Tous les groupes de preneurs d'otages sont d'obédience sunnite. Avec l'exécution de douze Népalais à Baghdad, le maintien du suspense concernant les deux otages français détenus par l'Armée islamique en Irak, les deux explosions survenues à Moscou, et qui ont fait au moins 10 morts et 50 blessés, et qui ont fait suite à l'attentat à l'explosif contre deux avions russes en plein vol, l'attentat contre un autocar israélien lequel a fait au moins 16 morts et 100 blessés, les groupes djihadistes font une rentrée fracassante sur la scène politique internationale après la canicule d'un été. On peut certainement ajouter à ces groupes, le Gspc algérien qui refait surface par force attentats après avoir accusé le coup de l'élimination de son chef Nabil Sahraoui, le 16 juin dernier, dans les maquis de Béjaïa, ainsi que d'autres organisations qui se réclament du djihad ou plus généralement de la contestation religieuse au nom de l'islam et qui pointent un peu partout dans le monde. A chacun sa méthode Cependant, de toutes ces organisations, trois groupes djihadistes, tous implantés en Irak, sont aujourd'hui les plus médiatisés mais aussi les moins connus. Parce que l'Irak est en guerre et que ce sont les Etats-Unis d'Amérique, première puissance militaire mondiale, qui leur font face, ces trois groupes sont devenus les plus importants au point de faire oublier Al Qaîda, mère de toutes les organisations djihadistes transnationales. La première de ces organisations est celle d'Abou Mossaâb Ez-Zerkaoui, Tawhid wal djihad. Née immédiatement après la chute de Saddam Hussein, cette organisation âgée aujourd'hui de moins d'un an, est organiquement affiliée à Al Qaîda, Ez-Zerkaoui, Jordanien de 36 ans, étant le responsable de l'organisation de Ben Laden pour la région d'Irak, Jordanie et Syrie, trois pays qu'il connaît parfaitement pour y avoir séjourné par le passé et dans lesquels il dispose de réseaux très actifs. Très peu intéressée par les prises d'otages, cette organisation privilégie les attentats à l'explosif, actionnés à distance ou, lorsque la situation l'exige, par le biais de kamikazes, solution extrême et non un modus operandi systématique. La quasi-totalité des attentats à l'explosif contre des postes de police irakiens, des patrouilles américaines ou des bases-vie étrangères lui sont imputés, ainsi que des attentats contre les gazoducs du sud de l'Irak. La seconde organisation, née il y a moins d'une année, et dont les hommes portent des cagoules en permanence, est celle connue sous l'appellation Armée des Partisans de la Sunna et d'une sous-appellation Brigade d'Ali Ibn Abi Taleb. C'est bien cette organisation qui a exécuté les douze Népalais, il y a deux jours à Baghdad. Dotée d'un site Internet très performant, cette organisation armée s'est spécialisée dans le rapt des ressortissants étrangers en poste en Irak. S'appuyant sur une exégèse canonique très rigoriste, cette organisation estime que tous ceux qui sont présents dans un pays en guerre doivent la subir, ou pour le moins, choisir leur camp. En somme, les soldats étrangers tombés entre leurs mains, même non Américains, ont peu de chances de s'en sortir vivants. Pourtant, des Jordaniens ont été relâchés, des Japonais, des Egyptiens et des Arabes non Irakiens, après que le groupe des ravisseurs eut obtenu satisfaction, soit parce que la société étrangère a plié bagages, soit qu'elle a versé une rançon, soit que politiquement, leur exécution n'était pas profitable. La troisième organisation est la plus connue aujourd'hui : l'Armée islamique en Irak. Il semble bien qu'elle soit spécialisée dans le rapt de journalistes, et en général, d'hommes médiatiques et de personnalités très connues. L'objectif recherché est évident : une résonance internationale et un effet médiatique qui refait le tour des rédactions et de fait, le tour du monde en vingt-quatre heures. Le rapt du journaliste italien, Baldoni, son appel désespéré, l'exigence faite à Berlusconi, puis l'exécution de l'otage ont tenu en haleine tout le monde pendant plusieurs jours. Et c'est la cause qui a amené le même groupe à tenter une opération similaire avec le rapt, à la sortie de Baghdad, des deux journalistes français, Christian Chesnot et Georges Malbroust, et de placer cette fois-ci la barre très haut en déplaçant l'exigence sur un terrain politique et en mettant au-devant de la scène médiatique, l'affaire de l'interdiction du port du voile dans les écoles françaises. Depuis le début de l'été, plus de cinquante ressortissants étrangers ont été pris en otage et vingt-deux d'entre eux sont passés par les armes, depuis la première exécution du Coréen. Douze Népalais, trois Turcs, deux Kenyans, un Egyptien, deux Américains, etc. ont été tués par l'un de ces trois groupes, passés spécialistes en rapt d'étrangers. Evidemment, si l'on se fie à la logique djihadiste qu'ils développent sur leurs sites Internet respectifs, chaque acte, chaque assassinat, chaque exécution ou libération repose sur une exégèse coranique tirée de la jurisprudence théologique. Sur le site de l'Armée des partisans de la sunna et suite à l'exécution des douze Népalais, il est dit que ces étrangers étaient bouddistes, qu'ils prêtaient main forte aux judéo-croisés et qu'ils étaient venus en Irak pour combattre les musulmans. Logique ésotérique ou exégèse suspecte, mais qui ont abouti à mort d'hommes. Bataille médiatique En fait, le «rapt médiatique» fait actuellement florès. Tout le monde se souvient de l'enlèvement, dans le Sahara algérien, de trente-deux touristes européens par un groupe du Gspc. L'histoire a tenu en haleine la presse internationale et pendant cinq longs mois, avant de connaître son épilogue à Kidal, dans le nord du Mali, après versement d'une forte rançon aux ravisseurs. Ce qui se passe aujourd'hui dans les groupes djihadistes irakiens est beaucoup plus intéressant. Ces groupes réduits à une vingtaine d'hommes opérationnels en moyenne, qui ne sont même pas reconnus en Irak, se permettent de défier les pays occidentaux, de les obliger à les écouter et, parfois, à les supplier pour libérer leurs ressortissants. Groupes-Etats contre Etats superpuissants, voilà ce qui devrait être l'intitulé d'une nouvelle discipline en géopolitique moderne. Des groupes nébuleux se substituent à l'Etat et deviennent les interlocuteurs, momentanés mais officiels, d'Etats occidentaux. Depuis Al Qaîda, nous avons eu le Gspc, le Mdjt et l'AII. Bien que réduits en nombre d'hommes, les trois groupes preneurs d'otages sont plus médiatisés que des armées régulières reconnues ou qui mènent, partout dans le monde, une lutte insurrectionnelle contre le pouvoir en place. En fait, il n'y a pas beaucoup de différence entre les trois organisations nées dans le sillage de la troisième guerre du Golfe, la chute de Saddam Hussein et l'invasion américaine. Ce qui les unit est plus important. Tout d'abord, il faut noter que tous les groupes preneurs d'otages sont d'obédience sunnite. Ni l'Armée islamique en Irak, ni les Tawhid wal djihad, ni les Partisans de la Sunna ne sont des chiites et affichent clairement leur sunnisme salafiste. Les groupes combattants en Irak s'expriment au nom du «djihad saint contre l'invasion américaine», et arrivent par le biais de cette formule à capter l'adhésion des jeunes Baghdadis, qui n'ont pas encore été influencés par le schisme religieux et l'antagonisme millénaire et insoluble sunna-chiâ. Ce sont souvent ces jeunes qui sont tués dans les combats et que l'expression officielle américaine désigne sous le nom de groupes d'Ez-Zerkaoui et de djihadistes affiliés à Al Qaîda. De plus, plusieurs officiers des anciens services spéciaux irakiens et de la Garde républicaine ont intégré l'encadrement des groupes djihadistes salafistes. Ne perdons pas de vue que depuis la seconde guerre du Golfe, un très fort courant islamiste a traversé les structures dirigeantes des centres de décision de l'Irak. Saddam Hussein, acculé, isolé, avait dès 1991, encouragé l'émergence des options de djihad afin de rendre crédibles ses croisades contre les Etats-Unis. Certains attentats, enlèvements et modes opératoires portent la signature nette des anciens officiers du renseignement irakien et des troupes spéciales. Les petits groupes chiites, du genre de celui de Moqtada Sadr, sont laissés pour la confrontation directe avec les armées américaines. Le grand défi qui se pose aujourd'hui aux Américains est que la démocratie, qui est la composante essentielle de leur politique et le fondement historique de leur Etat, est elle-même mise en jeu. L'Administration américaine veut instaurer la démocratie partout dans le monde afin de ne laisser aucun motif d'exister aux groupes terroristes dans le monde, alors que ceux-ci, sectes laïques, islamistes, salafistes, rappatistes, Dentier Lumineux et autres mouvements millénaristes, brandissent leurs combats comme une réponse à l'hégémonisme américain et un contrepoids à la superpuissance militaire des Etats-Unis et son appui suspect à des gouvernements locaux non démocratiques. Les Etats-Unis d'Amérique n'ont ramené ni la paix ni la démocratie en Irak. Le gouvernement installé à Baghdad ne fait qu'exacerber les tensions qui promettent de s'inscrire dangereusement dans la durée.