En ce début du XXIe siècle, la responsabilité politique des nouvelles générations de leaders politiques et intellectuels sera basée sur le rapport du pouvoir à la liberté, principalement celle du citoyen. Ne peut être intellectuel qu'un individu qui se caractérise à l'origine par un savoir intellectuel, par de l'intellectualité, en d'autres termes. Les premières définitions des intellectuels l'ont bien signalé. Quel rôle, alors, joue ce savoir propre aux intellectuels dans leurs engagements? Ceux-ci procèdent bien évidemment d'un appel de l'extérieur, rapporté à des enjeux sociaux, politiques, éthiques, mais aussi d'une injonction de l'intérieur, venue d'une relation avec soi et son intellectualité, c'est-à-dire avec une culture intime et savante? Les intellectuels sont des acteurs majeurs du fait culturel, politique et social. À l'inverse, l'histoire culturelle permettait à l'histoire des intellectuels de considérer, bien davantage qu'auparavant, les contextes et les milieux culturels dans lesquels se réalisent les engagements, voire de reconnaître aux intellectuels une culture propre, explicative de leur identité... Être à la fois un universitaire et un intellectuel, c'est essayer de faire jouer un type de savoir et d'analyse qui est enseigné et reçu dans l'université, de façon à modifier non seulement la pensée des autres, mais aussi la sienne propre. Ce travail de modification de sa propre pensée et de celle des autres nous paraît être la raison d'être des intellectuels. L'ambition consiste à descendre dans l'arène civique et d'y apporter un supplément d'intelligibilité, un surcroît de lucidité. Le travail scientifique le plus rigoureux et les acquis les plus patients de l'érudition participent donc là directement de l'activité citoyenne, ils naissent de la confrontation à l'événement et y restent liés. Coincés dans une logique ambivalente d'appartenance ou de contestation à des groupes d'intérêts, nos intellectuels et nos universitaires d'une façon générale, comme le montre si bien la dernière sortie de N. Boukrouh lors du Forum de Liberté, ont oublié en quoi consiste leur mission et leurs responsabilités historiques, ont oublié de proposer leur projet de société. Au-delà de la concertation, une patrie, une nation, une nationalité et une citoyenneté se construisent grâce à l'exercice de la raison, à l'instruction publique, au service militaire et au gouvernement d'une élite éclairée, démocratiquement reconnue comme telle. Loin de l'élévation morale et du savoir-faire technocratique, une grande partie de nos élites s'est engouffrée dans des querelles de personnes, loin des questions qui engagent le destin de la nation, loin de la volonté intellectuelle de faire des analyses justes et de pouvoir administrer au pays les bons remèdes pour régler ce que l'on pourrait appeler la question nationale, la question sociale et la question politique. Nos intellectuels dévorés par des ambitions personnelles, ne rêvent plus de créer une démocratie sociale moderne idéale, de participer à l'effort de la réconciliation nationale, à l'édification d'une société de citoyens responsables, une économie développée, qui participent pleinement au concert des nations. Certains d'entre eux ont d'ailleurs eu leur part dans une certaine déconfiture de l'administration et du fonctionnement de l'Etat. Sans rêves, ils empêchent la société d'avoir des rêves et des espérances. Toute l'activité de nos élites intellectuelles et politiques se résume au soutien indéfectible ou à des attaques odieuses, visant à faire tomber en disgrâce la personne du président de la République. Nous ignorons ce que pensent ces élites de la réconciliation nationale au moment où le vent de la mondialisation a déraciné bien des Etats et des nations, ne laissant derrière lui que traumatismes et guerres civiles, nous ignorons également comment ces élites comptent-elles reconstruire à nouveau au milieu de débris politiques la nation algérienne moderne avec une démocratie régie par un Etat de droit, de citoyens éduqués, ayant avant tout le sens des responsabilités civiques et morales. Leur modèle n'est pas le consensus, le changement pacifique et la volonté générale, mais la technocratie élitiste fondée sur une conception de l'intérêt personnel qui ne repose pas sur la délibération, l'opinion ou l'expérimentation, mais sur la certitude et l'évidence qui s'imposent aux esprits ultra ambitieux. L'Algérie est à la croisée des chemins. Elle est désormais au coeur des préoccupations de développement dans lesquelles sont engagés ses dirigeants depuis une cinquantaine d'années. Ces derniers peinent à trouver une issue heureuse à partir de laquelle le pays pourrait jouer un rôle de premier plan sur la scène internationale. Il est nécessaire de réfléchir à une nouvelle génération de leaders, d'élites politiques et intellectuelles, capables de relever plusieurs défis comme ceux de la fragmentation de l'espace, de l'histoire et du savoir, de la refondation de l'Etat postcolonial, de la promotion de la démocratie et des droits humains et de la mise en place de nouvelles conditions de paix et de liberté, gage d'un développement durable. C'est par le renouvellement des élites que l'Algérie saura trouver les moyens pour affronter les différents défis qui se posent depuis l'indépendance, mais aussi accomplir et parachever la construction de l'Etat national. En ce début du XXIe siècle, la responsabilité politique des nouvelles générations de leaders politiques et intellectuels sera basée sur le rapport du pouvoir à la liberté, principalement celle du citoyen. La nouvelle génération est confrontée aux questions suivantes: quelles seront la configuration et la nature des différents pouvoirs politiques, religieux, économiques et intellectuels sur les plans local, national, régional, continental et mondial? Quelle sera la possibilité des citoyens de contrôler ces pouvoirs, d'en assurer l'équilibre pour la défense des droits fondamentaux des populations algériennes à la vie, à l'éducation, à la santé, en fait au bonheur spirituel et matériel dans la dignité? Quelle sera la place de l'Algérie dans ce monde dominé par les exigences de la mondialisation? La réponse à ces questions renvoie à trois principaux défis que doit relever l'Algérie: ceux de la fragmentation des espaces politiques, de la fragmentation de la conscience historique et de la fragmentation des savoirs.