L'ouvrage se décline, et de l'avis même de son auteur, comme un témoignage de reconnaissance à la famille du chaâbi de l'antique Cirta. «La contribution à l'histoire du chaâbi», titre générique du dernier ouvrage du sociologue Abdelmadjid Merdaci, n'est assurément pas un voyage initiatique à travers le patrimoine musical cher à la Casbah éternelle. L'ouvrage se décline plutôt, et de l'avis même de son auteur, comme un témoignage de reconnaissance à la famille du chaâbi de l'antique Cirta. Une ville qui n'aura ménagé aucun effort pour permettre à cette expression artistique ancestrale de trouver un prolongement indélébile au sein de sa société citadine. Hérité des profondes traditions artistiques et culturelles chères à la Casbah éternelle, ce genre musical dérivé s'il en est de la musique classique algéroise, aura fait école, grâce à un foisonnement impressionnant d'orchestres. C'est non sans fierté que de nombreux maîtres du malouf, des amis de longue date, parmi lesquels il est aisé de citer Mohammed Derdour, Cheikh Abdelkader Toumi, Abdelmoumen Bentobbal, Hadj Mohammed Tahar Fergani ou Kaddour Darsouni, le soulignaient. Au risque de heurter certains esprits chagrins qui voient en cet ouvrage une occasion, encore une, d'effilocher le rôle moteur joué par la ville de Sidi Abderrahmane At-Thaâlibi dans la montée du nationalisme et le jaillissement de plusieurs activités artistiques et sportives, force est de reconnaître que l'auteur ait quelque peu contribué à susciter ces supputations hâtives. Ne serait-ce qu'à travers un passage du livre où il suggère que le genre musical en question procède «d'une dynamique sociale générée par l'urbanisation et les migrations internes, un acquis algérien qu'on ne peut réduire à un simple phénomène de la Casbah algéroise, dont la population est fortement imprégnée de familles arrivées de Biskra, de Jijel et de Kabylie» et parlera aussi de l'apport considérable d'un Mahboub Bati qui aurait «révolutionné» cette musique. En usant sempiternellement de raccourcis où l'appel à la rescousse de Biskris, de Jijeliens ou de Kabyles devient récurrent, ces mêmes esprits ne vont pas sans occulter le fait que la capitale a ses Algérois de souche, ses Andalous, ses Kouloughlis, ses Médéens, ses Milianais, ses Cherchellois, ses Mozabites, ses Chaâmbis, ses Bédjaouis sans oublier ses Tlemcéniens (Alger fut une principauté zianide). Dérivé de la musique classique algéroise dont il a popularisé et simplifié les contours, le chaâbi est le produit de l'urbanité, de cette somptueuse architecture de la Casbah qu'il a su incarner en mobilisant tous ces Algériens venus s'y installer, s'y fondre pour devenir plus tard les meilleurs défenseurs et porte-drapeaux de la culture citadine. Sidi Guessouma, un «foundoq» niché au coeur de la médina constantinoise Bien loin des supputations à tout le moins approximatives, de mauvaise foi et d'un autre monde, il est fort heureux que le sociologue Abdelmadjid Merdaci ait emprunté à John Blacking une citation où l'ethnomusicologue sud-africain soulignait judicieusement «qu'un style de musique ne peut être parfaitement isolé ni analysé dans ses propres termes, car ces termes sont ceux de la société et de sa culture et ceux des corps et des êtres humains qui l'écoutent.» En recourant à l'expertise et à la définition de Bachir Hadj Ali, l'auteur de cet ouvrage aura, dans le même ordre d'idées, fait preuve de beaucoup d'intelligence. A plus forte raison lorsque ce poète, musicologue et grand militant de la cause nationale, un enfant de la Casbah tout comme l'interprète de Sobhane Allah Ya l'tif, soutenait: «Par chaâbi, j'entends beaucoup plus l'auditoire d'El Anka que le caractère populaire de son riche répertoire musical.» Pour Abdelmadjid Merdaci, les compagnons de Sidi Guessouma «foundoq» niché au coeur de la médina constantinoise, «ont été sans aucun doute l'aile marchantde du chaâbi à Constantine qui s'y retrouvaient dans les deux pièces de ce qui tenait lieu de rez-de-chaussée, tout à leur passion, qui ignoraient écrire l'aggiornamento musical qui allait devenir le chaâbi en Algérie». Confiné encore dans les légendes gratifiantes d'un territoire et d'une forme de dissidence sociale le chaâbi, est-il souligné dans la présentation, est encore en attente de la pleine reconnaissance de son statut de musique nationale, d'une part et de son inscription légitime dans le profond mouvement d'éveil et d'affirmation d'une nation algérienne dont Messali Hadj revendiquait dès 1927 le droit à l'indépendance et la souveraineté, d'autre part. Une société et une culture urbaines à Constantine aux sonorités et aux rythmes dissidents Dans ce même signifié porté par la présentation de l'ouvrage, il est mis expressément l'accent sur le fait que si le chaâbi connaissait, durant les années 1950, un enracinement avéré dans la société constantinoise, l'auteur n'en constate pas moins que ce genre musical accusait un manque de visibilité flagrant qui renseigne très mal sur ses conditions d'émergence et les itinéraires des hommes qui l'avaient porté sur les lieux de vie qu'il avait pu s'assigner: «C'est à la connaissance de cette histoire musicale singulière que s'attache cet essai qui, pour sonder les mémoires de la médina constantinoise ne s'y enferme pas, qui ambitionne de fournir des pistes pour une approche raisonnée du chaâbi.» Pour l'auteur du «Dictionnaire des musiques citadines de Constantine» (publié il y a près de dix ans par les Editions du Champ libre de Constantine) l'intérêt du chaâbi dans l'antique Cirta paraît d'autant plus légitime qu'il prend racine dans l'un des foyers parmi les plus denses et les plus riches des musiques citadines algériennes: «L'histoire du chaâbi à Constantine ne se réduit pas, loin s'en faut, à une mise au secret et s'inscrit dans un écheveau de mobilités, de parcours qui signent l'avènement d'une société et d'une culture urbaines à Constantine aux sonorités et aux rythmes dissidents.» Grâce à un travail qui force à coup sûr l'admiration, Abdelmadjid Merdaci apparaît de plus en plus comme une sorte de défricheur de la mémoire. Le fait de sortir d'une mémoire ankylosée une kyrielle d'interprètes d'un genre particulièrement prisé à travers le territoire national en est la parfaite illustration: «Le chaâbi à Constantine apparaît d'abord comme orphelin d'une figure de père fondateur - à l'égal de cheikh Nador - ou d'artistes à la créativité subversive comme Hadj M'hamed El Anka et de Labi «G'ma» Zerouala, entre autres. Il ne s'inscrit dans aucune filiation établie. Paradoxalement, c'est cette fragilité, c'est cette indécision des conditions de son avènement constantinois qui épousent le mieux une posture de dissidence, de quête de nouveaux territoires, de nouvelles sonorités par des acteurs le plus souvent enfants de la médina, mais d'ores et déjà arc-boutés aux stridences de Constantine l'européenne.» «Les Compagnons de Sidi Guessouma, contribution à l'histoire du cha'bi» de Abdelmadjid Merdaci Les Editions du Champ libre zianide3àgmail.com