Les amendements retenus, finalement, ne dérangent pas les dispositions les plus «humiliantes» pour la femme. La commission mise en place par Bouteflika l'année passée en vue d'adapter le code de la famille, qualifié de «code de l'infamie» par ses détracteurs, a fini par rendre public un texte pour le moins décevant. Le projet de loi, dont nous avons obtenu copie, provoque l'effet de la montagne qui accouche d'une souris au regard de la polémique déclenchée autour des travaux de cette commission, et des pressions islamistes érigées en véritable lobby autour des cercles décisionnels. Ainsi, le rapport élaboré par cette commission a-t-il été transmis au ministère de la Justice qui en a fait le projet de loi adopté hier, sans coup férir, en conseil de gouvernement. A la lecture de ce texte, qui risque de soulever moult controverses au moment où nos voisins tunisiens et marocains ont effectué des pas de géant dans le sens positif, l'on relève certes quelques amendements qu'il est permis de qualifier de positifs. Il n'en demeure pas moins que pas mal de dispositions maintenues en l'état continuent de brimer la femme, alors que des changements viennent tout simplement ajouter à la confusion d'un dossier déjà bien assez compliqué sans cela. Il en va de la sorte pour l'amendement de l'article 52. Celui-ci stipule que la mère qui a la garde des enfants est maintenu dans le domicile conjugal. Dans le cas contraire, l'époux est tenu de mettre à la disposition de sa «marmaille» un logement quitte à ce qu'il le loue. La loi, toutefois, fait montre d'un certain cynisme puisqu'elle ne précise pas si le «toit» à procurer doit être équivalent à celui que la femme répudiée doit quitter avec ses enfants, ce qui laisse toute latitude à l'homme de trouver n'importe quel expédient pour procurer un semblant de demeure sans risquer d'être inquiété le moins du monde. La polygamie est ainsi maintenue, même si elle est soumise, désormais, à l'approbation d'un magistrat, ce qui, aux yeux des observateurs, constitue une éclatante victoire pour les islamistes. Il est vrai, ce disant, que tous les articles de cette nouvelle loi, attendue depuis longtemps par tous, sont étroitement liés entre eux. Cela rend très difficile toute approche détaillée, liée à des questions précises que ne cessent de soulever hommes et femmes en Algérie, exception faite des islamistes. L'homme, véritablement gâté par cette nouvelle loi, comme s'il ne l'était pas déjà assez, ne risque même plus de subir quelque poursuite judiciaire, et encore moins d'aller en prison, dans le cas où il refuserait de payer la pension alimentaire, également prévue dans cette nouvelle loi. De fait, celle-ci dispose qu'en matière de pension alimentaire, un fonds spécial sera dégagé par l'Etat pour éviter que les enfants souffrent en cas de refus du mari de s'acquitter de ses charges, pour n'importe quelle raison. Le tutorat partagé Il est vrai que cette loi n'est pas encore connue du grand public. Mais connaissant les revendications des défenseurs d'une meilleure gestion des rapports hommes-femmes dans leurs foyers, il ne fait aucun doute que des problèmes sérieux seront posés. Ainsi, ce texte nouveau ne met pas un terme aux terribles drames familiaux que les foyers algériens connaissent depuis l'adoption du code de la famille en 1982 par l'ex-parti unique. En effet, les alinéas 2 et 3 de l'article 52 maintenus dans la nouvelle mouture ont compliqué les choses au lieu de les régler. «(...) Si le droit de garde lui est dévolu et qu'elle n'a pas de tuteur qui accepte de l'accueillir, il lui est assuré, ainsi qu'à ses enfants, le droit au logement selon les possibilités du mari.» Est exclu de la décision le domicile conjugal s'il est unique. L'article 39 n'a pas été amendé. Pourtant il compte parmi les articles qui soumettent l'épouse à son mari. Ce dernier, véritable seigneur dans sa demeure, demeure, dans l'absolu, libre d'interdire à sa femme, mais aussi de lui ordonner ce qu'il veut. L'article en question dispose en effet que «l'épouse est tenue d'obéir à son mari et de lui accorder des égards en sa qualité de chef de famille, allaiter sa progéniture si elle est en mesure de le faire et de l'élever, respecter les parents de son mari et ses proches». Le cas échéant, elle est purement et simplement répudiée sans préavis. Beaucoup de femmes travailleuses se sont vu signifier leur répudiation ou encore le constat d'abandon du domicile conjugal simplement parce qu'elles se sont rendues à leur travail. Ainsi, le droit au travail des femmes et celui de l'instruction n'est pas garanti et est soumis au tuteur. Cet article vient en contradiction avec celui qui instaure le contrat de mariage dans lequel les deux prétendants consignent leurs conditions chacun en ce qui le concerne. En dépit de ces constats de carence, l'instauration du contrat de mariage donne une certaine liberté de manoeuvre à ceux qui veulent s'affranchir des pesanteurs islamistes auxquelles ni Ouyahia, ni Bouteflika, n'ont su échapper dans leur tentative de ménager la chèvre et le chou. D'un autre côté, le nouveau texte maintient, y rajoutant même d'autres, les conditions à remplir par la femme pour demander le divorce. Des conditions, comme chacun sait, toujours impossibles à satisfaire. L'article 53, demeuré en vigueur, s'intitule comme suit: «Il est permis à l'épouse de demander le divorce par jugement dans le cas où l'époux ne subvient pas à ses besoins, à moins que l'épouse eut connu l'indigence de son époux au moment du mariage sous réserve des articles 78, 79 et 80 de la présente loi ; pour infirmité empêchant la réalisation du but visé par le mariage; pour refus de l'époux de partager la couche de l'épouse pendant plus de quatre mois ; pour condamnation du mari à une peine infamante privative de liberté pour une période dépassant une année, de nature à déshonorer la famille et rendre impossible la vie en commun et la reprise de la vie conjugale; pour absence de plus d'un an sans excuse valable on sans pension d'entretien; pour tout préjudice légalement reconnu comme tel, notamment par la violation des dispositions contenues dans les articles 8 et 37; pour toute faute immorale gravement répréhensible établie.» L'amendement introduit à ces conditions extrêmement contraignantes consiste «à obliger la femme à prouver la séparation des corps». (Sic). La «rançon» de la liberté Le nouveau texte vient consacrer l'autorité parentale sur les enfants, ce qui est quand même une avancée notable par rapport à l'ancien texte. Ainsi, le père n'est plus l'unique tuteur de ses enfants. En cas de divorce, l'autorité parentale revient à celui des parents qui a la garde des enfants. De même, le nouveau texte introduit un amendement visant à renforcer le rôle du père en cas de divorce. Ainsi, la garde des enfants sera dévolue après la mère, non pas à la grand-mère maternelle comme c'est le cas présentement, mais au père. L'autre changement intervenu dans l'avant-projet de loi concerne la suppression de la tutelle pour le mariage. Un amendement qui a déclenché l'ire des islamistes. A ce propos, le MSP, le Mouvement El-Islah ont tout fait pour éviter cet amendement, promettant, en désespoir de cause, de tenter de le bloquer au niveau de l'APN. Last but not least, pour terminer sur une note «cocasse», le nouvel article 53 maintient la possibilité de rachat de sa «liberté» par la femme. En cas de désaccord entre les époux, la «rançon», dit-on, ne saurait excéder la dot payée par l'époux. Bref, il faut croire que la réforme des mentalités a encore du chemin à faire avant que la fameuse réconciliation de Bouteflika n'arrive enfin à faire cohabiter la barbe d'Abassi et la jupe de Toumi.