C'est un chef d'Etat en ayant gros sur le coeur qui a asséné certaines «vérités» aux quelques dirigeants arabes qui ont daigné répondre à son invitation. Le Sommet arabe a fini par s'ouvrir, hier, au Palais des nations, sans tenir toutes ses promesses. Une dizaine de chefs d'Etat et souverains n'ont pas daigné répondre à l'invitation algérienne, ce qui risque de vider de leur sens les réformes révolutionnaires attendues de cette rencontre, qualifiée par beaucoup d'historique. En témoigne, par exemple, la présence d'invités de marque représentant le monde entier, tels que l'ONU, la France, l'Espagne, l'Italie, le Japon, l'Inde et beaucoup d'autres. Bouteflika, en recevant le «témoin» de la présidence de la Ligue arabe du chef d'Etat tunisien, Zine El Abidine Ben Ali, s'est fondu d'un discours teinté de quelques improvisations qui ont fait grincer quelques dents, mais nettement rassuré les représentants de l'Union européenne, avec lesquels nous avons pu échanger quelques impressions. Comme nous l'escomptions dans l'édition qui avait suivi l'attentat de Doha, c'est le terrorisme et le GMO, bien plus que les réformes qui ont accaparé le haut du pavé dans le discours présidentiel. Bouteflika, qui a commencé par noter la «disparité» qui existe entre le patrimoine du monde arabe et la terrible situation qu'il vit présentement, a immédiatement enchaîné sur le terrorisme. «Un phénomène transnational, martèlera-t-il, qui n'a rien à voir avec nous, car il porte avant tout atteinte au monde arabe, ainsi qu'à l'image de l'islam.» «L'Algérie, dira-t-il encore, est d'autant plus à l'aise pour dénoncer et en parler qu'elle en a été la première victime.» Longtemps durant, elle a été obligée de se battre seule. Les attentats du 11 septembre, puis du 11 mars n'ayant été que le «microscope» qui a fait découvrir au monde entier ce que l'Algérie n'avait eu de cesse de montrer et de combattre, dans un isolement quasi absolu. Ce reproche, quoique teinté de toute la diplomatie de circonstance, s'est voulu être un rappel de certaines vérités «amères» en attendant, promet le président, que «le voile soit levé sur certains faits historiques». D'ores et déjà, il est possible de dire que «la grogne sociale n'a pas été la seule derrière la montée de ce phénomène, puisqu'il a été nettement encouragé par la guerre en Afghanistan ainsi que l'injustice criante qui continue de caractériser la question palestinienne en particulier, et les rapports entre les Arabes et l'entité sioniste en général». Ce n'est pourtant pas une raison pour se plier à l'hégémonie US. Bouteflika, qui s'est exclamé, à propos du Grand Moyen-Orient (GMO) que «rien ne sera imposé à l'Algérie», souligne que «ses réformes ont été entamées volontairement, et bien avant l'apparition de ces nouvelles donnes militaro-géostratégiques». D'où le conseil lancé à la communauté arabe de se prémunir contre toute agression en «recourant systématiquement à la légalité internationale, mais aussi en entamant des réformes, chacun à son rythme et suivant ses spécificités propres». En attendant, comme le soulignera à son tour le Président du Conseil espagnol, «il faut oeuvrer à éviter le choc des civilisations, lequel génère des tensions favorables aux extrémismes, tous les extrémismes». Ici, l'allusion est clairement faite au terrorisme d'Etat d'Israël, dénoncé en des mots crus par Bouteflika, qui continue de soutenir que la paix est simplement impossible tant que l'Etat palestinien n'aura pas été reconnu et que les troupes de Tsahal ne se seront pas repliées derrière les frontières qui prévalaient en juin 1967. L'Algérie, qui «ne reniera jamais sa famille arabe», estime que ce Sommet est d'une importance capitale, car il intervient en une phase capitale, durant laquelle «de grands défis attendent tout un chacun». C'est, du reste, l'idée globale défendue auparavant par le président tunisien, puis le secrétaire général de la Ligue arabe. Ben Ali se félicitant de cette année de progrès notables enregistrés par la Ligue arabe sous la présidence tunisienne, a rappelé que «les réformes ont été entamées durant cette période, notamment à travers le lancement d'un marché commun arabe». Pour l'orateur, venu céder sa place à Bouteflika, il est impérieux de s'adapter aux changements en allant vers une meilleure coopération au sein et entre les membres de la Ligue arabe. Sans évoquer nommément le terrorisme, Ben Ali a touché du doigt le «fossé» en train de se creuser entre l'Occident et le monde arabe. Une occasion pour saluer le plan portant dialogue des civilisations, initié par Zapatero, exceptionnellement présent à ce sommet. Le secrétaire général de la Ligue arabe, qui se met à la disposition de la présidence algérienne, et qui rappelle même que son mandat expire dans une année, lors du Sommet soudanais de mars 2006, a axé son intervention sur les importantes réformes attendues lors du Sommet d'Alger. Quatrième point inscrit à l'ordre du jour, ces réformes émanent de l'Algérie. Elle se propose, tant que faire se peut, de placer la Ligue arabe au diapason de ce qui se fait ailleurs dans le monde. Il est question, entre autres, est-il besoin de le rappeler, de mettre en place un parlement transitoire et de changer le mode électoral. Durant la présidence algérienne, que beaucoup anticipent en la qualifiant de «dynamique», il sera également question de préparer le terrain en faveur de la création d'un Conseil de sécurité et d'une Cour pénale arabes. Amr Moussa, fortement soutenu en cela par Bouteflika, a mis en exergue les finances «lamentables» du secrétariat de la Ligue, exhortant les pays membres à s'acquitter régulièrement de leur quote-part. Zapatero, dans un discours très apprécié, a axé sur la «prévention» en préconisant «le dialogue des civilisations», mais aussi une «éducation plus conforme destinée aux générations futures». C'est du reste l'axe qu'ont également choisi Michel Barnier, ministre français des Affaires étrangères, ainsi que Javier Solana, Haut représentant de la commission européenne des Affaires étrangères. Il a été également abordé les principaux points prévus à l'ordre du jour de ce Sommet, abondant très souvent dans le sens des thèses arabes, y compris pour ce qui concerne les questions palestinienne et irakienne. Plusieurs autres responsables étrangers ont également pris la parole en cette séance qui a duré plusieurs heures. La séance de la soirée, qui devait voir la participation du secrétaire général de l'ONU, venu exposer son plan de réformes, mais aussi l'élargissement du Conseil de sécurité, ne devait pas prendre fin avant une heure avancée de la nuit. Nous y reviendrons en détail dans notre prochaine édition.