La France et les Etats-Unis réclament la tenue d'élections «libres et équitables». Alors que la presse israélienne, jordanienne et occidentale ont salué la démission du gouvernement Karamé, l'opposition libanaise, dopée par la sévère mise en garde américaine à l'encontre de la Syrie, maintient la pression sur le pouvoir en place à Beyrouth. Ainsi, la place des Martyrs, dans le centre-ville, où des dizaines de milliers de manifestants s'étaient rassemblés la veille pour réclamer le départ de Karamé, était encore occupée par quelques centaines d'entre eux. L'enjeu politique de l'heure, à savoir les élections législatives prévues en avril prochain, agite sérieusement l'opposition qui espère bénéficier de «l'élan international» contre le régime pro-syrien d'Emile Lahoud pour arracher la victoire. Largement acquise aux thèses développées par les contradicteurs du pouvoir, la presse libanaise se met de la partie en ouvrant largement ses colonnes aux anti-Syriens, tout en mettant le doigt sur les incertitudes futures qu'implique la démission du gouvernement Karamé. «Le problème de la formation d'un nouveau gouvernement est aussi important que celui de la démission du cabinet», souligne le quotidien à grand tirage Al-Nahar. Pour le quotidien Al-Mostaqbal, propriété de l'ancien Premier ministre assassiné Rafik Hariri, «le gouvernement masqué s'est effondré, mais à quand le tour de celui qui l'a mis en place», en référence au régime pro-syrien du président Emile Lahoud. «La chute du gouvernement n'est pas le bout du chemin (...) il faut abolir le régime qui donne naissance à de tels gouvernements et qui prive le pays de son droit à s'autogouverner», ajoute le journal. Autant de commentaires qui illustrent la crainte de l'intelligentsia libanaise de voir le pays faire du surplace. C'est dire également que la démission de l'Exécutif pro-syrien n'est pas en soi la fin de la crise qui agite le Liban depuis des mois. Cette précaution est justifiée, relèvent les observateurs, sachant le caractère de plus en plus complexe que prennent les événements, avec une implication directe de nombreux pays et la crise d'un côté et le silence quelque peu mystérieux de la Syrie, au centre du problème qui secoue présentement le pays des Cèdres. Le silence syrien est illustré à travers une réaction officielle par rapport à la démission du gouvernement Karamé, qualifiant l'événement d' «affaire interne au peuple libanais». Autrement dit, le pouvoir syrien refuse d'admettre la relation de cause à effet directe entre la situation au Liban et la présence militaire syrienne dans ce pays. Laquelle présence est l'objet de fixation des Etats-Unis qui, dans une réaction à la démission de l'équipe pro-syrienne de Karamé, a ouvertement critiqué Damas, tout en prévoyant une «révolution du Cèdre» au Liban. «Nous nous trouvons dans une période de progrès monumental pour les droits de l'homme et la démocratie», a déclaré la sous-secrétaire d'Etat aux Affaires mondiales, Paula Dobriansky. Rappelant la «révolution orange en Ukraine» qui a succédé à une «révolution rose en Géorgie», Mme Dobriansky a estimé, devant la presse, qu' «au Liban, nous voyons grandir un élan vers une ‘'révolution du Cèdre'' qui unit les citoyens de cette nation en faveur d'une démocratie véritable et la libération de l'influence étrangère». Depuis l'assassinat le 14 février de l'ancien Premier ministre libanais, Rafik Hariri à Beyrouth, Washington a entrepris une offensive diplomatique dont l'une des manifestations est de faire monter la pression sur la Syrie afin d'obtenir la fin de sa tutelle sur le Liban. Les Etats-Unis ont appelé au «retrait immédiat et complet» des 14.000 militaires syriens déployés au Liban et exigent que Damas cesse de soutenir les insurgés irakiens ainsi que les militants islamistes opposés au processus de paix au Proche-Orient. La France et les Etats-Unis qui divergent sur le dossier irakien, ont conjointement appelé hier à Londres au retrait des troupes syriennes du Liban et à la tenue d'élections «libres et équitables» dans ce pays. Le président libanais, Emile Lahoud, qui a réussi à se maintenir au pouvoir pour trois années supplémentaires, risque son poste dans le cas d'une victoire de l'opposition, dont l'une des premières décisions serait l'annulation de l'amendement constitutionnel qui a ouvert la voie à une prorogation du mandat de Lahoud, constituant de fait, le détonateur de la crise actuelle. Sur le terrain, les Américains maintiennent une présence soutenue. L'émissaire américain au Liban, David Satterfield, a rencontré les chefs religieux des principales communautés au Liban, notamment le patriarche maronite, Nasrallah Sfeir, qui parraine l'opposition chrétienne anti-syrienne, ainsi que le chef druze Walid Joumblatt et le député chrétien Nassib Lahoud. Des gestes qui ne trompent pas sur la volonté US d'en finir définitivement avec le pouvoir pro-syrien au Liban. Une initiative d'ailleurs largement soutenue par Israël, dont la presse a unanimement salué la chute du gouvernement Karamé et réclamé le départ des militaires syriens.