'abord, les inévitables Actualités «françaises» ou «Pathé» selon le circuit de distribution: elles sont vieilles d'une semaine mais paraissaient toujours fraîches car la télévision n'avait pas encore envahi les foyers. Ensuite, c'est l'entracte:les lumières s'allument dérangeant une partie des spectateurs qui voudrait que l'obscurité règne jusqu'à la fin... Des spots publicitaires diffusés lors du passage de l'ouvreuse qui passe avec des esquimaux qui ne tentent personne. La firme publicitaire, Afric-films, était sise rue Auber, quelque part dans Alger-Centre... Puis, la lumière s'éteint de nouveau, et des «lancements» invitent les spectateurs au prochain film qui tiendra l'affiche une semaine durant. Le rêve après le rêve... Mais les amoureux ne s'en soucient guère puisqu'ils se sont embarqué pour Cythère... Les 350 salles de cinéma léguées par l'infâme colonialisme fonctionnaient bien... Puis un jour, les cinémas ont été confiés à des gens qui n'avaient rien à voir ni de près ni de loin avec le cinéma. D'abord, à des comités de gestion,puis au Centre national du cinéma créé pour gérer l'activité cinématographique... Puis un jour, les salles ont été refilées aux APC. Ce fut le début de leur décadence. Le cinéma itinérant recréé par René Vautier donnait une autre dimension aux projections en plein air. C'était l'époque des premiers films produits par les pays socialistes. D'abord, la défunte Urrs avec ses films héroïques où la boue et la neige étaient les décors naturels des films de guerre ou «révolutionnaires». Les films d'Einstein, du Cuirassé Potemkine à Ivan le terrible, La Ballade du soldat de Grigouri Tchoukhraï, Le 41e sont devenus familiers des Algériens. Les films américains produits par les réalisateurs victimes du maccarthysme comme Le Sel de la terre ou Le train sifflera trois fois hanteront longtemps l'imaginaire des masses. La distribution finançait la production. Puis un jour, pendant qu'on restructurait les entreprises publiques pour les mettre à portée des charognards du privé, l'Oncic fut privé des ressources de la distribution. C'est ainsi que des cinémas furent transformés en fast-foods... Comment veux-tu qu'un cinéma se développe quand on lui coupe les vivres?