Christine Lagarde - Jacqueline Sauvage - Cédric Herrou Trois affaires ont défrayé la chronique judiciaire française ces derniers mois impliquant une personnalité politique, une citoyenne lambda et un militant des droits de l'homme. La justice française a parfaitement illustré la fable de Jean de La Fontaine: «Selon que vous soyez puissant ou misérable... les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.» Que peut-on trouver en commun à Christine Lagarde, Jacqueline Sauvage et Cédric Herrou. La première, qui a fêté son 61ème anniversaire le 1er janvier passé, a été ministre une fois lors de la présidence de Jacques Chirac et deux fois durant celle de Nicolas Sarkozy. Elle occupe actuellement le poste de directrice générale du FMI. La seconde est une dame de 69 ans qui a subi les monstruosités de son mari toute une vie avant de se décider un jour, dans un moment de ras-le-bol, de se débarrasser définitivement de lui en lui tirant quelques balles. Le troisième est un agriculteur de 37 ans. Il vit dans le Sud de la France, à la frontière avec l'Italie, dans la vallée de Breil-sur-Roya. A première vue, tout sépare ces trois personnes qui, je le parie, ne se sont même jamais rencontrées. Mais, en réalité, il y a quelque chose qui les réunit et qui fait qu'ils se trouvent intimement liés. En effet, ces trois personnes ont en commun trois éléments: d'abord, le fait qu'elles aient eu, toutes, affaire à la justice de leur pays, la France. Ensuite, elles ont aussi en commun le fait qu'à leur égard, cette justice a failli à son rôle. Par ailleurs, elles ont en commun le fait d'avoir contribué à mettre à nu une certaine presse que la subjectivité aveugle et empêche désormais, d'accomplir correctement son rôle de gardienne de la démocratie. Enfin, elles ont en commun le fait que, de par cette défaillance de la justice, les procès de ces trois personnes peuvent être considérés dès lors comme les signes annonciateurs d'une chute amorcée de la France. «Selon que vous soyez puissant ou misérable,...» Le 19 décembre 2016, La cour de justice de la République a rendu son verdict dans ce qu'on appelle communément l'affaire Tapie. Une affaire dans laquelle Lagarde, alors ministre de l'Economie avait autorisé un arbitrage privé afin d'en terminer avec le litige opposant Bernard Tapie au Crédit lyonnais. En fin de parcours, l'homme d'affaires français se voit attribuer 400 millions d'euros. Il se trouve que, par la suite, cet arbitrage fut contesté, puis annulé en 2015 pour fraude. Il fit même l'objet d'une enquête pénale avec comme principaux chefs d'accusation «détournement de fonds publics» et «escroquerie». Lors du procès de décembre passé, il est clairement apparu à la cour de justice de la République, qui le mentionne d'ailleurs dans sa décision, que Christine Lagarde «s'est impliquée personnellement dans la décision de ne pas faire de recours contre l'arbitrage». La cour lui reproche alors clairement de ne pas «avoir pris d'avis contraires à ceux qui n'étaient pas favorables au recours»(1). Pour ces faits, Christine Lagarde «risquait jusqu'à un an de prison et 15.000 euros d'amende»(2). Après débats et délibération, Lagarde fut jugée coupable par la cour de justice de la République, mais elle ne fut soumise à aucune peine. Mieux, il a été précisé que «cette décision ne sera pas mentionnée dans son casier judiciaire.»(3) et, cerise sur le gâteau, le procureur de la République avait requis une relaxe pure et simple. Du jamais-vu dans pareil cas! Le même jour, c'est-à-dire le 19 décembre 2016, une pétition est lancée sur les réseaux sociaux et demande un procès sérieux contre Lagarde. Trois jours après, la pétition a recueilli 140.000 signatures, le 26 décembre ils étaient 200.000 Français à l'avoir signée et le 29 décembre ils étaient plus de 220.000. Celui qui lança cette pétition, répond au nom de Julien Cristofoli, enseignant à l'Education nationale et syndicaliste. Il motive son geste par ceci «Le 13 mai 2016 dernier une personne sans domicile fixe de 18 ans, qui s'était introduite dans une maison de Figeac pour y voler du riz et des pâtes «par nécessité», a été condamnée à 2 mois de prison ferme par le tribunal correctionnel de Cahors. Ce 19 décembre 2016, Madame Christine Lagarde vient d'être jugée coupable par la cour de justice de la République tout en étant dispensée de peine. Quelle honte pour notre «démocratie»! Qu'est-ce donc sinon un tribunal d'exception qui vient d'appliquer une décision incompréhensible et injuste au vu de la gravité des faits reprochés!» (4) La pétition était adressée au sommet de la hiérarchie de la République c'est-à-dire au président de la République, au président de l'Assemblée nationale, au président du Sénat et au premier président de la Cour de cassation. Elle demande à ce «que le droit s'applique à Madame Christine Lagarde comme il s'applique à n'importe lequel des citoyens ordinaires de ce pays» (5) soutenant que «l'ancienne ministre de l'Economie doit répondre de ses actes devant un tribunal correctionnel ordinaire et en assumer les conséquences» (6). Julien Cristofoli rappelle, pour la circonstance, une fable de La Fontaine: «Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.»(7) Lagarde est retournée à Washington. La pétition commence à s'essouffler. Les députés et sénateurs sont retournés à leur occupation habituelle, faire de la politique, et la République est restée, là, plus dévêtue que la nudité elle-même, assise à côté d'une justice qui crache dans sa balance. Avant le 10 septembre 2012, Jacqueline Sauvage était totalement inconnue. Elle vivait à La Selle-sur-le-Bied. A cette date, n'en pouvant plus d'avoir été violentée toute une vie et de subir, ainsi que ses filles, des abus sexuels(8) de la part de son mari, la sexagénaire prit le fusil de chasse, un Beretta, et lui tira trois balles dans le dos. Une affaire d'homicide comme le monde en connaît malheureusement beaucoup de notre temps. Victime d'avoir... tué son mari L'auteure du crime fut jugée et condamnée en octobre 2014 à dix ans de prison ferme pour homicide volontaire. En décembre 2015, le jugement en appel confirme la peine. Ce jugement fut à l'origine de quelques «incompréhensions» (elles-mêmes difficiles à comprendre) de la part de certains mouvements féministes et, surtout, d'un débat alimenté à bras ouverts par une certaine presse déchaînée. Les médias font étalage de certaines données. Elles sont 200 000 à subir chaque année des violences conjugales, titrent les uns. Un cas de légitime défense, titrent les autres. «Défendons les femmes» entend-on par-ci. «Il faut la sauver», dit-on par-là. Peu à peu, le nom de Jacqueline Sauvage commençait à être connu. Elle fut regardée alors comme victime de la justice qui «avait osé prononcer» ce jugement, puis, peu à peu, elle devint une héroïne, un idéal pour les femmes et pour ceux qui se présentent comme des «épris de justice». Elle est «devenue un véritable symbole des victimes des violences conjugales subies par les femmes» (9). Son âge, la violence de son mari, le nombre de femmes battues, sa vie... tout est déversé sur la voie publique et sur les plateaux de télévision pour défendre sa cause, la cause d'une femme qui a abattu un homme, son mari, dans le dos. La pression fut si grande que même le président de la République, qui crut y voir une occasion de redorer un blason terni par un mandat incroyablement faible, se sentit obligé de «faire quelque chose». Il se hasarda, en janvier 2016, avec une grâce partielle qui fit grincer quelques dents du côté de la justice. En août 2016, une demande de liberté provisoire fut introduite mais refusée. Les médias expriment leur étonnement devant cette «inhumanité» de la justice. Le 24 novembre 2016, une demande d'aménagement de la peine fut introduite et aussitôt refusée. Les médias crient alors au scandale et les associations constituées pour la circonstance disent toute leur «honte» d'assister à de telles «incompréhensions». Les magistrats sont regardés comme les ennemis du peuple et le parquet comme l'opposé de l'esprit humain...Alors, prenant son courage à deux mains, Hollande qui n'a plus rien à perdre puisqu'entre-temps, il a déclaré ne pas se représenter à sa propre succession, prit sur lui de lui accorder la grâce totale. Le 28 décembre, Jacqueline Sauvage fut libérée. Les magistrats n'hésitèrent pas à lui signifier leur mécontentement et leur opposition à de telles pratiques. Un crime, qui plus est a été accompli avec préméditation, cela doit être puni, lui expliquent-ils. Certains, faisant la pédagogie de la chose, expliquent que «le comportement violent et incestueux du mari aurait dû être soulevé comme une circonstance atténuante et non pas comme un argument pour innocenter totalement Jacqueline Sauvage. Légitimer ce meurtre revient selon lui à considérer l'homicide comme une solution alternative aux violences conjugales et permettrait ainsi de «se faire justice soi-même», un principe contraire aux fondements mêmes de la société et que les juridictions se sont donné le devoir de refuser»(10).(A suivre) Références (1) (2) (3) En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/societe/article/2016/12/19/proces-lagarde-la-cour-de-justice-de-la-republique-tranche_5051038_3224.html#HepJrET0yY1bLqI2.99 (4) (5) (6) http://www.lefigaro.fr/ actualite-france/2016/12/22/01016-20161222ARTFIG00127-une-petition-reclamant-un-vrai-proces-pour-christine-lagarde-recolte-plus-de-140000-signatures.php (8) https://fr.wikipedia.org/wiki/ Affaire_Jacqueline_Sauvage (9) (10) http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/12/29/pourquoi-l-affaire-jacqueline-sauvage-fait-debat_5055435_4355770.html#E8gC6cijX4PqGfjg.99