Dommage que le maestro turc, de la critique cinématographique, Attila Dorsay, ait fait l'impasse sur cette 67e édition cannoise, car on aurait été curieux de connaître son avis sur le cas «Ceylan» en général et cette Palme d'or pour Winter Sleep en particulier. Dans sa fameuse lettre à Antonioni, Roland Barthes énonçait au cinéaste italien les trois vertus qui constituaient à ses yeux l'artiste: la vigilance, la sagesse et la plus paradoxale de toutes, la fragilité. Si l'on ne s'en tenait qu'à ce seul triptyque, suggéré par le célèbre sémiologue français, le jury, présidé par Jane Campion a choisi un artiste, au plein sens du terme, pour lui remettre la Palme d'or... Nuri Bilge Ceylan, l'heureux récipiendaire de cette année qui a empreint son film Sommeil d'hiver de cette puissante charge émotionnelle et d'une profonde sérénité mérite bien son vocable d'artiste... «Quand j'ai vu la durée du film, j'ai eu peur», avoua la présidente du jury, Jane Campion, avant de se laisser prendre par cette «sorte de cycle tchekhovien». Winter Sleep (Sommeil d'hiver) est un magistral huis clos de plus de trois heures, qui n'a pas certes le souffle d'Apocalypse Now de F.F. Coppola ou de son référent, Le Sacrifice de Andreï Tarkovski, mais il a sa propre verve. En fait, il vous fait l'effet d'un bon livre dont l'épaisseur peut refréner votre entrain, mais que vous ne pourrez qu'entamer la lecture jusqu'à la dernière page, parce que vous vous retrouvez assiégé dans une auberge de Chréa ou sur les hauteurs du Chélia, dans les Aurès, coupés du reste du monde par la neige, en quantité «assiégeante»... Du reste, comme les protagonistes du film de Ceylan, enfermés en un huis clos dans le décor enneigé de l'Anatolie couverte de neige... La mystique fait le reste... Mais Ceylan, contrairement au plus doué des cinéastes turcs Omer Kavur, use de cette «texture», jusqu'à la corde, ce qui donne quelquefois cette forte impression de tourner en rond, mais si les cercles dessinés ont leur propre beauté, indéniable... Omer Kavur et son merveilleux Visages secrets (1991) est le cinéaste turc le plus gentiment ou intelligemment pillé mais «copié» quand même... Le problème de la critique occidentale (mais ne généralisons pas quand même) c'est qu'elle ne fait pas preuve de curiosité (voire de culture générale renouvelée) dès qu'elle n'est plus sur ses terres «séculaires»... Ceylan est un grand penseur qui s'exprime par l'image, mais est-on sûr qu'il ne s'agit pas là d'une forme de cinéma expérimental, d'une autre dimension, mais expérimental quand même? Dommage que le maestro turc, de la critique cinématographique, Attila Dorsay, ait fait l'impasse sur cette 67e édition cannoise, car on aurait été curieux de connaître son avis sur le cas «Ceylan» en général et cette Palme d'or pour Winter Sleep en particulier... Mais bon, ne boudons pas notre plaisir et taisons pour un temps notre souci éthique, le jury aurait bien pu décerner sa plus haute distinction à Deux jours, une nuit des Frères Dardenne, les enfants doués, mais malins, du cinéma belge... Mais cette fois, la ficelle, un peu grosse, n'a pas pris, apparemment, bien que ce film soit digne d'intérêt, mais délesté de cette pensée qui a habillé d'un humanisme certain leur (première) Palme d'or, Rosetta (1999)... Les Dardenne ont lu Pierre Bourdieu, certainement et encore plus sûrement son fameux La Misère du monde (1993), et leur idée ressemble à s'y méprendre Le désarroi du délégué un des entretiens contenus dans cet ouvrage... L'histoire de Hamid, délégué syndical CGT, à l'usine de voitures (Sochaux-Montbéliard) qui découvre avec effroi que ses camarades ont signé en son absence une pétition demandant l'exclusion (non pas du secteur, mais de l'usine, carrément) d'un de leur collègue qui n'a pas d'expérience du travail à la chaîne, alors qu'il avait plus de 10 ans de présence sur le site! Hamid tentera en vain de faire revenir un à un ses collègues, ses chefs, en vain...Sans commentaire... Marion Cotillard ne peut pas être une Hamida, il est vrai... Sinon, rien à dire sur la consécration du bouleversant Xavier Dolan qui a fait un discours de remerciements à la hauteur de cet humanisme que contient son Mommy qui va laisser des traces, certainement. La Caméra d'or est allée à ce film incroyable Partie girl réalisé par un trio tout droit sorti d'école de la Fémis, Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis. En 2008, leur court métrage Forbach avait déjà été primé à Cannes. En 2014, le trio est revenu à Cannes avec l'histoire bouleversante et tout en paillettes de la mère d'un des auteurs, Samuel Theis. Ce portrait fassbindérien a fait l'unanimité et c'est tant mieux... Mais pour en revenir et conclure sur ce Palmarès, disons qu'il est à l'image de sa présidente qui n'a pas dû laisser beaucoup de marge de manoeuvre aux autres membres de son jury. Intéressant, mais un peu trop «personnel», comme une leçon de piano aux mêmes résonances pour tous les candidats au diplôme du meilleur pianiste, quoi!... PALMARÈS - Palme d'Or «Winter Sleep» de Nuri Bilge Ceylan - Grand Prix du jury «Les Merveilles» de Alice Rohrwacher - Prix d'interprétation masculine Timothy Spall dans «Mr. Turner» - Prix d'interprétation féminine Julianne Moore dans «Maps to the stars» - Prix de la mise en scène Bennett Miller pour «Foxcatcher» - Prix du scénario Andreï Zviaguintsev pour «Leviathan» - Prix du jury ex-aequo «Mommy» de Xavier Dolan et «Adieu au langage» de Jean-Luc Godard - Caméra d'Or «Party Girl» de Marie Amachoukeli, Claire Burger et Samuel Theis