La station balnéaire égyptienne de Charm El Cheikh accueille pour deux jours une conférence consacrée à l'Irak. Beaucoup de monde sera présent aujourd'hui à Charm El Cheikh dans le Sinaï égyptien, dans la perspective de trouver une solution à la guerre en Irak et étudier les voies et moyens pouvant contribuer au retour à la sécurité, condition sine qua non pour la reconstruction de ce pays partiellement détruit par 18 mois de guerre imposée par les Etats-Unis et par les décennies de pouvoir totalitaire du régime de Saddam Hussein. De fait, la sécurité, les élections générales, prévues en janvier prochain, la reconstruction du pays et les aides attendues sont les principaux points de l'ordre du jour de la conférence internationale qui s'ouvre aujourd'hui et s'achèvera demain avec l'adoption d'une déclaration de «Charm El Cheikh» sur l'Irak. En fait, outre l'examen de la situation en Irak, la conférence aura aussi l'opportunité, c'est du moins le voeu de certains participants, de recoller les morceaux entre une Amérique quelque peu revenue de ses illusions et une Union européenne déchirée par les prises de position contradictoires de ses membres. De fait, en filigrane, Charm El Cheikh servira aussi à réconcilier l'Europe des 25 dont les membres ont épousé des causes différentes, notamment la Grande-Bretagne qui s'est signalée par un suivisme aveugle, sans mesure et sans nuance, de la politique guerrière de Washington. Ainsi, les Britanniques d'une part, les Allemands et les Français d'autre part, défendaient des positions diamétralement opposées. Autant Londres soutenait les va-t-en guerre américains, autant Berlin et Paris étaient opposées à cette guerre. Cela a laissé des séquelles, malgré le profil bas qu'observent les uns et les autres, d'autant plus que ces divergences demeurent persistantes malgré les efforts qui tendent à faire croire que tout est rentré dans l'ordre. Ainsi, Charm El Cheikh apparaît pour beaucoup comme une occasion donnée aux Européens de recentrer leur politique, -et aussi essayer d'avoir leur mot à dire dans le processus transitoire engagé en Irak-, qu'une opportunité d'aider concrètement le peuple irakien à surmonter ses difficultés actuelles. En effet, trop d'arrière-pensées sous-tendent une réunion qui risque de perdre de vue les raisons de sa convocation. Aussi, les Européens ne veulent pas lâcher prise et souhaitent faire de Charm El Cheikh le retour de l'Union européenne dans le dossier moyen-oriental, avec en arrière-fond, cette lutte feutrée de leadership. Ainsi, une diplomate de l'UE a estimé que la conférence de Charm El Cheikh devrait «envoyer un signal que la coalition (dirigée par les Américains) n'est pas seule à croire au processus politique (en Irak) et qu'il y a un large soutien», affirmant: «c'est véritablement une réunion de toute la communauté internationale (avec) ceux qui étaient pour la guerre, ceux qui étaient contre... tous se rassemblant pour réaffirmer leur intérêt et leur engagement à soutenir la transition politique» en Irak. En fait, les Européens ne voulaient pas laisser aux Américains le monopole sur l'Irak et tenaient à ce que la conférence réaffirme le rôle dirigeant des Nations unies, conformément à la résolution 1546 du Conseil de sécurité qui, entre autres, affirme que la présence des forces étrangères en Irak reste et doit rester temporaire. Un diplomate français, sous le couvert de l'anonymat, a en effet indiqué à ce propos: «Nous avons insisté pour que le document final puisse affirmer, d'une manière ou d'une autre, le caractère temporaire de la présence de la force multinationale». De fait, le projet de déclaration de Charm El Cheikh réaffirme que le mandat de la Force multinationale «n'est pas indéfiniment ouvert», et souligne «le rôle dirigeant des Nations unies dans le soutien au processus politique» en Irak, tel que prévu par la résolution 1546. Cette résolution, adoptée par le Conseil de sécurité de l'ONU le 8 juin, a déterminé que «le mandat de la force multinationale sera réexaminé à la demande du gouvernement de l'Irak ou 12 mois après la date de l'adoption de la présente résolution, et que ce mandat expirera lorsque le processus politique sera terminé». Or, le Premier ministre intérimaire irakien, Iyad Allaoui, loin d'envisager le départ des troupes américaines, demande au contraire à ce qu'elles soient renforcées par des contingents d'autres pays. Abondant dans le même sens, des officiers généraux américains ont estimé récemment que l'armée américaine restera en Irak pour au moins dix ans. C'est dire qu'à Charm El Cheikh, le débat risque d'être chaud autour de cette question. Le deuxième point qui retiendra l'attention de la conférence est centré sur la tenue des élections générales. Le moins qui puisse être dit est que le pays n'offre pas actuellement toutes les garanties d'une consultation loyale et crédible. Au vu de la situation sécuritaire dégradée, de la violence qui sévit dans le pays et des velléités autonomistes des Kurdes, les observateurs demeurent sceptiques quant à la possibilité d'organiser des élections crédibles dans des conditions aussi aléatoires. Mais ce qu'il y a aussi à relever est le fait qu'à Charm El Cheikh, la conférence internationale sur l'Irak se tient sans la présence des Irakiens. Ainsi, le jeu est faussé dès le départ dans la mesure où les principaux acteurs de la crise irakienne, -les partis et personnalités politiques-, seront les grands absents d'une rencontre centrée sur l'Irak et censée aider ce pays, alors que ses forces politiques, -concernées au premier chef-, ne sont pas conviées à une conférence qui aura à débattre du futur de leur pays. Aussi, la proposition de la France d'inviter les forces politiques irakiennes -pour, à tout le moins, «détacher certains mouvements de la lutte armée», comme l'indique un diplomate français- n'a pas été retenue. Il est vrai que les Américains et le gouvernement intérimaire irakien (totalement inféodé à Washington) ne sont pas intéressés par cet aspect de la question et veulent surtout mener les choses à leur guise quand leur seule préoccupation, est en fait, la tenue d'une élection qui entérine l'actuelle configuration politique irakienne avec les pro-Américains aux rênes du pouvoir. Autant dire que la conférence de Charm El Cheikh -qui regroupe, outre les Etats-Unis et le gouvernement intérimaire irakien, des représentants de l'Union européenne, des pays voisins de l'Irak (l'Iran, l'Arabie Saoudite, la Syrie, la Turquie, le Koweït et la Jordanie), l'OCI, la Ligue arabe, la troïka arabe chargée du dossier irakien (la Tunisie, président en exercice de la Ligue, Bahreïn président sortant et l'Algérie qui accueille le sommet arabe en avril prochain), de même que les principaux donateurs-, risque de se perdre dans de vaines palabres. En tout, une vingtaine de pays sont annoncés à Charm El Cheikh pour débattre de l'avenir de l'Irak.