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Profession, voleur de voitures
CE TRAFIC PREND DES PROPORTIONS ALARMANTES
Publié dans L'Expression le 05 - 09 - 2004

C'est au moment où l'Algérie s'ouvre sur le monde extérieur que les trafics prolifèrent dangereusement. Ces fléaux vont de la drogue au blanchiment d'argent, en passant par le trafic et le vol de véhicules. Ce dernier prend un spectaculaire décollage, se perfectionnant de plus en plus et trompant méthodiquement les limiers aguerris des services de sécurité. A l'échelle mondiale, l'Algérie s'est parfaitement «intégrée» dans ce trafic, pas moins de trois millions de voitures disparaissent chaque année. Maquillées, relookées, elles atterrissent bien souvent dans les ports algériens, grâce à des complicités plus ou moins élaborées.
Les réseaux de trafic de voiture étendent leurs tentacules pour couvrir la planète entière. Aucun pays n'est épargné. L'inquiétude prend place. Selon Interpol, plus de trois millions de voitures disparaissent chaque année dans le monde. Cet organisme estime le montant de ces vols à 21 milliards de dollars US pour seulement 45 pays en Europe, en Amérique du Nord et dans certaines régions d'Afrique et d'Asie. L'Algérie n'est pas épargnée par ce phénomène. Et au rythme où vont les choses, il n'est pas écarté que, dans un futur proche, notre pays soit l'un des plus menacés au monde.
Les chiffres établis indiquent que ce phénomène prend une courbe croissante. Chaque jour, les corps concernés, à savoir la Gendarmerie nationale, la police judiciaire et les douanes font état d'un nombre de plus en plus important de voitures volées, désossées ou «clonées».
Jugez-en: pour l'année 2001, la Gendarmerie nationale a enregistré 1755 véhicules volés, contre 1995 en 2002, 2718 en 2003. Pour le premier semestre de l'année en cours, ce même corps a enregistré 2 035 véhicules volés, toutes marques confondues.
La plus récente affaire remonte au mois de juillet dernier. En pleine saison caniculaire, la police judiciaire de la Sûreté de wilaya de Tizi-Ouzou a saisi 130 voitures touristiques, en majorité de marques françaises. D'autant que les voitures saisies constituent une partie des 505 recherchées à travers le pays.
Martyrisée pour longtemps, la Kabylie est devenue, surtout après les événements du fameux Printemps noir, le fief de tous les trafics. Quant à l'affaire évoquée, la majorité des véhicules saisis, portent des plaques minéralogiques françaises. Cette ruse est adoptée en raison du nombre important d'émigrés issus de cette région. Donc, automatiquement les véhicules dédouanés en France échapperont au contrôle des différents corps de sécurité, mais attention ! ce n'est pas toujours le cas. En effet, l'observateur le moins averti peut constater que c'est ce genre de voitures qui est actuellement soumis à des vérifications drastiques.
Toutefois, en dépit de l'ampleur qu'a prise cette affaire, la Kabylie est moins menacée par ce phénomène, comparativement aux autres régions, à l'instar de celles de l'est du pays, où ce genre de pratique est constamment signalé.
L´Est, des réseaux organisée
En fait, les villes de l'Est comme Annaba, Tébessa, Souk Ahras, Constantine, semblent être le cerveau du trafic de véhicules. La plupart des saisies ont été opérées dans cet axe. D'ailleurs, le taux de recouvrement de véhicules volés en 2003 dans cette région, est de 57,47% contre 23% à l'Ouest.
Ces chiffres viennent confirmer la réputation de l'Est comme plaque tournante du vol d'automobile. D'autant que les réseaux qui y opèrent sont efficaces et «parfaitement» structurés.
Cependant, pour la Gendarmerie nationale activant dans la wilaya de Tébessa, l'année 2003 a été particulièrement fructueuse.
La découverte du fil d'Ariane d'un réseau de trafiquants spécialisés dans la falsification des documents de base de véhicules, a conduit les unités de la GN à mener une opération des plus musclées. L'enquête diligentée par la brigade de gendarmerie de cette wilaya, a abouti à l'arrestation de 30 personnes, directement ou indirectement impliquées dans l'affaire, ainsi que la découverte de 120 véhicules trafiqués dont 25 à Naâma.
Après les interrogatoires, les éléments de ce réseau, arrêtés, ont reconnu que les documents administratifs falsifiés (cartes grises, cartes de contrôle, déclaration de vente) leur avaient été délivrés par ladite wilaya. Ces pièces avaient été ensuite déposées au niveau du bureau de trafic routier de Tébessa et ce, dans le dessein de l'obtention d'un faux numéro d'immatriculation.
Pis encore, après vérification, il s'est avéré que cette opération avait été réalisée grâce à l'implication de fonctionnaires haut placés de surcroît, jouissant d'une influence certaine au sein du bureau de trafic routier de la wilaya de Tébessa.
D'ailleurs, ce problème insoluble est signalé quasiment à chaque fois qu'un réseau de trafic de ce genre est mis hors d'état de nuire.
Peut-être le démantèlement, en 2003, du réseau de Bordj Bou-Arreridj étaye-t-il parfaitement la thèse de l'implication de certains agents de l'administration que d'autres s'évertuent à défendre.
En effet, composé de 47 éléments et activant à travers les wilayas du centre et de l'ouest du pays à l'instar de Béjaïa, Sétif, Alger et Aïn Témouchent, ce réseau est constitué de ceux qu'on peut délibérément qualifier de têtes pensantes. On y trouve des ingénieurs des mines, des inspecteurs des impôts, des experts judiciaires, des notaires, des agents de transit...Bref, c'est une équipe pluridisciplinaire connaissant parfaitement les arcanes et chicanes de la prévarication.
L'implication de cette armada d'experts rend les choses plus compliquées que jamais.
Cela ne relève pas du hasard si ces régions se sont fait une notoriété dans la vente des pièces de rechange pour véhicules. Déjà, le commerce informel exercé au vu et au su de tout, fait florès.
Et si les wilayas citées sont connues pour le trafic, c'est parce qu'elles constituent l'arrière-garde des réseaux de trafiquants de véhicules. Et c'est à partir de là que le marché illicite en la matière est alimenté. Ici, les grands garagistes reçoivent les automobiles volées et leur écoulement sur le marché s'avère risqué, voire impossible, pour l'unique raison qu'elles sont activement recherchées par les forces de l'ordre. D'autant plus que la vente des voitures désossées est plus fructueuse. De même, qu'il est délicat qu'elles soient découvertes par les forces de sécurité.
De toutes les manières, au niveau de ces wilayas, toutes les pièces de rechange qu'on désire sont disponibles. Seulement, il faut savoir prendre son mal en patience, car pour la livraison, cela peut prendre du temps, bien sûr pour les petites bourses. Tandis que les nantis, eux, n'attendent pas pour recevoir la totalité de la marchandise et en un temps record.
Les spécialistes de ce genre de vol sont généralement bien «formés» pour mener leur mission à terme et sans «incident» majeur. Les non-professionnels sont exclus. La première étape consiste en le repérage du véhicule à voler. Souvent, ils sont localisés dans des centres commerciaux, dans des parkings publics non gardés ou tout simplement, des véhicules en stationnement. La façon d'ouvrir la portière ne constitue pas en elle-même une entrave, pouvant gêner la «mission» du cambrioleur. Dans le milieu des spécialistes, les méthodes ne manquent pas, ni les moyens d'ailleurs. Du passe-partout, au simple fil de fer façonné en passant par d'autres astuces qu'on ne connaîtra peut-être jamais. En effet qui, en fermant la portière de la voiture tout en y oubliant les clés, n'a pas fait appel aux services des spécialistes en «ouverture par effraction en douceur»? Ceux qui ont eu affaire à eux savent de quoi il retourne et savent aussi que ces «spécialistes» optent pour la méthode des alchimistes : ne point livrer le secret de la pierre philosophale. Ainsi, pour le voleur professionnel, l'affaire ne prend qu'une ou deux minutes. Cela dépend du véhicule, s'il est doté ou non d'un système d'alarme. Par ailleurs, les véhicules les plus exposés aux vols, sont ceux de marque française, en particulier Renault et Peugeot. En effet, les relations historiques existant entre l'Algérie et la France font que le marché automobile algérien est envahi par ces deux marques. Ce fait incite les voleurs à donner beaucoup plus d'intérêt aux marques qui parviennent de l'Hexagone. D'autant que la demande en pièces de rechange se pose avec insistance. Selon les chiffres avancés par la direction générale de la Gendarmerie nationale, les véhicules volés de marque Renault occupent la tête de classement avec un nombre de 999, pour seulement le premier semestre de l'année 2004. Les véhicules de marque Peugeot, viennent ensuite en deuxième place avec 324 voitures volées.
Une question est à poser cependant : quel sera le sort de tous ces quatre-roues volés?
Ces véhicules volés connaîtront deux issues : soit le désossement, soit le maquillage-clonage.
Il permet l'approvisionnement du marché illégal en pièces de rechange. L'automobile est apportée dans un garage de découpage clandestin où un groupe de mécaniciens hautement qualifié procède, partiellement ou complètement au démantèlement du véhicule. L'opération terminée, vient ensuite la vente des pièces recyclées sur le marché informel. Là, le fonctionnement est identique aux marchés légaux. Il est basé sur l'offre et la demande. La cherté de ces pièces de rechange motive les trafiquants de véhicules à ne pas en étaler un nombre suffisant. Ceci évidemment, pour qu'il y ait rareté et, par voie de conséquence, pour que les prix s'envolent. Néanmoins, les pièces de rechange les plus recherchées sont celles qui jouent un rôle qu'on peut qualifier de principal dans le fonctionnement du moteur comme le «plateau», «le disque d'embrayage»...
Si le véhicule «échappe» au découpage, il fera l'objet d'un maquillage/clonage de manière à ce qu'il prenne les mêmes formes qu'un autre véhicule bien ciblé.
Concernant le clonage, le réseau de voleurs procède au prélèvement du numéro d'identification d'un véhicule stationné ainsi qu'à toutes ses caractéristiques. Ces mêmes identifications seront portées ensuite sur un véhicule identique, mais volé. Et pour lui donner plus d'authenticité, le véhicule sera doté de faux documents administratifs, pour finir par la suite à la vente dans une autre wilaya.
Selon le commissaire Terki, de la Direction générale de la police judiciaire: «les véhicules clonés sont difficilement repérables. Et ce qui rend les choses plus compliquées encore, c'est que ces réseaux sont munis d'un matériel ultrasophistiqué qui permet de falsifier les documents administratifs, difficilement reconnaissables par les patrouilles de contrôle» Ainsi les documents en question doivent être examinés par des agents spécialisés, à savoir la police scientifique.
Quant à l'opération dite de maquillage, elle est réalisée en deux étapes. Les éléments du réseau se procurent tout d'abord une voiture gravement accidentée puis volent un véhicule de la même marque et dont les caractéristiques sont identiques. Le numéro d'identification du véhicule accidenté sera porté ensuite au véhicule volé. Ce dernier portera ainsi une nouvelle identité dont la découverte est très délicate.
Par ailleurs, le génie démentiel des trafiquants de véhicules, dont l'insatiable voracité n'a pas de limite, ne s'arrête pas à ce point. Pour assurer la pérennité de leur sale besogne, ils se rallient aux réseaux internationaux du crime organisé. De ce fait, leurs tentacules s'étendent encore de plus belle, et ce qui était avant, un simple trafic de véhicules, bifurquera pour prendre d'autres chemins et explorer d'autres terrains plus rentables, comme le trafic de drogue et tutti quanti. Ils se joignent ainsi aux organisations allemandes, belges, espagnoles, italiennes, libanaises...
Cette étroite relation entretenue entre les réseaux ne fait qu'embrouiller les pistes dans les actions de recherches entamées par les forces de l'ordre, issues de différents pays. Parfois, le véhicule transite par trois pays ou plus, pour arriver à sa destination finale. D'ailleurs des cas pareils sont fréquemment signalés par les douanes algériennes. Et ce qui ajoute de l'huile sur le feu, c'est la mobilité de ces réseaux.
De vrais-faux véhicules importés
Un nombre important de véhicules entre en Algérie avec de fausses identités et les choses deviennent d'autant plus sérieuses que menaçantes.
Si des véhicules exportés clandestinement via et vers les pays développés sont d'un luxe remarquable ceux, a contrario, qui parviennent en Algérie sont les fameuses voitures touristiques de moins de 3 ans.
Et dans la plupart des cas, ce genre de véhicules dépassent de loin leur âge réel. En termes plus clairs, des voitures fabriquées durant les années 90, subissant toutes sortes de modelage et façonnage, pour paraître âgées de moins de trois ans ! Cela est malheureusement la triste vérité que les laboratoires de l'expertise judiciaire et ceux de l'Institut de criminalistique et de criminologie, ne cessent de relever. Dans ce sens, l'administration douanière a introduit auprès du ministère des Finances une demande d'annulation de la mesure permettant l'importation des véhicules de moins de trois ans. Cette proposition n'a pas été retenue par les parlementaires lors des débats sur la loi de finances 2004.
La proposition est certes intéressante, mais les réticences des parlementaires ont fait qu'elle est passée inaperçue.
Il convient de signaler que l'institution douanière a établi des lois vigoureuses pour réduire le trafic de véhicules. «Pour les véhicules acquis et importés par les personnes physiques ou morales résidentes sur le territoire national, il est décidé que le titre de passage en douane (TPD) ne leur sera pas délivré. Ces derniers doivent être obligatoirement dédouanés aux bureaux d'entrée».
Aussi après dépôt, enregistrement et liquidation des droits et taxes, une autorisation de circuler, valable huit jours non renouvelables sera délivrée au propriétaire ou à la personne mandatée. Toutefois, selon l'article 262 du code des douanes, si à l'expiration de ce délai, l'intéressé ne s'est pas présenté pour l'acquittement des droits et taxes, le receveur des douanes doit décerner contrainte pour le recouvrement des droits et taxes exigibles. Du côté de la Direction de la lutte contre la fraude, relevant des services de douane, une véritable chasse aux sorcières est déclarée. Un travail colossal est en train de se faire, notamment pendant la saison estivale où le port d'Alger reçoit plus de 1200 véhicules par jour!
De toutes les façons, cette institution ne chômera pas, ni même les experts qui se chargent de la vérification de l'authenticité des documents des véhicules qui entrent sur le territoire algérien. Ce contrôle n'est pas effectué à moins de 5000 dinars! A ce niveau, on procède à l'authentification par «ciblage». Cette opération concerne exclusivement les grosses cylindrées (Mercedes, BMW, Mitsubishi, Jeep...)
D'ailleurs, pour le premier semestre 2004, plus de 150 voitures de ce genre ont été saisies par les services de la lutte contre la fraude contre 546 opérations effectuées l'année précédente, ce bien sûr sans compter les saisies opérées par les autres services. A noter que ces véhicules sont, soit volés, soit dotés d'une carte grise falsifiée ou complètement faussée.
Les voitures concernées par cette authentification systématique est la cible préférée des contrebandiers de la «taule» qui les vendent sur commande. Parfois, les trafiquants de véhicules doivent faire appel à leurs «collègues» de l'autre rive de la méditerranée. Dans ce cas précis, les vols les plus courants sont connus sous l'appellation de «vol à l'assurance». La méthode est diabolique mais toute simple: le trafic est contracté avec la complicité du propriétaire du véhicule qui, attiré par l'affaire alléchante d'où il sort gagnant, vend frauduleusement son automobile aux trafiquants. Quelques jours après son arrivée en Algérie, une déclaration de vol est signalée par le propriétaire et là, c'est l'assureur qui encaissera le coup. Le dédommagement sera d'autant plus total que la voiture est assurée contre tous risques. Là encore, c'est une aubaine pour l'assuré qui fera d'une pierre deux coups et ce, en encaissant presque le double de la valeur de sa voiture. Entre temps, le véhicule est déjà écoulé sur le marché algérien. Et lorsqu'il sera retrouvé par les forces de l'ordre, c'est le nouveau propriétaire qui en fera les frais, car le véhicule lui sera immédiatement saisi et il ne pourra entamer aucune poursuite judiciaire. «Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse» disait Musset. Ainsi est le cas dans ce milieu où tous les coups sont permis, l'essentiel est d'arriver à sa fin: celle d'atteindre une valeur optimale. En véritable serpent de Lerne, ces réseaux de trafic de véhicules puisent leur force de leur déliquescence même. Ils ne disparaissent que pour resurgir inexorablement là où l'on s'y attend le moins. Donc la lutte doit être livrée en permanence et sur tous les fronts, tant au niveau local qu'international. A cet effet, la coopération entre les différents corps concernés par ce casse-tête chinois est la seule stratégie possible que l'on puisse adopter en vue de lutter efficacement contre le vol et le trafic de véhicules.
Les services de police, de la gendarmerie, des impôts et ceux des douanes, sont appelés à redoubler d'efforts et à chercher de nouvelles solutions susceptibles de minimiser les dégâts.
Justement dans ce sens, l'Assistance administrative internationale, un corps auquel participent différents services douaniers issus de plusieurs pays, livre une bataille acharnée contre ce genre de trafic dont la capacité de nuisance frappe l'économie des nations dans leurs fondements mêmes. L'Interpol, présente dans 80 pays (dont l'Algérie), n'est pas mise à l'écart dans le combat mené contre ce phénomène. Sa base de données ASF (Automated Search Facility) mise en service en 1997, contient aujourd'hui des enregistrements concernant plus de 2,5 millions de voitures volées dans 59 pays. Plus de 80 pays l'interrogent régulièrement 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, pour savoir si des voitures ont été signalées comme volées.
On enregistre plus de 1000 réponses positives par mois, ce qui implique dans de nombreux cas, non seulement la restitution du véhicule, mais aussi la possibilité pour la police d'atteindre les organisations criminelles en cause.


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