Des échauffourées ont éclaté hier matin entre les forces de l'ordre et les habitants de la cité Diar El Kef, à Oued Koreich sur les hauteurs de Bab El Oued. A la source de ce mal: les habitants de la cité sont menacés de délogement vers des chalets dans la région de Bordj El Kiffan. Il est 10h. Un impressionnant dispositif sécuritaire est déjà mis en place. L'accès à Triolet est interdit aux véhicules. L'axe routier reliant Triolet à Chevalley est barré par les citoyens. Ces derniers se sont mis en groupes tout en brandissant des slogans contre la «hogra» et la répression dont le wali délégué de Bab El Oued est accusé. Cependant, le sit-in pacifique organisé s'est vite transformé en émeute. L'atmosphère devient électrique. Des dizaines de jeunes, gagnés par une colère qui ne dit pas son nom font recours aux jets de pierres. Un torrent de projectiles s'abat sur le groupe de CNS. Ces derniers usent alors de leurs matraques. La foule a été dispersée, et une douzaine d'émeutiers arrêtés. Mais ce bras de fer n'a fait que susciter le remous d'un important groupe de protestataires qui observait le déroulement de la situation de la hauteur de la cité Diar El Kef. Très vite, les hostilités reprennent. Voyant le pourrissement de la situation ils se lancent dans «la bataille». De nouveau, une avalanche de pierres s'abat sur les troupes de CNS qui tentaient de disperser l'impressionnante foule regroupée devant les cinq bâtiments de Diar El Kef. La brigade antiémeute envahie, a laissé s'exprimer la foule, ce qui a permis l'apaisement de la situation. On saisit alors l'occasion pour voir le problème de plus près. Pour ce faire, une visite nous conduit à l'intérieur même de cette cité «mythique» érigée en 1958 par les autorités coloniales. En effet, à l'origine, la cité Diar El Kef était un centre de transit où plusieurs familles étaient entassées. Aujourd'hui, cette cité, comptant cinq pavillons et 900 appartements, est habitée par plus de 3000 personnes! En s'y «engouffrant» un spectacle désolant s'offre à nos yeux. Ces lieux n'incarnent que pauvreté, misère et tous les fléaux sociaux. Déjà, vue de loin, la cité Diar El Kaf ressemble à un centre de détention. Et lorsqu'on y entre, cette idée ne fait que se renforcer. La porte d'entrée centrale franchie, une odeur nauséabonde nous accueille comme pour nous souhaiter la bienvenue. Cela suffit pour dire la situation alarmante dans laquelle vivent les habitants de Diar El Kef. Le chômage frappe de plein fouet. La pauvreté gagne du terrain et on passe facilement à la toxicomanie. Ce mal a gagné la plupart des jeunes de cette cité tombée en disgrâce. «Venez, vous allez constater de vos propres yeux la situation dans laquelle nous vivons», nous interpelle un vieil homme qui a insisté pour que nous visitions sa demeure. «Je suis ici depuis 1959, j'y habite avec les 20 membres de ma famille et comme vous constatez c'est un F1 de 18 m²». Faut-il en rire ou en pleurer? «Je préfère mourir ici, dans ce cimetière, que de partir vivre dans des chalets du côté de Bordj El Kiffan ou Bordj El Bahri» nous déclare notre interlocuteur avec une pointe d'amertume tout en brandissant une carte d'adhésion à un comité de soutien au président de la République. «Est-ce ainsi qu'on nous récompense?» s'est-il demandé. En pénétrant dans d'autres appartements, une situation lamentable nous attend. Dans la même salle se trouvent et la cuisine et les toilettes, d'où émane d'ailleurs une odeur insupportable. «Nous y dormons à tour de rôle», nous avoue un jeune célibataire âgé de 40 ans qui ajoute: «Nous dormons tous entassés dans la même chambre: mon père, ma mère, mes cinq frères et mes trois soeurs; vous imaginez un peu la situation? Pire, je n'ai même pas d'endroit où me changer». Les habitants du quartier parlent du manque de respect dont a fait preuve le wali délégué. «Il est venu ivre mort, il nous a insultés. Est-ce cela la démocratie et le respect dont le président ne cesse de parler? Sommes-nous réellement indépendants?» crie cette veuve de chahid. De toutes les façons, les appartements que nous avons visités, sont tous vétustes et inhabitables. Les habitants de Diar El Kaf affirment ne pas quitter leurs logements pour des chalets. «S'ils veulent que nous quittions les lieux, ils n'ont qu'à nous donner des appartements dignes de ce nom, sinon, nous sommes prêts à le payer de nos propres vies». Nous quittons les lieux, laissant derrière nous un quartier de plus de 3000 personnes en ébullition. La situation est précaire. Le volcan risque d'exploser d'une minute à l'autre. Affaire à suivre.