Le «gars» de Belcourt a pu graver son nom dans le marbre de l'histoire. Il y a une année, tout juste, l'homme au «Shanghai» nous quittait à jamais. Et depuis, 365 jours passés, la verve mélodique qu'il avait ingénieusement introduite dans la musique chaâbie, réputée, il fût un temps, pour son conservatisme, continue à titiller nos oreilles et accroître, plus qu'avant, notre passion pour ce patrimoine musical qui, au fil des années, a vu «rugir» tant de géants tels El Anka, Mahboub Bati, Hadj Menouar... Mohamed El Badji, que certains mélomanes bon teint, surnommaient «le blues man» du chaâbi tant furent magiques les notes musicales et les envolées lyriques qu'il puisait, on ne sait comment, dans un gisement intarissable d'inspiration, était, à proprement «rimer», de cette trempe de titans. Pour les uns, «Khouya El Baz» avait dans les années, 60 et 70, aux côtés de Mahboub Bati, un autre monstre de la poésie populaire, bousculé les moeurs musicales et affaibli la mainmise des conservateurs «les meddahines» sur cet art patrimonial. Intrépide, le poète savait contourner les critiques et les «contre-offensives» que lui ont livrées sans état d'âme, ses détracteurs. Nullement impressionné, El Badji, continua, contre vents et marées, à donner libre court à son immense talent. Le succès fut immédiat. La notoriété aussi. Une pléiade de chansonnettes: Alik Bel Hana Ou Damane, Bahr Ettoufane, Saâ El Akhira, Ana Ounti Ya Guitara pour ne citer que les plus belles sont alors écrites pour des chanteurs aussi talentueux que Amar Ezzahi, Boudjemaâ El Ankis, Abdelkader Chaou...Excusez du peu! Ainsi le «gars» de Belcourt a pu graver son nom dans le marbre de la scène artistique. El Badji, pour ceux qui le connaissent moins, était d'abord, un homme d'une grande sensibilité, un romantique de la plus belle eau. Son coeur «bouillonnant» vibrait au rythme de la musique qu'il composait. C'est ainsi qu'au fond de sa cellule de forçat la tristement célèbre prison de Serkadji -parce que torturé et condamné à mort à la suite de sa participation à la grève des huit jours en 1957 déclenchée à Alger par le FLN de Abane Ramdane donnant effet à la mythique Bataille d'Alger- que Mohamed El Badji avait composé «El Maknine Ezzine». Un hymne à la liberté qu'ont interprété, unanimement, les plus grandes figures du chaâbi. Aussi, notre chanteur était un observateur avisé de l'évolution de la société. Fredonnant tantôt des panégyriques religieux, tantôt des textes portant sur des phénomènes sociaux: l'alcoolisme, la pauvreté, etc. Sur le plan politique, fort de son militantisme, il était un nationaliste «dur à cuir» appelant, à qui veut l'entendre, au respect des libertés et des constantes de la nation algérienne. Socialement, l'artiste menait son petit bonhomme de chemin loin des feux de la rampe. Modeste, il n'a su, ou peut-être pu, se greffer à cette frange de musiciens «grosses têtes» considérant ces derniers comme nuage d'été voués, tôt ou tard, à l'éclipse. Il habitait une maison coloniale à ex-La Redoute à El Mouradia(Alger), à l'intérieur de laquelle, il a confectionné les plus grandes qacidates faisant la fierté de notre patrimoine musical. Pour la petite biographie du Cheikh, Mohamed El Badji, a fait son entrée dans le monde de la musique par les portes des «confréries andalouses» qui pullulaient dans l'Alger des années 30-40. C'est ainsi d'ailleurs, qu'en 1947, il se mit à fréquenter le cercle des Scouts musulmans algériens d'El Mouradia. Il adhère, par la suite, au groupe El Amane où il va militer aux côtés de l'illustre Didouche Mourad. Libéré en 1962, après six ans d'incarcération, il occupe un modeste emploi de 1963 à 77 au ministère de la Justice avant son départ définitif pour la retraite. Il y a une année. C'était un samedi. Vers 10h. A la rue Haddi-Dekkar où se trouve son domicile, Mohamed El Badji avait rendu son dernier souffle. Il avait 70 ans...