Le diagnostic étant fait, il ne reste plus que la médication à administrer L'Algérie a trois années et autant de lois de finances et de lois de finances complémentaires pour trouver une échappatoire à la crise. Avec des transferts sociaux de l'ordre de 60 milliards de dollars, l'Algérie trône en tête de la liste très serrée des «Etats providences». En effet, ministres et experts, estiment que les Algériens sont chouchoutés plus que de raison. L'on a bien vu l'empressement qu'avaient les participants à la table ronde organisée par le Cnes à se ruer sur ces transferts sociaux et préconiser des coupes dans les subventions publiques qui, disent-ils pèsent trop lourd sur le budget de l'Etat. Le consensus est quasiment réalisé parmi les observateurs de la scène économique nationale quant à la nécessité impérieuse de réorienter les subventions et faire en sorte que les riches ne profitent pas autant que les pauvres de ces subventions. Au niveau de la sphère politique, seul le secrétaire général du RND, Ahmed Ouyahia, a eu «le courage» d'appuyer cette thèse en affirmant qu'il trouvait injuste de payer la baguette de pain au même prix que le gardien du siège de son parti. Cette déclaration met sans doute mal à l'aise la classe politique sur la question des subventions. En effet, l'opposition qui reste sur les généralités dans les critiques qu'elle formule à l'endroit du gouvernement, évite d'aborder frontalement le sujet, cela malgré l'éloignement des échéances électorales. Face au silence des partis, l'Exécutif prend sur lui de répondre aux experts et soutient que toucher aux poches des Algériens sera la dernière chose à faire. En d'autres termes, l'on a l'impression que l'Exécutif compare la fin des subventions à un véritable suicide politique. Personne ne l'entraînera sur cette voie et certainement pas Ahmed Ouyahia. Le gouvernement est donc, dans cette histoire de coupes budgétaires nécessaires pour réduire les déficits, face à un dilemme. La loi de finances 2016, après celle complémentaire de 2015, a relevé un certain nombre de taxes, qui grèveront, à n'en pas douter, les budgets des ménages. Mais ramené aux recommandations des experts, le «petit lifting» fiscal représente le millième de ce qui est attendu du gouvernement. C'est clair, ce dernier n'a pas l'intention de s'aventurer à pratiquer des baisses, voire des suppressions de subventions dans la précipitation. Les deux ou trois années de marge qu'offrent le Fonds de régulation des recettes et les réserves de changes, servent au gouvernement pour gagner du temps, ou encore réfléchir à une autre solution, moins coûteuse en termes de paix sociale. Mais qu'est-ce qui fait si peur au pouvoir, dans la proposition qui consiste à cibler les populations destinataires de la subvention? Pourquoi rejeter systématiquement le principe de revoir le schéma des transferts sociaux et aller vers des aides directes aux couches sociales les plus défavorisées? Le gouvernement a les réponses à ces questions. Et la première réponse concerne Ahmed Ouyahia lui-même. En effet, si 70% des Algériens avaient le niveau de rémunération du secrétaire général du RND, on trouverait en effet injuste de partager le pain subventionné avec un gardien d'immeuble. La réalité est que le salaire moyen en Algérie est de 35.000 dinars. Soit à peine 320 dollars au taux de change actuel. Sachant le taux d'occupation de la femme en Algérie et la proportion importante de jeunes de moins de 18 ans, on déduit aisément que cette moyenne est partagée par quatre à cinq personnes. Si l'on considère que ce niveau de salaire est largement suffisant pour payer le pain à 70 dinars et le m3 d'eau à plus de 100 dinars, on va droit à l'appauvrissement immédiat d'une frange majoritaire de la société. En prenant en compte les derniers chiffres sur les salaires produits par l'ONS, on déduirait que les travailleurs dans le secteur pétrolier dont la moyenne salariale est de 95.000 dinars peuvent peut-être s'en tirer, sachant que cette somme est l'équivalent de 900 dollars, assez loin du Smig occidental. Nous parlons là de moyenne. C'est-à-dire que la grande masse des travailleurs est en dessous de ces niveaux de rémunération. Seuls les députés, les P-DG de grands groupes privés et publics et les ministres échappent à la dure réalité des salariés algériens. En fait, les transferts sociaux que critiquent les experts permettent à des millions de travailleurs de se croire dans la classe moyenne et leur ouvrent la voie de la consommation de produits qui n'avait pas sa clientèle en Algérie. Il y a lieu de noter que le ministre des Finances a affirmé récemment à la Chaîne III de la Radio nationale que l'Algérie touche un salaire direct en espèces et un complément de ce salaire en subvention. Et c'est cela qui permet aux citoyens de tenir le coup. Les experts qui proposent des coupes dans les transferts sociaux savent pertinemment que nos voisins marocains et tunisiens ont des revenus supérieurs en raison de la valeur de leurs monnaies respectives. Cela dit, à voir l'évolution des choses, personne ne peut prévoir les déficits futurs. Aussi, les coupes ne concerneront pas seulement les transferts sociaux. D'ailleurs, le gouvernement entend «raboter» ailleurs, dans les grands projets structurants. Un autre dilemme que l'Exécutif peut trancher avec moins de «souffrance». Mais les conséquences n'en seront pas moins dramatiques pour l'emploi et le développement du pays en général. L'équation que devra résoudre le pouvoir est on ne peut plus complexe. Le gouvernement sera obligé de céder sur les deux tableaux. L'Algérie a tout de même trois années et autant de lois de finances et de lois de finances complémentaires pour trouver une échappatoire à la crise.