Nous sommes trois familles à vivre dans un seul appartement, avec trois livrets de familles à l'appui, et ils veulent nous mettre dans un seul chalet », lance d'emblée Fodil lorsque nous sommes arrivés avant-hier à la cité ex-Carrière de Bab El Oued où le transfert des locataires vers Bordj El Bahri a nécessité l'intervention des forces de l'ordre. Dès l'annonce de cette décision par le wali délégué de Bab El Oued, vendredi dernier, les habitants de Diar El Kef écument de rage et des échauffourées les ont opposés, au début de cette semaine, aux forces de l'ordre. Tension Avant-hier, la contestation violente semblait prendre l'allure d'une colère froide. Mais, la présence musclée des forces de l'ordre aux alentours de la cité, appuyées par un renfort qui campait au rond-point de Triolet, dénote que la tension reste vivace. Sur le champ, au bâtiment A, les services de l'ordre étaient devant les portes mêmes des maisons, sur leurs gardes, pour éviter tout débordement. Un autre jeune assis à côté de Fodil nous invite à l'intérieur de sa maison où les membres de sa famille se trouvent dans l'impossibilité de quitter leur logement. « Nous habitons ici avec notre cousin. Sa famille se compose de 7 membres, et nous, nous sommes 12 personnes. Un chalet seulement a été affecté au nom du cousin car le reçu de l'électricité est établi à son nom. S'ils veulent qu'on quitte la maison, qu'ils nous donnent au moins un chalet », demande-t-il en ajoutant que son père était allé pour solliciter l'intervention du wali délégué. Au quatrième étage, une autre famille a préparé tous ses bagages mais restait immobile car ne sachant plus où aller. Le père étant décédé, le fils marié se retrouve avec sa propre famille de 5 personnes et son frère avec 3 sœurs à sa charge. Or, affirment les deux frères, un seul chalet a été réservé au nom du défunt et des héritiers. Pour les autres familles, moins nombreuses et plus chanceuses, elles sont contraintes de couper le lien ombilical qui les rattache à cette crête rocheuse depuis les années 1950. Un père de 7 garçons, arborant un acte de propriété qui date de 1959, lâche : « J'ai plus de 50 ans ici, ils viennent maintenant nous déloger par la force vers des chalets. C'est inadmissible. » Un autre jeune indique que des gens, nés dans cette cité, sont devenus aujourd'hui grands-pères. « On ne leur a pas demandé de logements. Pourquoi alors viennent-ils dans notre cité ? Dans ce cas, on veut des appartements contre des appartements », continue-t-il. A ses côtés, un parent transportait ses bagages vers le camion qui l'attendait. « J'ai résisté jusqu'à la dernière minute. Maintenant, que veux-tu que je fasse ? Il faut partir », avoue-t-il comme un prisonnier qui se dirige vers sa cellule. Est-ce que vous avez reçu une quelconque décision écrite de la part des autorités locales ? « Non, aucun papier ne m'a été donné », répondait le désormais ex-locataire. Le courroux de certains habitants semble être attisé par le transfert de quelques locataires de la même cité vers des bâtiments aménagés dans la partie inférieure de Diar El Kef. « On les appelle les gens de la tchipa », dira un témoin. Un autre fait a accentué l'irritation de ces habitants qui trouvent injuste qu'une centaine de familles ont été transférées, il y a deux années, des tentes vers des appartements. « Ces familles sont venues de l'extérieur d'Alger pour ériger des tentes à Diar El Kef. Suite à la visite de Chirac, elles ont bénéficié de logements magnifiques », révèle un jeune du quartier. Les chanceux déçus Le bâtiment A, premier à être évacué, reflétait des scènes tout aussi déconcertantes qu'inexplicables. Avec une hâte qui frise l'anarchie, des locataires quittèrent leurs maisons, des ouvriers démolirent les étages aussitôt libérés et les petits garçons se ruèrent dans tous les sens. L'inquiétude principale est alimentée par des lendemains incertains qui se profilent à l'horizon. « Quel sera notre sort après le transfert vers ces chalets ? », s'interroge un père de famille. Le wali délégué, s'il était présent dans son bureau, préférait répondre verbalement au cas par cas. Quant aux boutiques situées au rez-de-chaussée de ces bâtiments, des commerçants indiquent qu'aucun responsable de la wilaya n'a parlé avec eux. « Il n'est pas question qu'on soit pénalisé. Il faut se concerter pour trouver une solution convenable », suggère un commerçant d'alimentation générale. Certaines familles ayant évité la fatalité des sites Chabou et Faizi, se retrouvaient, elles aussi, frustrées par l'état lamentables du bâtiment C où elles ont été casées. Théoriquement aménagés, les appartements qui s'y trouvent accusent de grandes défaillances dans les travaux de finition, notamment la plomberie. Lors d'une virée dans un F2, cédé contre 20 000 dinars pour la remise des clés, la cuisine et la salle de bains sont dépourvues de robinets. Le problème d'eau n'est donc pas à l'ordre du jour. L'ensemble des habitants sont contraints de remplir leurs jerricans dans la mosquée de Diar El Kef. Dans un autre F3, offert contre 40 000 dinars, les locatrices ne savaient pas si elles devaient faire le nettoyage ou poursuivre les travaux. « Ce matin, (lundi), un ouvrier était venu pour terminer le travail de la peinture », dira l'une d'elles sans pouvoir dissimuler son sourire. Toujours dans le C, un locataire d'un F2 nous montre la porte extérieure qui est cassée et nous sollicite pour lui expliquer s'il s'agit bien d'un F2. Un petit geste, comme un coup d'aile d'oiseau, laisse des trous dans les murs de ces maisons. « Regardez, c'est du plâtre mort », démontre un jeune qui met son doigt sur le mur. Inutile de s'attarder sur les couloirs extérieurs où des briques, des tuyaux, des boîtes de peinture et des sachets de plâtre jonchent le sol. Une vieille dame de 70 ans avoue qu'elle a été déjà victime d'un vol en raison de la situation de son logement dans le rez-de-chaussée. « Ils nous ont interdit de faire le barreaudage. Alors que dois-je faire ? », lance-t-elle au wali délégué de Bab El Oued.