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"Le président Boudiaf a séduit des millions d'Algériens"
DJILALI BENBRAHIM, ECRIVAIN, À L'EXPRESSION
Publié dans L'Expression le 06 - 06 - 2017

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Dans son troisième livre «Boudiaf raconté aux jeunes», l'écrivain Djilali Benbrahim raconte avec subtilité et un remarquable esprit de synthèse toutes les étapes historiques ayant prévalu avant l'arrivée du président Boudiaf. Mais aussi, cet auteur revient sur la période très brève où Boudiaf avait pris les rênes d'une Algérie en pleine tourmente. Un livre à lire pour qui voudrait revisiter cette page d'histoire récente. Dans cet entretien, Djilali Benbrahim parle de son livre, de Boudiaf, de l'Algérie...
L'Expression:
De toutes les personnalités nationales, pourquoi c'est Mohamed Boudiaf qui vous a inspiré le plus et a constitué votre choix?
Djilali Benbrahim:
Le président Mohamed Boudiaf, que Dieu ait son âme, m'a séduit tout comme il a séduit des millions d'Algériens par sa façon de parler et sa manière nouvelle de communiquer. En tordant le cou à la langue de bois, il avait brisé un tabou confortablement installé dans les rouages de l'Etat depuis 1962. En moins de six mois, il a redonné confiance au peuple, alors que les jeunes et moins jeunes ne le connaissaient pas et que les autres l'avaient complètement oublié. Le peuple a fini par découvrir et adopter cet homme «âgé, maigre et longiligne, sans aucune pensée maligne. Il suscita de l'émoi, après à peine quelques mois». (quatrain tiré du même ouvrage). Sa façon de tendre l'oreille pour être à l'écoute a rétabli les ponts entre le président et son peuple qui arrivait à le comprendre sans passer par des interprètes car il parlait dans un langage populaire, loin des discours grandiloquents que ne saisissent que les élites, et c'est du reste sous son mandat que le journal télévisé de la télévision nationale s'était mis à la «Daridja» et cette parenthèse fut vite fermée.
«Boudiaf raconté aux jeunes», le titre de votre ouvrage laisse comprendre que ce livre s'adresse plus particulièrement à une frange de lecteurs qui ne se souviennent pas beaucoup de ce moudjahid et martyr de l'Algérie indépendante, n'est-ce pas?
À l'instar de mes enfants nés respectivement en 1990 et en 1991, les jeunes, du moins dans leur majorité, ne connaissaient pas, et ne connaissent pas grand-chose de ce grand homme. Pour eux le parcours de Boudiaf se résume à: «Il faisait partie des six chefs historiques, il a vécu au Maroc, on l'a ramené en 1992 et on l'a assassiné.» En fait, tout a commencé par un poème que j'ai écrit sur le président et qui figure en début du livre. Ce n'est qu'en le faisant lire à mes enfants que je m'étais rendu compte qu'ils trouvaient le texte bien écrit, mais qu'ils ne comprenaient pas grand-chose alors que le poème retrace le parcours du président à la tête de l'Etat. Il nous a fallu plusieurs séances de débats pour qu'ils découvrent enfin la personnalité de Boudiaf. C'est ainsi qu'est né le livre.
Vous classez votre livre dans la catégorie de «roman-essai», un genre peu fréquent. Pourquoi ce choix. N'avez-vous pas peur que le lecteur soit en quelque sorte «perdu» en cherchant la part de vérité et de fiction dans ce que vous racontez à propos de ce grand homme?
J'ai opté pour un «roman-essai» car le livre est un «deux en un», d'un côté il y a le côté roman dans la mesure où je fais intervenir des personnages, le papa, la maman, le fils et la fille qui débattent à bâtons rompus de tout et de rien, et dans ce cas précis, des conditions qui ont poussé les décideurs à faire appel à Boudiaf dans des conditions difficiles. On y retrouve le style typiquement algérien avec l'humour et l'autodérision. Le côté essai retrace les événements vécus par notre pays. Tous les faits sont authentiques et vérifiables, sauf que j'ai choisi un style léger qui accroche le lecteur. Il est vrai que dans le chapitre onze, je fais appel au lieutenant Columbo pour enquêter sur l'assassinat du président, mais là encore, le lecteur ne peut pas se perdre car mis à part certains détails et gestes attribués au policier, les faits relatés sont authentiques et mis entre guillemets en citant la source.
L'assassinat de Mohamed Boudiaf a été un événement très douloureux pour tous les Algériens qui s'en souviennent. Comment avez-vous vécu ce drame national?
Nous avons été choqués et marqués par ce drame. Le 29 juin restera une date fatidique pour tout le pays car ce jour-là un cadet de la révolution a assassiné un des pères de la révolution. On devrait décréter le 29 juin comme journée de deuil national.
Pour écrire ce livre, vous êtes-vous basé sur des témoignages écrits sur Boudiaf ou avez-vous eu recours à des entretiens avec des personnalités, telles que celles que vous citez dans le livre?
J'ai lu beaucoup de livres témoignages et beaucoup d'articles de presse à ce sujet tout comme j'ai visionné un grand nombre de vidéos avant de faire le tri pour ne garder que ce qui m'a semblé crédible et authentique. Même si je ne suis ni historien ni acteur politique, je reste tout de même un témoin qui a vécu les douloureux événements racontés dans le livre. Tout ce qui n'est pas mis entre guillemets relève du témoignage de l'auteur qui va vers ses soixante ans. Quant aux personnalités citées dans l'ouvrage, je n'en connaissais personne avant de rencontrer fortuitement Nacer Boudiaf au Sila. J'ai découvert en lui un homme affable et courtois qui a accepté de lire le manuscrit avant de le préfacer.
Pour écrire un livre sur une personnalité de la dimension de Mohamed Boudiaf, quels sont les obstacles sur lesquels un écrivain pourrait buter?
Je me suis surpris plus d'une fois durant l'écriture du livre à me poser la question suivante: «Qu'est-ce qui t'a pris d'écrire sur Boudiaf? Ceux qui ont applaudi sa mort ne vont certainement pas apprécier cet ouvrage. J'ai choisi la période de son passage à la tête de l'Etat pour être le plus objectif possible. Je raconte Boudiaf tel que je l'ai «connu» en tant que citoyen, sans fard ni dard. J'ai voulu pénétrer dans sa tête pour comprendre sa façon de raisonner et je me suis rendu compte que c'était lui qui habitait la mienne. Ecrire sur quelqu'un comme le président Boudiaf n'est facile que si on est convaincu de ce qu'on écrit, car comme je le dis dans le livre: «Boudiaf n'était pas un saint, mais c'était tout de même un homme qui avait un esprit sain.» En m'attaquant à un sujet aussi sérieux que celui-ci, je ne veux plaire à personne, je souhaite juste apporter mon humble contribution pour que les générations futures comprennent par où est passée l'Algérie avant de se redresser, car, quoiqu'on dise et quoi qu'on fasse, notre pays se relèvera un jour.
Votre livre se termine avec le poème de Matoub Lounès «Hymne à Boudiaf». Matoub aussi, un autre grand homme a été assassiné, quel commentaire pouvez-vous faire sur cet autre drame?
Tout comme pour le défunt président, l'assassinat de feu Matoub reste non élucidé. Dans mon livre, je rends hommage au chantre de la chanson kabyle qui a rendu hommage au président à travers son «Hymne à Boudiaf». Contrairement aux autres présidents, Boudiaf a réussi à gagner le coeur de la Kabylie qui est connue pour son aversion à l'égard du pouvoir central. Je tente de rétablir une vérité en disant que contrairement à ce que pense une grande partie de la population arabophone, induite en erreur par des cercles bien connus, Matoub n'était ni raciste ni anti-arabe, il était juste un fervent défenseur de l'amazighité. La meilleure des preuves reste cette chanson consacrée à Boudiaf alors que ce dernier n'est pas kabyle.


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