«Le peuple libyen nous appelle pour rétablir la sécurité et la stabilité» a déclaré, hier, le président égyptien Abdelfatah Al Sissi, lors d'une interview accordée au Caire à la radio française Europe 1. La veille il avait eu un entretien téléphonique avec le président français, François Hollande. Les deux dirigeants ont convenu de demander une résolution au Conseil de sécurité de l'ONU pour intervenir en Libye. A première vue, cette annonce qui intervient après la publication, dimanche dernier, d'une vidéo montrant la décapitation, revendiquée par Daesh, de 21 Egyptiens de confession chrétienne coopte, prend les allures d'une décision prise sous le coup de la colère. Il n'en est rien. Même si ces décapitations visent directement à déstabiliser l'Egypte, il n'en reste pas moins qu'il faille s'interroger sur les autres objectifs visés par l'organisation terroriste. Comme celle, par exemple, de provoquer, précisément, une intervention directe de l'armée égyptienne en territoire libyen. De l'attirer dans un «bourbier» à l'identique de celui qu'a vécu l'armée américaine en Afghanistan. Un «piège» qui n'a pas dû échapper aux présidents Al Sissi et Hollande. Tout dépendra, en effet, de la forme que prendra cette intervention. A l'évidence, elle compte répondre à «l'appel du peuple libyen» qui peut bien se traduire par un appui direct à l'armée libyenne. D'ailleurs et dans le même entretien, le président égyptien estime qu'il «faut lever l'embargo sur les armes à destination de l'armée libyenne pour lui donner l'occasion de défendre son peuple et son pays et ses choix». Il faut ajouter aussi que l'Egypte a tous les droits pour défendre ses citoyens, voire même son intégrité territoriale menacée à partir d'un pays avec lequel elle partage une frontière (terrestre et maritime) longue de plus de 1000 km. Un droit qu'elle a déjà mis en pratique en bombardant, lundi dernier, des bases terroristes installées en territoire libyen. Le problème n'est pas pour autant résolu. «Il faut traiter ce problème car la mission n'a pas été achevée par nos amis européens» a durement ironisé le président Al Sissi en faisant allusion aux attaques de l'Otan en 2011 qui avaient largement débordé de «l'exclusion aérienne» pourtant bien spécifiée par le mandat onusien. Cette déclaration intervient au lendemain de la signature d'achat par Le Caire de 24 avions français Rafales. Rien à voir avec l'entente franco-egyptienne au Conseil de sécurité qui ne peut pas être dictée seulement par des intérêts commerciaux. La France a des soldats au Sahel et notamment au Niger, à la frontière Nord avec la Libye. Elle voit le danger venir pour ses troupes. Un danger qui ne peut qu'augmenter avec le temps. Non seulement il ne faut pas laisser aux groupes terroristes en Libye le temps de mieux s'organiser mais en plus il y a Boko Haram qui tente d'avancer et qui lance des attaques à l'est du Niger. D'où l'urgence pour la France d'éviter que ses troupes ne soient prises «en tenaille». De plus et comme l'a rappelé le président Al Sissi au cours de l'interview, «ce qui se passe en Libye va transformer ce pays en terreau qui va menacer l'ensemble de la région, pas uniquement l'Egypte mais aussi le Bassin méditerranéen et l'Europe». L'autre pays, la Tunisie, qui partage également une frontière avec la Libye, est aussi inquiet. Dans un message, Béji Caïd Essebsi, le président tunisien, a assuré, lundi dernier, le président égyptien de «la totale solidarité de la Tunisie aux côtés de l'Egypte afin de combattre le terrorisme». La grande anomalie dans ce conflit reste l'attitude «nonchalante» des pays occidentaux (à l'exception de la France) qui s'étaient coalisés pour bombarder la Libye en 2011. Les Libyens ont aujourd'hui besoin d'aide pour éradiquer eux-mêmes le terrorisme. Sans troupes étrangères au sol. La guérilla n'a rien à voir avec la guerre classique. Al Sissi, en bon militaire, doit le savoir!