La liste macabre des victimes de la guerre en Irak s'est encore alourdie hier à une semaine d'un scrutin à hauts risques. Depuis la prise de pouvoir le 1er Juillet dernier à Bagdad par le gouvernement transitoire irakien de Iyad Allaoui, placé sous la totale emprise américaine, la situation sécuritaire du pays n'a cessé de se détériorer, transformant l'Irak en vaste mouroir où s'affrontent groupes armés et forces d'occupation américaines. Au rythme moyen de 100 morts par semaine, des milliers d'Irakiens ont été tués durant les 18 mois de pouvoir de Iyad Allaoui, qui tire sa confiance, voire son arrogance, du soutien sans faille que lui apporte Washington. M.Allaoui, contre toute évidence affirmait hier «nous pensons que les élections en elles-mêmes aideront à mettre fin à la violence en permettant de combattre le terrorisme et en permettant à tous les Irakiens de participer (au processus démocratique)». Tous? Le Premier ministre intérimaire irakien ne semble pas prendre en compte le fait que les provinces sunnites et les principaux partis de cette ethnie ont décidé de boycotter cette consultation électorale. En fait, il y a tout à craindre, en revanche, que les élections du 30 janvier ne constituent le clash entre les communautés irakiennes et n'ouvrent la voie à la partition du pays, laquelle partition se trouve en fait en filigrane dans le mode d'élections choisi qui annonce d'ores et déjà un Irak à trois visages. Ce que préfigurent un Parlement dominé par les chiites, crédités comme les principaux bénéficiaires du scrutin de dimanche prochain, des sunnites sans représentativité véritable dans les institutions élues, que les Américains mettent en place au pas de charge et un Parlement kurde quasiment indépendant, qui posent de front le problème de la division du pays. Ces élections seront sans doute tout ce que leurs organisateurs veulent qu'elles soient, mais certes pas légitimes alors qu'une communauté entière (les sunnites) est frappée d'un déni de droit. En effet, quel crédit accorder à un scrutin d'où sont exclus les sunnites, que ce soit du fait du boycott du scrutin ou de la guerre. Cela revient au même dans la mesure où cette importante ethnie, qui dirigea l'Irak durant des décennies, sera de facto absente dans les prochaines assemblées élues. Ce qui pose d'emblée la question de la légitimité de tout le processus électoral irakien, que les Etats-Unis voulaient absolument qu'il se tienne à la date fixée malgré tous les aléas de ces derniers mois qui militent pour, à tout le moins, l'ajournement du scrutin jusqu'au retour à une situation plus normale permettant au peuple irakien de s'exprimer sans avoir sur lui les pressions intolérables qu'il subit actuellement de la part tant des groupes armés, qui le menacent dans sa vie, que des forces d'occupation, qui contre toute raison, l'incitent à aller voter. Or, ce scrutin apparaît de plus en plus sans objet eu égard au chaos et au désastre qui règnent dans l'Irak d'aujourd'hui. De fait, à juste raison, l'ancien ministre égyptien des Affaires étrangères, Ahmed Maher, s'interrogeait hier sur l'opportunité d'organiser une consultation électorale dans les conditions qui sont celles de l'Irak, qualifiant de «suspecte (...) l'insistance des Américains et des pontes du pouvoir irakien actuel à tenir les élections dans les délais (...) C'est une affaire qui suscite la crainte et le doute sur les véritables intentions des partisans de ce scrutin» ajoute M.Maher. L'ancien chef de la diplomatie égyptienne, qui n'est plus tenu par l'obligation de réserve, résume parfaitement l'opinion qui est celle de tous les analystes et observateurs de la scène irakienne. Par quelque bout qu'on prend la chose, la précipitation avec laquelle le gouvernement intérimaire irakien, soutenu par Washington, insiste à tenir cette consultation électorale ne s'explique pas ni ne se justifie du fait des conditions sécuritaires désastreuses qui sont celles du pays. Au moment même où M. Allaoui affirme que les élections vont «améliorer» la situation sécuritaire de l'Irak, Abou Moussab Al-Zarqaoui, ennemi public numéro 1 des Etats-Unis en Irak, et représentant local d'Al Qaîda, déclare publiquement, dans un message vocal qui lui est attribué, la guerre aux chiites dans un enregistrement audio diffusé hier à Dubaï dans lequel il indique que les élections du 30 janvier sont «un piège abominable, destiné à assurer aux Rafidha (désignant péjorativement les chiites) le contrôle des rouages du pouvoir (en Irak) -et- nous avons déclaré une guerre farouche à ce processus ignoble.» Ce qui contredit l'optimisme quelque peu surfait du Premier ministre intérimaire irakien. Parallèlement, la situation était hier confuse quant au sort des otages chinois, dont la libération avait été confirmée samedi par l'agence officielle Chine nouvelle, mais avec lesquels aucun contact n'a pu être établi hier. Ce qui laisse place à toutes les supputations, d'autant plus que le black-out était total sur les conditions de leur élargissement.