Larbi Ould Khelifa Il est à se demander si cette initiative constitue un premier pas vers l'officialisation de tamazight. La surprise était générale avant-hier à l'APN qui clôturait sa session d'automne. Le discours du président de cette chambre du Parlement a été transcrit, pour la première fois, en langue amazighe. «C'est une très bonne chose», réagit Ali Brahimi, ancien détenu du Printemps berbère de 1980. «C'est une bonne initiative à encourager, une avancée palpable», estime Saïd Lakhdari, député, membre du comité central et mouhafed du FLN à Tizi Ouzou. La question du caractère à utiliser n'étant pas encore tranchée, le texte a été écrit en caractères tifinaghs, latins et arabes. De quelque côté qu'on la prenne, cette initiative constitue une évolution, fût-elle symbolique, de la cause. «Tout espace conquis par la langue du peuple et du pays est un acquis qu'il faut préserver et promouvoir mais sans s'illusionner sur le fait que la réhabilitation de tamazight passe par son officialisation et de la part de l'Etat, un effort de réparation à la mesure de l'immense et long déni que notre langue a subi depuis l'occupation romaine», souligne M.Brahimi. Cette initiative constitue-t-elle un premier pas vers l'officialisation de tamazight dans le cadre de la prochaine révision constitutionnelle d'autant plus que la revendication fait désormais l'unanimité au sein de la classe politique? Le 12 janvier dernier, une réunion d'une commission permanente de l'APN a été reportée en raison du refus de certains députés d'y assister, prétextant que l'activité ne devait pas être programmée le 1e Yennayer, premier jour de l'An berbère. «Il ne faut pas oublier que l'APN est la troisième institution de l'Etat. Le fait de traduire le discours du président de l'institution en tamazight est une reconnaissance en quelque sorte», souligne M.Lakhdari. «Nous allons, précise-t-il, continuer à encourager toute initiative allant dans ce sens mais aussi nous allons continuer à revendiquer l'officialisation de tamazight car nous considérons que l'unité nationale sera consolidée davantage». Saïd Lakhdari ajoute qu'il n'y a aucune raison pour ne pas avancer dans le sens de la promotion et de la reconnaissance totale de tamazight, culture, langue et identité. Il prévoit que les textes de lois qui atterrissent à l'APN seront tous traduits en tamazight et souhaite que les discours du Premier ministre et du président de la République suivent l'exemple de celui du président de l'APN. «Pourvu que ça participe à la promotion de notre langue», dit-il. Bien qu'il considère «positive» l'initiative de l'APN, Ali Brahimi fait, avec prudence, sa lecture qu'il étend pour toute l'Afrique du Nord. «Aucun militant amazigh n'est dupe des intentions réelles des tenants du pouvoir en ces moments où la diversion est l'arme commune des clans du régime pour faire un épais écran de fumée sur les luttes féroces pour le contrôle du pouvoir et des richesses du pays au bénéfice d'une économie néocoloniale et des maîtres occidentaux et arabo-monarchiques», lance-t-il. Pour lui, il ne faut pas s'illusionner sur la volonté réelle «des régimes d'obédience extravertie arabo-islamiste de l'Afrique du Nord comme en témoigne la répression des militants amazighs au Maroc où la langue a pourtant été officialisée». Il explique que tant que ces régimes restent ancrés dans la matrice idéologico-identitaire étrangère à l'Histoire et à l'identité vécue de leurs peuples, la réhabilitation de l'amazighité restera un labeur et un combat de tous les jours. «C'est pour cela que je considère, tranche-t-il, qu'aucune alliance politique pour le changement démocratique en Algérie ne sera viable et vraie que si chaque partie de l'alliance accepte et revendique le fait et la cause amazighe linguistique, culturelle, identitaire et civilisationnelle comme fondement de son propre projet». «Faire accepter le fait et la revendication amazighe par les acteurs nord-africains nécessite que le bloc politique qui porte la cause reste uni et solidement arrimé à cette revendication», conclut M.Brahimi. En tout cas, l'initiative de l'APN mérite d'être généralisée en attendant mieux.