Dans la fièvre du portable, les opérateurs ont joué un grand rôle. L'explosion du marché du portable a donné lieu à l'apparition de nouveaux comportements et à un nouveau langage. «Le coucou» qu'on avait l'habitude de surprendre à chaque coin de rue est devenu un bip furtif, un message, puis une image pixélisée, lancée via les ondes du téléphone. Oran n'est pas restée à la traîne. Elle connaît elle aussi sa ruée vers ce petit joujou, jadis un objet de luxe devenu, au bout de quelque temps, une nécessité pour se muer en signe de distinction sociale avant de se «démocratiser» pour n'être plus qu'un appendice qu'on traîne avec soi. Dans la fièvre du portable, les opérateurs ont joué un grand rôle. Aujourd'hui, on n'hésite plus à s'afficher avec les oreillettes du kit mains libres, bien en évidence, pour faire branché. Chaba Zohra, en entonnant son tube Ouine ma n'bipi, n'a fait que raconter une nouvelle idylle avec le portable et montrer du doigt un nouveau comportement: on bipe pour signifier qu'on est là, qu'on veut discuter, ou tout simplement pour se rappeler au bon souvenir d'une connaissance que l'on veut préserver de l'agression de l'oubli. Cette «portablomania» a donné naissance à un marché où le formel dispute des espaces à l'informel, l'illégal. M'dina Jdida est devenue une place forte du négoce, faisant de l'ombre aux revendeurs et autres concessionnaires légalement installés. Le portable a chassé les oiseaux de la place Roux et du boulevard Zabana. Les serins, les canaris et autres chardonnerets, encagés, ont fui les lieux cédant devant la présence envahissante de ceux qui s'improvisent, occasionnellement «refourgueurs» de portables. Ici, les labels, les marques, les options se livrent à une guerre qui échappe aux yeux des fabricants. On vend, on achète, on répare, on troque, on fait des reprises et cha rouve son compte dans cette foire à empoigne. Les prix sont fixés à la tête du client. On marchande, on propose, on jure, on affiche un rictus, un sourire, on se fait engageant, mielleux, pourvu que le client soit «ferré». Toute la panoplie de la séduction du client est passée en revue le temps d'une transaction. Ici, les objets provenant du recel se vendent jusqu'à n'en plus pouvoir. Les portables volés côtoient ceux ramenés de Zouiya, de Dubaï et des autres places fortes qui alimentent le marché informel en Algérie. Il arrive que de temps à autre, éclate une dispute entre un client qui a reconnu son appareil, volé la veille et un revendeur prompt à jurer par tous les saints qu'il ne s'approvisionne jamais chez ceux qui sont connus pour être des receleurs. Cette situation a transformé les lieux en une arène où se livre un incessant «jeu du chat et de la souris» entre des revendeurs au regard furtif et scrutateur et des policiers en faction. L'espace marchand voyage alors au gré des courses-poursuites. Un jour il est là, demain il est là-bas, et dans un mois il sera peut-être au bout du quartier. Tenaces, les revendeurs ne veulent pas céder. Harnachés, en tenue de sport, le dos chargé d'un sac, véritable dépôt de marchandise, ils opèrent par vague, l'oeil aux aguets, pour éviter de tomber dans les rets des policiers qui ne veulent pas lâcher le terrain. «Ça permet de mettre la pression sur ceux qui sont mouillés dans les vols de portables, signalés dans différents coins de la ville», dira un policier qui précisera que plusieurs receleurs sont tombés grâce au dispositif de surveillance installé dans le coin. Le portable n'est plus aujourd'hui cet obscur objet de désir. Il est partout, à la portée de toutes les bourses. Il a envahi la vie du citoyen pour devenir, tout comme la télévision, un incontournable. «On bipe» quand on n'a rien à faire, on appelle quand on veut composer le menu de la maisonnée, on envoie un message quand on veut fixer un rendez-vous et on laisse filer une image quand on veut se rappeler au bon souvenir de la dulcinée. Il est là, dans la main, dans la poche, accroché à la ceinture, collé à l'oreille. Comme une sangsue, il ne veut pas lâcher. Envahissant, il fait une halte partout, comme un fauve dans la savane pour mieux marquer son espace. Même le «tbeq de la mariée» n'a pas échappé au ressac de la démocratisation de cet objet qui redessinera peut-être, dans quelques mois, notre caractère, nos comportements et même notre perception de la communication et de la vie. Le portable a-t-il envahi Oran? Oui, tout comme les villes, les villages et autres lieudits du pays. Oran en est consciente, elle ne peut pas se soustraire à cette déferlante, et ainsi va la vie...