Une soirée de ferveur où la musique s'est voulue paix, sagesse et sérénité... Mysticisme, sagesse, envoûtement, transe, prière, beaucoup de termes dont on pourra aisément qualifier la musique du groupe El Ferda, originaire de Kenadsa, une oasis située à quelques kilomètres de Béchar. Les musiciens sont assis en tailleur sur un tapis improvisé de la scène Ibn Zeydoun de Riadh El Feth. Le reste est une affaire de magie spirituelle et de maîtrise d'un chant séculaire traduit harmonieusement dans des compositions musicales enivrantes. Le public n'aura pas de mal à suivre la cadence de ces «vieux routards» du rythme et du verbe. El Ferda fera un tour d'horizon de leur répertoire, maniant des sonorités gnaoua, des houaza de Tlemcen, de çanaâ algéroise, de chaâbi, de chants liturgiques et de melhoun. Le groupe exhorte à la paix, à la prière, à la sérénité. Son chant se fait invocation et élévation. Après une absence de 20 ans, le groupe s'est reconstitué en 1991, sauvant par là un patrimoine richement maghrébin et africain. Un son qui pousse à la jedba et la ferveur frénétique. C'est le cas mardi dernier à la salle Ibn Zeydoun. Le public, en majorité jeune, s'est jeté au bas de la scène pour libérer son trop-plein d'énergie en danse et en tapant la mesure des mains. Il faut dire que l'essence gnaoua marche très bien au sein de la «communauté» algéroise, jeune et estudiantine. Un peu à la manière de Gnaoua Diffusion ou de Diwan Béchar... la différence se situe au niveau des textes des anciens poètes de Kenadsa. Ayant fait leur classe chez Nass El Ghiwan, de Jil Jilala ou encore dans la compagnie des maîtres de la région comme cheikh Mohamed Belkebir, pour la plupart de ces anciens, Ferda interprète des qçidate des grands maîtres de la tariqa soufie. Un des titres de la troupe est d'ailleurs dédié à Sidi M'hamed Ben Bouziane, fondateur de la zaouia où a pris racine ce genre de musique, lors d'un incroyable brassage ethnique dans cette région, Kenadsa, qui fut jadis la porte occidentale du grand commerce saharien... C'est un vrai spectacle auquel El Ferda nous convie. C'est un «concert» d'une multitude d'instruments des plus traditionnels, târ, taâridja, violon, mandole, mahraz...Ce dernier ponctue à chaque fois le chant et marque la particularité du son Ferda. El Fen Soltan (l'art est roi) entonneront les musiciens, à juste titre, dans une de leurs chansons. En effet, El Ferda de Béchar plaît parce qu'authentique et parle à l'âme aussi bien qu'au coeur. Ses mélodies autant que les textes appellent au recueillement et à l'apaisement, exhortent à la paix. Sa musique exprime le vécu, les sentiments, la générosité. Et le groupe se donnera lui aussi sur scène en parfaite fusion avec le public. Cheikh El Hadj Medjadi, Mohamed Benderouiche qui a pris sa «retraite» il y a un an, aurait été content de voir cela à Alger. Mais l'ambiance mélodique saharienne aidant, on se laissait facilement croire par moment qu'on était sous une kheïma, en plein désert. Humbles et prodigues sont finalement ces artistes qui tonnent le sacré et les valeurs humaines... Heureusement qu'il existe encore des gens comme ceux-là...