Ils étaient nombreux samedi dernier, à s'être déplacés à l'Institut français d'Alger pour assister à la soirée de projection issue du fruit d'une semaine intensive d'apprentissage cinématographique lors du laboratoire de documentaire. Cette session encadrée toujours par Xavier Liébard avait pour cette thématique cette année le corps. Mais comme le veut l'usage ici, c'est place d'abord aux trois travaux réalisés autour du son. Le premier à avoir montré son travail est Aissat Mehdi qui nous fera immerger en pleine ville dans une ballade à travers les ambiances d'Alger. Le second est Hocine Mellal; ce dernier nous fera écouter les propos d'un homme qui travaille dans l'irrigation et qui explique que compte tenu de la crise en France, il y a moyen de mettre à exécution des projets en Algérie. Hélas! on n'entendait pas grand-chose. Ce qui sauvera la compréhension est le sous-titrage. Comme quoi, le son est très important si l'on veut cerner et saisir les choses. Pour preuve, le troisième exercice sonore des plus complets, nous a carrément invités dans un voyage sensoriel faisant carrément travailler notre imagination. Entre un dialogue d'une jeune fille avec ses amis évoquant sa rencontre avec un garçon sur Facebook, l'on est plongé dans les divagations d'un jeune homme qui chante son mal d'amour. Un travail sonore remarquable qui nous aura raconté une jolie bluette sentimentale et une histoire juste à travers la voix de ses personnages. La seconde partie de la soirée a été consacrée au rendu du travail du laboratoire en matière de documentaire. Des réalisateurs algériens ont eu juste à peine quelques jours pour trouver un sujet, faire des repérages, tourner, monter à l'aide d'autres collaborateurs spécialisés dans le montage et autres postes techniques pour enfin réaliser un court métrage documentaire qui allie à la fois l'émotion et la rationalité d'une thématique très intéressante sans tomber dans le style du reportage creux. Pari réussi pour nos trois apprentis documentaristes qui ont traité chacun d'un sujet fort qui leur tenait vraiment à coeur. Le premier film projeté était celui de Amel Blidi. Intitulé A l'ombre des mots, notre réalisatrice s'est intéressée à l'univers des personnes sourdes. Alger se réveille. Un café ouvre ses portes. Il est tenu par des personnes malentendantes. Amel s'entretient avec eux et rigole. Ses interlocuteurs ne se plaignent jamais. Ce sont des personnes fortes et dignes. La réalisatrice abat les clichés. Elle racontera tout de même les difficultés que ces gens rencontrent, notamment pour trouver du boulot lorsqu'ils se retrouvent en butte à l'intolérance des gens qui jettent l'anathème doublement sur les personnes sourdes, en refusant de les embaucher malgré leur qualification et diplômes. Avec humour et intelligence, certains témoignages soulignent ce qu'est la notion d'intégration dans une société dite «normale». Mais celle-ci est-elle vraiment normale? Le second film projeté est celui de Farah Abada qui a opté pour un portrait d'une jeune artiste performeuse, à savoir Souad Douibi. Sujet de raillerie et de moquerie souvent sur les réseaux sociaux à cause des performances engagées liées souvent à la femme et la place qu'elle occupe dans la société, la réalisatrice évoque les polémiques auxquelles elle fait souvent face; la jeune artiste, qui est courageuse, ne se démonte jamais pour autant et continue à tracer sa route. La réalisatrice suit dans ses pérégrinations et villégiature l'artiste lorsqu'elle écrit sur les murs ou le trottoir, le mot «femme» ou «nettoie ta tête» en arabe tout en les accompagnant de quelques extraits des commentaires les plus négatifs et machistes de certains hommes, vus le Net. Le regard de la réalisatrice est tourné beaucoup plus vers l'artiste pour tenter de comprendre ses appréhensions, ses doutes et ses craintes. L'on regrette souvent qu'elle n'ait pas filmé la réaction des gens dans la rue ou très peu, mais néanmoins elle a eu le mérite de parler d'une artiste dont l'acte artistique hautement engagé est souvent mal compris et dévalorisé. Enfin, le dernier film projeté était celui de Amine Kabbès qui a choisi de parler d'un ami à lui, alias Brahim du groupe de rap Genoxy. Après leur avoir réalisé un clip, une amitié déjà née auparavant s'est renforcée au fil des ans. Alors quand Brahim a été blessé suite à un accident et est devenu à moitié sourd, Amine Kabbès a voulu raconter à travers son film la combativité féroce de son ami qui aspire à reprendre le chemin de la scène, vaille que vaille, et partant, de concilier son amour de la musique avec son ami Omar Paco du même groupe et les faire se retrouver après un petit froid entre eux. Loin d'être victimaire, le réalisateur imbu d'intentions des plus humaines a choisi l'angle de vue de Brahim, en le filmant courant dans la rue à la manière d'un Rocky, mais aussi lors de ses moments de doute, chez le médecin ou, lorsque à la pénombre d'une terrasse baignée par la lumière nocturne les deux amis se parlent en toute franchise à l'ombre de la caméra. Des moments intenses, mis en scène parfois et narrés sous la forme d'une fiction et pourtant des tranches de vie vraie et poignante. Amine Kabbès a lui aussi réussi le pari de nous raconter l'histoire de ce groupe dans les tourments entre déchirures et espérances à travers la figure d'un Brahim qui veut se relever et «revenir» coûte que coûte à la scène. D'où le titre du film «N'weli.» En somme que de bonnes vibrations cinématographes et de l'énergie à en revendre parmi ces jeunes d'une remarquable dynamique. A saluer bien bas. Pour rappel, cet évènement est organisé par l'Institut français d'Alger en partenariat avec le Festival premier Plan Angers.