Le gouvernement islamo-conservateur turc a poursuivi hier son opération de nettoyage de la police en procédant à un nouveau coup de filet visant des dizaines d'officiers accusés de «complot», sur fond de bras de fer avec l'institution judiciaire. Au petit matin, les forces de l'ordre ont interpellé une trentaine de policiers, dont l'ex-patron de la brigade financière d'Istanbul, Yakup Saygili, à l'origine de l'enquête anticorruption qui a éclaboussé le régime l'hiver dernier, ont rapporté les médias. Ces fonctionnaires sont soupçonnés d'avoir voulu «renversé le gouvernement», a précisé la chaîne d'information NTV. Depuis le mois de juillet, plusieurs dizaines de policiers, dont des gradés de haut rang, ont déjà été inculpés et écroués dans le cadre d'une enquête ouverte pour «complot» et «constitution et direction d'une entreprise criminelle». Le procureur en charge du dossier leur reproche notamment d'avoir écouté illégalement des conversations téléphoniques de l'ancien Premier ministre et nouveau président Recep Tayyip Erdogan pour le compte du mouvement religieux de Fethullah Gülen. M. Erdogan reproche à son ancien allié Gülen, qui vit aux Etats-Unis depuis 1999, d'être à l'origine des graves accusations de corruption lancées contre lui et son entourage en décembre et d'avoir voulu faire tomber son régime. M. Gülen a toujours démenti. L'essentiel des éléments à charge qui ont visé l'homme fort du pays a été obtenu par des écoutes téléphoniques et publié sur les réseaux sociaux. A la tête du gouvernement depuis 2003, M.Erdogan, 60 ans, a été élu chef de l'Etat pour un mandat de cinq ans et a pris ses fonctions jeudi. Lui comme son nouveau Premier ministre Ahmet Davutoglu ont juré de poursuivre leur combat contre l'organisation de M. Gülen, très influente dans la magistrature et la police, qu'ils accusent d'avoir formé un «Etat parallèle». «Ce n'est pas la fin de la procédure. Il pourrait y avoir une nouvelle vague (d'arrestations) si de nouvelles informations ou de nouvelles preuves apparaissent», a commenté M. Erdogan hier avant de prendre l'avion pour Chypre Nord, destination de son premier voyage officiel de chef de l'Etat. «Nous suivons tout ça de très près», a-t-il poursuivi devant la presse. Dans la foulée du scandale de corruption révélé en décembre, le gouvernement a procédé à des purges massives visant des milliers de policiers et magistrats et fait voter une loi renforçant son contrôle sur les nominations de juges et de procureurs, suscitant de nombreuses critiques de l'opposition et de pays alliés de la Turquie. Dans son discours de rentrée judiciaire, le plus haut magistrat turc a précisément mis en garde hier le pouvoir politique contre toute «interférence» avec la justice. «Un pouvoir judiciaire sous l'influence de l'exécutif ne peut pas remplir correctement son rôle qui consiste à empêcher l'arbitraire et l'illégalité», a souligné le président de la Cour suprême d'appel, Ali Alkan. Signe des tensions qui opposent le pouvoir politique et les juges, le chef de l'Etat et le Premier ministre ont boudé la cérémonie de rentrée judiciaire. Hasard du calendrier, la presse turque a rapporté hier que le bureau du procureur d'Istanbul avait prononcé un non-lieu contre 96 personnes poursuivis dans un des volets du scandale de corruption de l'hiver dernier, parmi lesquels l'un des propres fils de l'ancien Premier ministre, Bilal Erdogan.