En 70 ans d'existence, la Ligue n'a rien fait pour s'adapter aux mutations en cours, allant jusqu'à justifier implicitement le GMO US. A mesure qu'approche la date butoir du 22 mai, les regards tournés vers Tunis, où doit se tenir le sommet de la Ligue arabe, craignent fort que ce dernier ne vienne à capoter. Si, de sources diplomatiques, on append que «l'Algérie y sera représentée à travers son président» et que «son engagement aux côtés des frères tunisiens reste sans faille», il n'en demeure pas moins que de nombreux leaders arabes laissent entendre qu'ils seront absents, ce qui pourrait amener Ben Ali à reporter de nouveau le sommet ou, pire, l'annuler faute de consensus sur les points cruciaux qui divisent encore ces Etats. Le souverain bahreïni, président en exercice, était pourtant tenu d'être présent afin de remettre le témoin à Ben Ali au lieu de se faire représenter par son Premier ministre, ce qui est «dommageable» au plan protocolaire. Le souverain saoudien avait fait connaître son absence quinze jours avant, même si l'information n'a été diffusée que récemment. A sa suite, Oman, le Koweït et le Yémen devraient suivre la même voie. Si des raisons diverses sont évoquées, la raison véritable de ces défections en masse est liée au fameux document élaboré au Caire autour d'un minimum consensuel relatif à la démocratisation des Etats arabes. L'Algérie, qui a déjà eu à se déclarer «non concernée» par le GMO US, avec son processus démocratique bien installé, refuse le rythme long de certains membres de la Ligue, sans pour autant aller jusqu'à imposer le sien aux au-tres. Les absences, qui répondent aux mêmes arrière-pensées que celles qui avaient précédé le premier sommet, reporté par Tunis à la veille de l'assassinat de Cheikh Yacine, seraient dues aux réformes que se proposent d'introduire certains Etats avant que les changements ne leur soient imposés de l'extérieur. Les Arabes, incapables de réagir face aux graves dérives qui se produisent en Irak et en Palestine, assistent en spectateurs à ces dépassements, toujours recommencés. Ainsi, la proposition de retrait unilatéral décrété par Sharon, à la suite de sa rencontre avec Bush, est-elle interprétée comme une remise en cause foncière du processus de paix puisque le bourreau de Sabra et Chatila se fixe comme délai fin 2005, qui se trouve être la même date censée sceller l'aboutissement du fameux plan de route. Idem pour l'Irak où une fantastique contradiction va faire changer un gouvernement transitoire par un autre du même type, ce qui est un non-sens aussi bien sur le plan politique que démocratique. Face à cela, les Arabes n'arrivent même pas à s'entendre s'ils doivent traiter ou pas avec ces Irakiens ramenés par les forces de l'occupation sur leurs chars d'assaut. La Ligue, condamnée à se réformer, au même titre que les régimes arabes rongés d'obsolescence, doit aller vers un secrétariat général tournant et démocratique. Elle doit également mettre en place des mécanismes forçant les Etats membres à appliquer les résolutions prises, ce qui n'est pas le cas présentement. Elle ne doit pas, en revanche, se faire la caisse de résonance de certains centres d'intérêts. C'est le cas de la proposition d'envoi de troupes arabes en Irak afin de venir en aide aux Américains qui s'y enlisent. L'Algérie, apprend-on, n'enverra de troupes ni dans ce pays ni dans aucun autre. «Quand bien même elle demeurerait la seule et la dernière, elle continuera de se battre contre la colonisation et le droit des peuples à l'autodétermination.» Il en est ainsi pour la question du Sahara occidental, puisque l'Algérie continue de demander à ce que cette question reste dans le strict cadre onusien et n'interfère en rien dans le processus d'édification de l'UMA. Ce sont également ces raisons qui semblent motiver les attaques, tantôt pernicieuses, tantôt directes, dont est victime notre pays de la part de la Libye, l'Egypte et le Maroc. L'Algérie, qui a recouvré de haute lutte sa place d'interlocuteur incontournable avec l'ensemble des Etats et groupes planétaires, qui va même être consulté par le G8 à propos du GMO et qui fait profiter les Américains de son expérience en matière de lutte antiterroriste, estime que si la démocratisation est devenue une nécessité absolue, refuse les changements globaux, «simple diversion» estime-t-on, que souhaite introduire Tripoli en transformant la Ligue en Union arabe. Alger, dont la position reste des plus honorables dans une situation mondiale où il n'est pas toujours facile de demeurer sans reproches, ne saurait accepter, dans l'état actuel des choses, de présider le prochain sommet, afin de ne pas hériter d'un mort-né ou, pire, assister au décès de la Ligue sous sa présidence. Si les Etats arabes veulent aller de l'avant, sans arrière-pensées politiciennes, nul doute que notre pays saura contribuer grandement à amorcer cette mue salvatrice pour toute la communauté, car dans le cas contraire, force est de souligner que notre pays n'a peur ni n'a besoin de personne, ce qui n'est guère le cas de beaucoup d'autres.