la société algérienne est à la croisée des chemins. Au moment même où Boubekeur Benbouzid sommait les écoles privées de se conformer au programme tracé par le ministère de l'Education nationale, le ministre de l'Intérieur, Nouredine Yazid Zerhouni, qui se réunissait avec la commission de l'Assemblée nationale compétente, rejetait la proposition de projet de loi prévoyant la levée de l'état d'urgence. Aussi, la société algérienne est-elle à la croisée des chemins. Concernant l'école, c'est un fait que la réforme a commencé, doucement, mais sûrement. Si vous jetez un regard sur les nouveaux livres et manuels scolaires, vous vous rendrez compte par vous-mêmes qu'un vent nouveau est en train de souffler. Le renouveau sera long, étalé dans le temps, du moins si la volonté de rattraper le retard et de se mettre au diapason des pays avancés est maintenue, c'est-à-dire si le fleuve n'est pas détourné, pour reprendre l'expression de Rachid Mimouni. Dans ce contexte, l'école privée a-t-elle le droit de faire cavalier seul, en se tenant à l'écart du mouvement de réforme qui touche le pays ? C'est une question qui mérite un débat approfondi. A-t-on le droit de lever l'état d'urgence tant que l'école algérienne n'a pas encore été réformée? Vous ne voyez pas le rapport entre les deux sujets? Moi non plus, figurez-vous. C'est juste la coïncidence entre le rejet par Zerhouni de la proposition de loi parlementaire et la semonce de Benbouzid aux écoles privées qui nous fait penser que peut-être il y aurait un lien, même si on ne le voit pas, même s'il n'est que sous-entendu. Cela nous fait penser à cet autre coup de semonce du général Lamari, lors de sa conférence de presse tenue en 2003, dans laquelle il affirmait que si le terrorisme est vaincu sur le terrain, l'intégrisme, qui lui sert de substrat, continue d'avoir de beaux jours devant lui. Bon, alors, faut-il lever l'état d'urgence? Et faut-il autoriser les écoles privées à appliquer un programme scolaire à la carte? En fait, si on retourne la question autrement, la problématique pourra se poser en ces termes : tant que l'Etat lui-même était intégrisme, il n'avait pas besoin de l'état d'urgence pour favoriser une école sinistrée, de plus en plus gagnée par un enseignement scolastique moyenâgeux, alors que les canaux audiovisuels diffusaient des prêches et des feuilletons religieux, que les mosquées distillaient un discours politique facilitant l'intrusion brutale du sacré dans la gestion des affaires de la cité, et que le parlement votait un code de la famille qui faisait faire à la société algérienne un virage à 160° au détriment des sacrifices consentis par la femme durant la Guerre de libération. Mais aujourd'hui que le pays retrouve un semblant de quiétude et de stabilité, que l'économie connaît des taux de croissance décents, que l'école quitte, doucement mais sûrement, les ornières et les déviations à cause desquelles elle a formé quelques petits tueurs en série, le mieux ne serait-il pas de se demander ce qu'il faut faire pour maintenir le cap, et cela dans tous les domaines? L'état d'urgence dérange qui en fait? Les démocrates ou les apprentis dictateurs? La demande de la levée de l'état d'urgence fait beaucoup plus partie des jeux de coulisse politiciens que d'une véritable aspiration démocratique. Ses propres promoteurs le savent. Il est sûr et certain que Messieurs Zerhouni et Benbouzid ne se sont pas concertés sur le rapport qu'il y a entre l'école privée et le maintien de l'état d'urgence, mais le fait que les deux questions viennent taquiner l'actualité dans le même espace de temps n'est pas innocent. Alors s'il faut maintenir l'état d'urgence, jusqu'à l'élimination plus ou moins totale des poches de violence, tout en préparant une école moderne qui forme les enfants d'Algérie à affronter les défis du 3e millénaire, sans remettre en cause et la liberté d'expression et l'existence d'une école privée qui peut être un complément à l'école publique, pourquoi pas?