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Le mythe et la réalité
Publié dans L'Expression le 26 - 07 - 2014

«Le caractère le plus profond du mythe, c'est le pouvoir qu'il prend sur nous, généralement à notre insu.» Denis de Rougemont
Les écrivains, avant d'avoir une fertile imagination, sont avant tout de fins observateurs de la société où ils vivent. Chaque Ramadhan que Dieu fait, me renvoie immanquablement à ce philosophe-écrivain formidable que fut Albert Camus, bien que la polémique surgit dans les rédactions ou dans les discussions de café chaque fois qu'on évoque le nom d'Albert Camus. C'est surtout à propos de son engagement ou de son non-engagement lors de la guerre d'Algérie.
Beaucoup d'encre et de salive ont coulé à ce propos sans avoir tranché sérieusement ce propos tant le cheminement du philosophe a été difficile entre les positions marquées des uns et des autres. Nous n'allons pas nous attarder sur leurs fondements que l'on a comparés souvent, a contrario, à ceux de Jean-Paul Sartre, Georges Arnaud, François Mauriac ou Francis Jeanson. Rappelons toutefois que ce prix Nobel a commencé sa carrière très modestement dans les colonnes d'Alger républicain à l'heure où beaucoup d'intellectuels français ont été séduits par la victoire éclatante du Front populaire et par des perspectives de carrière dans son sillage. On peut énumérer les nombreuses troupes et équipes constituées pour réaliser de nombreux produits culturels qui ont marqué positivement cette période.
Mais ce que l'on retiendra surtout de Camus, c'est l'introduction de l'absurde dans la philosophie et la littérature. Il faut bien constater que tout philosophe, avant d'être un penseur et un fabricant de concepts, est surtout un fin observateur de la société où il vit.
Ainsi, son Mythe de Sisyphe qui peut concerner l'humanité entière dans la vaine recherche du bonheur peut coller parfaitement à la réalité algérienne telle que nous la connaissons aujourd'hui. Il faut rappeler au lecteur son origine dans la mythologie grecque. Selon Hesiode, Zeus renversa Chronos son père alors roi de l'Univers (on voit que ce ne sont pas les Africains qui ont inventé le coup d'Etat!) et les Titans, autres enfants de Chronos, s'insurgèrent contre le tyran Zeus. Celui-ci les vainquit et les punit durement à sa manière: Prométhée qui donna le feu aux humains fut enchaîné à un rocher et condamné à voir son foie bouffé éternellement par un aigle (déjà les Grecs savaient que le foie est un organe qui peut se régénérer), Atlas fut condamné à porter le Monde sur ses épaules. Tantale enchaîné aux enfers devant des victuailles inaccessibles salivera inutilement éternellement et Sisyphe à rouler un rocher du bas d'une colline jusqu'à quelques mètres du sommet: inévitablement, le rocher dégringole et Sisyphe doit tout recommencer.
Ainsi, l'Algérien moyen, tel Tantale, usera inutilement ses yeux devant le luxe insultant déployé par une minorité d'accapareurs. Il aura aussi son revenu éternellement bouffé par les impôts et l'inflation, comme il devra porter sur ses frêles épaules tout le poids des politiques d'austérité.
L'intellectuel, écrivain ou journaliste sera mis au cachot pour avoir jeté sa vérité crue sur le papier salissant d'un quotidien. Quant au Sisyphe algérien, le consommateur au salaire inconsistant, il devra, durant chaque année,, travailler et économiser pour affronter les dépenses astronomiques que lui imposent: le Ramadhan pour la bouffe, l'Aïd El Fitr pour les habits des gosses, la rentrée scolaire pour les effets vestimentaires et les articles scolaires, le mouton pour l'Aïd El Adha, le trousseau de la fille à marier, le budget pour marier le fils, les pétards du Mouloud, le pèlerinage des vieux, sans compter les autres obligations protocolaires. Mais, contrairement au Sisyphe voué à une éternelle condamnation, il ne restera au consommateur algérien que le cimetière pour s'y reposer toute l'éternité qui l'attend.


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