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La face cachée d'Alger
REPORTAGE DELINQUANCE DANS LA CAPITALE
Publié dans L'Expression le 30 - 04 - 2005

A partir de minuit, certaines ruelles d'Alger ne peuvent être empruntées que sous escorte.
Nous quittons la Maison de la presse Tahar- Djaout à 21 heures, à bord de trois fourgons, escortés par des gendarmes et des policiers en civil. L'aventure cède le terrain à toutes les imaginations et spéculations. Et, les journalistes se sont d'ores et déjà perdus dans des imaginations fumeuses et débordantes. Premier message; «nous devons passer par le Groupement», annonce l'un des escorteurs.
Il a évidemment fait cette annonce à notre adresse. L'imagination inspire la feuille de route. On part au groupement, situé en face de la prison de Serkadji, à Bab Edjdid, parce que c'est là que nous devrons rejoindre l'autre équipe qui s'est chargée d'assurer l'escorte du convoi. A peine passé un quart d'heure, M. Dib Nacer, président de la Fondation des droits de l'enfant et de l'adolescent, nous retrouve, accompagné par un autre groupe de gendarmes, dont le colonel Ayoub. Puis, on redémarre, «en quatrième vitesse» et cela constitue, aux yeux de tout le monde, un point de départ à la recherche d'une autre vérité.
Le passage est cédé tranquillement, et la place des Martyrs semble déjà, aux environs de 22h00, accueillir ses premiers «visiteurs de nuit». L'antique place historique et très populaire, entourée de minarets, fait sa toilette et n'inspire que le peu de monde qui y reste. Les ruelles des quartiers alentour sont devenues des parkings où les derniers automobilistes se bousculent sur des places exiguës. Le klaxon est prohibé à cette heure tardive. Aucun chauffeur ne s'y risquerait.
Silence assourdissant
Suivant l'itinéraire tracé, la première escale fut Djninat Lakhlakhel, rue Pasteur, à côté de l'hôtel Albert. Les journalistes quittent tout de suite les véhicules, avant même l'arrêt des moteurs. A notre grand étonnement, M.Dib, notre guide, nous montre l'accès vers «la chambre des secrets». C'est un tunnel souterrain conduisant droit vers la salle Ibn Khaldoun et le Palais du gouvernement. Cet endroit servait de «sanctuaire» à des mineurs et adolescents «délinquants». Les «squatters», dont un jeune de 21 ans qui fréquente les lieux depuis quatre ans, ne sont pas encore là.
On reprend le chemin. L'air se fait plus humide. «Ça va nous faire une sacrée tournée», estime une consoeur, après cette première découverte qui fait danser les esprits à la valse d'autres fictions. Jusqu'ici, le face-à-face avec les «délinquants toxicomanes» n'a pas encore eu lieu. Au «village de la délinquance», endroit où se regroupe un certain nombre d'adolescents, y compris les toxicomanes, on tente de soigner l'image afin de bien reconnaître le lieu. A l'entrée du marché Clausel, M. Dib, après avoir convaincu ses «patients», nous fait signe et, immédiatement, nous sommes allés à la rencontre des «délinquants». Ils étaient à trois, Faouzi Oulid El Qasba, Salah et Mouh Ched Er-Rih, accroupis autour d'un brasero et «préparés aux clichés des appareils-photos» par notre guide ayant, évidemment, l'habitude de discuter avec eux.
On le surnomme Mouh Ched Er Rih, un adolescent de «la deuxième génération des victimes de la rue». Assis sur un banc, il répond, sans agitation à «l'interrogatoire», à la fois des gendarmes et des journalistes. Le jeune homme hoche continuellement la tête et donne la nette impression d'accorder beaucoup d'intérêt aux questions des journalistes. Ses réponses contiennent parfois force détails. Cela dit, son amabilité est tout de même conditionnée par un marché qu'il souhaite conclure avec la psy qui accompagne la délégation. «Promettez-moi de me donner de l'Artane si je vous rends visite», répondait-il aux incitations de la psychologue, sur un ton badin. Tout d'un coup, le sourire s'est éteint sur sa figure en se souvenant du triste sort qui l'a conduit à la rue. «Je ne m'entends pas avec ma famille, mes trois frères ont subi également presque le même sort, ils sont actuellement en prison», confie-t-il. Les incitations de la psychologue ont finalement pris une bonne tournure. Mouh Ched Er Rih revient sur ses exigences et accepte de se livrer volontairement au cabinet de la psychologue, relevant du groupement de la Gendarmerie nationale. Dans sa blouse et son pantalon délavé, Faouzi a la taille et l'allure d'un adolescent, malgré ses 23 ans. Il est l'aîné d'une famille qu'on devine déchirée. Il affirme avoir quitté le domicile à cause de problèmes familiaux. Depuis, il s'adonne à l'alcool et à la drogue. «Mon désir pour l'heure actuelle est de trouver une bouteille de vin, qui me permettra de passer la nuit», lance-t-il à l'adresse de la psychologue, en guise de réponse. Ne supportant vraisemblablement pas «l'interrogatoire», il se faufile parmi les journalistes et s'éclipse. Seul Mouh reste pour témoigner de son chagrin et de son aventure qui l'a mené à l'autre bout du monde. Alors que la foule s'apprête à quitter les lieux, Hamid fait son apparition pour trouver, lui aussi, une oreille attentive parmi les journalistes. Il est venu de Béjaïa pour trouver un boulot et, «manque de chance», il s'est retrouvé, depuis sept mois, dans la peau d'un «errant».
Quand la zetla côtoie la qaraâ
Alger qu'on dit couche-tôt, ne dort, en fin de compte, jamais. Le convoi quitte rapidement Alger-centre pour se rendre dans le quartier de Sidi M'Hamed. Les vielles batisses inhabitées et/ou abandonnées deviennent de véritables lieux de «débauche», où la «Zetla» côtoie la «Qaraâ». Zaâtcha, est le carrefour des «délinquants». C'est le quartier de Hicham, 17 ans, une autre victime de la rue et de la pédophilie. Il a l'air d'un garçon sage, vêtu de style «hip hop». Après avoir vu les gendarmes et les journalistes, il cache son visage et refuse les lumières des caméras. Sollicité par M.Dib Nacer, son «rééducateur», notre interlocuteur, d'un air remarquablement désabusé, dira que «des jeunes de son quartier l'on conduit à la débauche». Pis encore, «j'ai vu même des crimes perpétrés devant moi», raconte-t-il, les larmes aux yeux. Un peu plus bas, à Belcourt, dans l'enceinte de l'ex-cinéma Roxy, M'barek s'est retiré de la société depuis 5 ans à la suite d'un tragique accident qui a fait de lui un «un misérable» handicapé. A quelques mètres seulement, le «Titanic», une bâtisse abandonnée, sert de quartier général aux «délinquants». Plus d'une trentaine de personnes se trouvent à l'intérieur et sont responsables d'un bon nombre de vols.
L'antique gare ferroviaire de la place des Martyrs se livre, au environ de 1h00 du matin, aux «hooligans». Mineurs et adolescents de Chlef, de Bordj et d'Alger surtout, à leur tête Adda, à peine 15 ans, font la loi. L'un d'entre eux, une bouteille de bière à la main, ne prend pas la fuite. Quant à Walid le Braydji, «sniffeur» connu, chante et danse sans se lasser, un sachet de Patex à la main. La place est devenue manifestement le berceau de la «délinquance juvénile», mais aussi un champ de bataille qui s'étend jusqu'à la baie de Bab El Oued. Tandis que cette bande de jeunes font la fête, la psychologue tente de faire son travail en recueillant des témoignages, à défaut de confessions. «La vérité est ailleurs et la réalité est dans le souterrain algérois». Ça ressemble peut-être à un scénario hitchcockien, mais c'est la triste réalité qui déchaîne un flot de questions aux raisons qui ont conduit ce nombre important de mineurs et d'adolescents à choisir la rue.


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