L'avocat d'Alger s'était présenté à la barre avec un dossier pénal en béton armé d'articles de loi. Les tribunaux foisonnent de dossiers de divorces. Quotidiennement, des dizaines et des dizaines de divorces sont prononcés. D'autres sont entamés et beaucoup d'autres sont en cours... Maître Mohammed Djediat, l'avocat de Patrice Lumumba d'Alger-Centre n'avait pas pris de gants pour venir asséner de rudes coups à l'adversaire de sa cliente qui se plaint d'être malmenée, humiliée, battue, ignorée, frustrée de visites de proches et autres coups tordus venant d'un mari violent, jaloux, mesquin, radin, vil, pernicieux, irresponsable, frileux face au dialogue... Ce chapelet de tares a permis à l'avocat de Samira L., 27 ans, sans enfant (heureusement), une orpheline sans soutien jusqu'à la visite au cabinet de Maître Djediat qui sait tout à propos de telles affaires inhérentes au statut personnel qui dérapent sur la correctionnelle... Assise sur le banc réservé aux justiciables, attendant que le magistrat l'invite ainsi que sa moitié au bureau pour vider tout ce qu'ils ont à dire. N'empêche que le défenseur -seul dans ce dossier, le mari ayant préféré se défendre seul - a lancé des calembours à la barre avant le huis clos de circonstance: «Monsieur le président, permettez-moi de vous rappeler que cette audition n'est pas la première. Vous nous aviez déjà entendu pour un abandon de famille ici, dans cette même salle, il y a un an et demi. Or, aujourd'hui, il s'agit de coups et blessures volontaires à l'aide d'un objet tranchant et... - d'un gros peigne au cou!» jette la dame menue, chétive et à la mine décomposée et catastrophée par ce qui lui est arrivé récemment jusqu'à l'arrivée des flics alertés par des voisins atterrés! Le magistrat bouge le bout de son petit nez et invite l'avocat à s'avancer pour une courte concertation à laquelle participe le procureur à titre indicatif et beaucoup plus à titre d'une coutume qui veut que le représentant du ministère public soit le... «sel» de la «soupe-procès», juste pour jouer son rôle! Maître Djediat souffle quelques mots que nous n'avions pas pu entendre et se retire au signe de tête du magistrat qui lève l'audience pour inviter les couples à entendre dans l'arrière-salle qu'on ne peut regagner qu'en contournant la bâtisse. Et lorsqu'à notre tour, nous regagnons le couloir réservé aux justiciables convoqués, la dame qui fait plus que son âge, rumine. Elle pense haut! Elle s'exclame! Elle pleure! Elle prononce des bribes de phrases. Elle crache même des menaces. Grosso-modo et nous amusant à reconstituer tout ce qu'elle avait marmonné en sept minutes, chrono en main, nous avons pondu ce mini-paragraphe (arrangé, bien sûr, et... censuré, car les vulgarités n'ont pas de place dans cet... espace). Elle a alors récité: «Il a voulu me détruire! Il ne réussira pas. Il veut me démonter. Il m'a seulement fait mal physiquement. Il a insulté mes défunts parents. A Allah, je m'en remettrai. Et puis, qu'est-ce qu'il m'a fait? Depuis huit années, je n'ai reçu que des coups, des insultes, des menaces, du chantage. J'y ai même laissé ma beauté. Ma peau est toute marquée. Que des cicatrices, souvent mal guéries! Quel est donc ce destin qui veut que cet énergumène me mène la vie dure? Et puis, je n'ai même pas d'enfants que je voudrai préserver. Heureusement, d'ailleurs!» Elle pleure à chaudes larmes. Elle a les yeux gonflés. Ses cheveux en bataille lui donnent l'air d'une sportive de combat qui vient de connaître la première défaite de sa carrière. Ses épaules tombent, car elle avait, à un moment, tenté de redresser son cou qui porte une tête dont on peut deviner ce qui s'y passe. Une tête bien faite et bien pleine ne parle pas. Elle laisse supposer ce qui peut se passer dans le crâne féminin de la personne venue réclamer justice en attendant que la procédure de divorce fasse son chemin. Deux dossiers pour une même victime, n'est-ce pas trop? Dure est la loi, mais elle reste la loi. La séparation, l'éclatement du couple, la désagrégation d'une famille n'a rien à voir avec les coups et blessures volontaires précédés de menaces de mort. Maître Djediat a, encore une fois, joué seul, avec comme précieux allié naturel, le jeune procureur qui a réclamé deux ans ferme, surtout que l'arrêt de travail est de 21 jours! Brrr! Le dossier est placé sous examen, sous quinzaine. D'ici-là, la dame n'aura que ses yeux pour pleurer, pleurer, quitte à gâcher sa beauté.