Dans cet entretien, le ministre revient sur les programmes «très généreux» engagés dans le cadre du développement rural, promettant que la nouvelle stratégie sera plus «rationnelle». Il dément par ailleurs, les informations faisant état de «détournement de fonds publics» dont ont été accusés les responsables de l'administration centrale. Même s'il reconnaît que l'IGF enquête depuis deux ans et demi sur la gestion. Concernant la concession des terres agricoles, Benaïssa fait montre d'une grande fermeté. Il affirme que l'option prise par le gouvernement «est un choix stratégique». «L'Etat ne fera pas marche arrière», affirme-t-il. Enfin, l'amélioration de la situation sécuritaire a permis, selon lui, d'enregistrer un vaste mouvement de retour des populations vers les espaces ruraux. L'Expression: Une stratégie nationale de développement rural durable est en voie d'élaboration. Cette nouvelle démarche traduit-elle l'échec des politiques engagées dans se sens depuis l'indépendance? Rachid Benaissa : L'Algérie s'est toujours intéressée depuis l'indépendance aux espaces ruraux. Nous avons engagé dans ce sens des programmes très généreux, avec pour objectif la réhabilitation du mode de vie rural. Mais avec le temps, ces initiatives ont montré leurs limites. Le monde rural a fortement subi les effets de l'absence d'une réelle politique dans le secteur. Le développement rural ne doit plus être perçu sous l'angle de l'injection de fonds publics dans la réalisation d'infrastructures sociales ou d'équipements publics. Ce dont ont besoin les populations, c'est d'un développement qui organise les synergies économiques et sociales et qui se fonde sur une implication pleine et responsable des autorités locales. Il faut absolument dépasser la vision étriquée de la consommation des enveloppes financières allouées pour se positionner dans une démarche visant à la naissance et l'accompagnement des projets, le développement des centres de compétence au niveau local, l'investissement sur les ressources humaines et sur la formation du citoyen. Ce dernier est l'acteur de son devenir. La nouvelle stratégie de développement rural durable est une politique intersectorielle. Il faut savoir que ce développement n'est pas uniquement l'affaire du secteur agricole. Il s'agira, dans ce cas, de coordonner les interventions et créer une synergie entre les différents secteurs et activités. Vous avez évoqué «une politique généreuse». En effet, plusieurs programmes ont étés engagés, l'on cite notamment, le Pndr, le Fndr, le fonds de lutte contre la désertification... Beaucoup d'encre a coulé aussi sur la gestion de cet argent par l'administration centrale ; des dépassements ont été dénoncés, y compris par le président de la République. Par ailleurs, nous croyons savoir qu'une équipe de l'Inspection générale des finances enquête depuis quelque temps au niveau du ministère... Concernant le dernier point, je tiens à apporter les éclaircissements suivants. En effet, l'équipe de l'IGF enquête depuis deux ans et demi sur la gestion des fonds dégagés par les pouvoirs publics. Ce qui est tout à fait normal, au regard de l'importance des enveloppes financières dégagées au bénéfice du développement rural. En outre, aucun responsable central n'a été mis en cause, contrairement à la polémique soulevée par la presse. Des spéculations qui obéissaient à des arrière- pensées politiques. Ce qu'il y a lieu de préciser, c'est que la machine judiciaire est actionnée à chaque fois qu'on signale des dépassements. Nous n'avons pas de chiffres exacts sur les affaires en justice, mais j'estime que le meilleur moyen de pallier cette situation est, d'une part, l'instauration d'une transparence à tous les niveaux. L'argent n'a jamais manqué, mais c'est au niveau de la gestion que les blocages persistent. D'autre part, les citoyens doivent comprendre que l'aide à travers les fonds n'est qu'un levier. L'argent n'est pas une fin en soi mais un moyen. L'Etat a réitéré son engagement à l'égard de ses zones, à travers la consécration de plus de deux tiers de l'enveloppe de la relance économique au développement rural. En plus des budgets sectoriels, d'autres produits financiers vont être développés. Comment comptez-vous contrôler justement cet important flux d'argent? Pour mettre en oeuvre notre stratégie, une série d'outils est préparée à partir du dispositif existant ou à rendre opérationnel. Ces outils sont les projets de proximité de développement rural (Ppdr), les mécanismes de concertation et de décision, les modalités de financement des activités et le système mais aussi de suivi. Par ailleurs, il y a un travail fastidieux qui est en train de se faire pour essayer de mettre en cohérence tous les dispositifs juridiques (arrêté, circulaires article) dans un seul document, qui sera le code rural. Vous avez, maintes fois, soulevé les contraintes relatives aux conditions d'exploitation du foncier agricole. Nous savons qu'un projet de loi sur l'exploitation des terres agricoles du domaine privé de l'Etat est en stand-by depuis plus de deux ans. Peut-on savoir où se situe le blocage? Il ne s'agit pas de blocage dans la mesure où l'option de la mise en concession des terres agricoles du domaine privé de l'Etat est claire et irrévocable. Reste la mise en oeuvre des procédures juridiques qui est en voie de discussion entre les différents secteurs concernés. La mise en oeuvre de la stratégie de développement rural aura besoin d'être consolidée par des textes de lois. Le projet de loi relatif au mode d'exploitation des terres agricoles du domaine privé de l'Etat devrait, dans ce sens, permettre de clore un débat qui s'est enlisé et qui a inhibé les initiatives. Elle participera aussi à la sécurisation du foncier agricole en préservant et protégeant les droits des exploitants actuels. La situation sécuritaire a provoqué un exode massif durant la dernière décennie. Les pouvoirs publics évoquent depuis quelque temps «un vaste» mouvement de retour des familles vers leurs villages natals. Quelle est la situation exacte dans ces régions? Selon les informations que nous possédons, on signale effectivement des retours importants grâce à l'amélioration de la situation sécuritaire. C'est un processus qui se met en place progressivement. Les chiffres en notre possession confortent cette tendance. C'est le cas, à titre d'exemple, d'Aïn Defla où 7.000 des 11.000 familles ayant fui le terrorisme ont regagné leurs villages. La même chose est signalée à Tissemsilt, Sidi Bel Abbès, Jijel, Médéa, Saïda. Mais le pari n'est pas encore gagné. Il faut savoir qu'avec près de 13 millions d'habitants, le monde rural représente environ 40% de la population algérienne. Cette part connaît une diminution constante depuis l'indépendance. Selon les statistiques, 4,5 millions de personnes ont quitté l'espace rural entre 1977 et 1998. Le phénomène de migration en milieu rural s'est amplifié au cours de la dernière décennie en raison de plusieurs facteurs défavorables liés principalement à l'absence de sécurité. L'évolution des flux migratoires, au cours de cette période, révèle que sur les 948 communes rurales, 276, soit 29,1%, s'annoncent répulsives et voient leurs populations migrer vers d'autres régions plus attractives. La projection démographique à l'horizon 2030 confronte cette appréciation et met en relief des évolutions qui sont porteuses, sinon d'incertitude, du moins, d'inquiétude quant à l'équilibre et à la cohésion de la société algérienne. Dans 30 ans, ils seront plus de 7 millions à quitter l'espace rural. L'enjeu est de faire en sorte que ces populations se stabilisent dans leurs régions et pourquoi pas, inverser la tendance de l'exode.