La commission des droits de l'Homme de l'ONU et les ONG suivent le dossier de très près. Disons-le tout de suite : il est pratiquement im-possible de dissocier les griefs retenus contre Hafnaoui de ce qui se passe dans la ville de Djelfa. Remarquez bien qu'il s'agit de la ville la plus indigente d'Algérie, qui présente un taux le plus bas en matière de réussite au bac, qui présente le taux de chômage le plus élevé en Algérie et dont le développement, sur tous les plans, est quasiment à l'arrêt, puisque la zone industrielle, qui faisait travailler quelques milliers d'ouvriers, est fermée depuis plusieurs années. Voilà en susbtance, ce qu'est Djelfa. Il serait injuste de ne pas dire que depuis l'installation du nouveau wali, beaucoup de choses ont été réalisées, notamment en ce qui concerne le logement. Beaucoup de ceux qui ont habité des bidonvilles, de 1962 à ce jour, ont été logés en juin-juillet 2003 dans des cités très propres. Mais, hormis cela, et l'embellissement de la ville, lui offrant une façade enjolivée, l'état des lieux est lamentable. Imaginez que nous ayons affaire à une ville à tradition orale, agropastorale et tribale. Chacune de ces trois caractéristiques implique une somme importante et inquiétante d'effet, de retombées sociologiques, et partant, politiques graves. La presse dont fait partie Hafnaoui, travaille dans un environnement hostile, ennemi, dangereux. Il n'est pas imaginable d'aller divulguer par écrit, des informations tenues au secret sans encourir quelque danger. Dans une ville qui n'offre ni travail ni perspectives, les postes de travail sont rares, et coûtent cher. D'où une expansion vertigineuse des corrupteurs et des corrompus. L'enseignement, qui constitue l'un des rares secteurs où il est encore, possible de décrocher un poste d'enseignant, est miné, gangrené, rongé par la corruption. Tout se monnaye. Un simple regard sur les cinq dernières années permet de mesurer l'ampleur de la ruine de ce secteur : plusieurs responsables du secteur ont été révoqués ou sont passés devant la commission de discipline. Le secteur agropastoral draine un budget colossal consenti par l'Etat afin de rendre arables les grandes steppes du Sud. Et là, il y a beaucoup de choses à dire, de poches à remplir et de responsables à induire en erreur. Des aides, à coups de milliards de centimes, ont été données, pour «tomber» sur un sol sablonneux, une eau salée et Dieu sait quoi encore. En 1999, une enquête poussée dans les deux villes de Djelfa et Tiaret, publiée sous le titre de «80 milliards pour... des navets», nous a valu une levée de boucliers de la part des responsables locaux. C'est dire le contexte dans lequel travaillent les journalistes locaux, souvent très échaudés par les lièvres qu'ils vont débusquer et les mauvais secrets qu'ils vont divulguer. Pour le cas Hafnaoui, ses problèmes ont commencé le 20 juillet 2003. Ce jour-là, on préparait la venue du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, à Djelfa, prévue pour le 22. Hafnaoui, correspondant d'El-Youm et militant des droits de l'Homme, prépare la fête à sa façon. Profitant de la présence des journalistes d'Alger, il distribue un «long réquisitoire» à la presse. C'est son «rapport sur les atteintes aux droits de l'Homme à Djelfa». Il remet des copies à Metaoui, d'El-Watan, à Bensbaâ, du Matin, à Chafik, d'Al Ahrar, et à LExpression. Il dénonce tout : le wali, le chef de cabinet, la répression policière, les abus d'autorité, les trafics d'influence et les dysfonctionnements de l'administration. Première riposte : le wali nous invite à un point de presse, auquel Hafnaoui n'est pas invité. Depuis, c'est une guerre sourde qui mène au scandale des 13 bébés morts en l'espace de 45 jours, puis à l'incarcération, suite à quelque 13 (admirez le chiffre de mauvais augure !) griefs retenus contre lui par le tribunal de Djelfa. On y trouve de tout : diffamation, vol, abus et plus. Des associations à caractère culturel et sportif, des citoyens «panégyristes» du wali (admirez le style très poétique de l'affaire) rédigent des lettres de dénonciation de cette presse à scandale et apportent un soutien appuyé au wali. La lettre est renforcée par une «pluie» de cachets humides de toutes ces associations, «mises à contribution par le chef de cabinet de la wilaya», insistent trois correspondants de la presse arabophone. «Avec le wali, on pouvait s'entendre, mais son chef de cabinet bloque toutes les correspondances à son niveau, isolant de fait le wali», ajoutent-ils. C'est apparemment l'affaire des 13 bébés morts qui a valu à Hafnaoui l' «honneur» d'être la cible de toute l'artillerie administrative et juridique de la ville. Pourtant, dans l'affaire, il y eut des manquements graves. Le directeur a été relevé de ses fonctions, le personnel médical a dénoncé certains dysfonctionnements et le syndicat local reconnaît les lacunes. Mieux, des médecins privés nous ont clairement affirmé que le problème de la santé publique se pose à Djelfa depuis plusieurs années, notamment, dans les services maternité, pédiatrie et chirurgie, où des scandales «à la pelle» ont été délibérément étouffés. D'ailleurs, avant que Hafnaoui ne jette le pavé dans la mare, un journaliste d'Al Khabar est entré secrètement en août 2003, dans la partie «morgue» de l'hôpital de Djelfa et y a photographié ce qui devait être le scandale de l'année. Ayant eu vent de l'affaire par le biais d'un infirmier scrupuleux, il pénètre dans la morgue (qui était en panne de courant depuis plusieurs jours) et devant lui, s'offre un spectacle pétrifiant : les corps décomposés de quatre bébés avaient fait germer des vers, qui avaient quitté les casiers pour se déployer dans toute la salle. Le journaliste d'Al Khabar dut subir pendant quelques jours les «retombées» de sa hardiesse. Et c'est Hafnaoui qui prit le relais... La manipulation de la justice dans l'incarcération de Hafnaoui réside surtout dans le fait que prise sous les coups des écrits de presse, l'administration de Djelfa mit à contribution le mouvement associatif, manipula ses concitoyens (il y en a toujours qui en veulent à un journaliste) et porta sur la place publique des faits concernant la vie privée de Hafanoui lesquels n'ont rien à voir avec l'affaire, essayant par là de ternir son image aux yeux de l'opinion, d'influer sur la justice et mettre toute une «ville propre» sur le dos d'un «correspondant sale». En fait, n'oubliez pas que c'est à Djelfa que s'est tenu, en catimini, le congrès des redresseurs du FLN, premier coup d'estocade porté à Benflis et que le jeune entrepreneur, Taleb Djamel, qui s'est immolé par le feu, est de Djelfa. Tout un symbole, toute une indication.