Beaucoup d'encre a coulé au lendemain du séisme de Boumerdès. Pouvions-nous éviter la catastrophe? Qui sont les responsables? Autant de questions qui restent d'actualité deux ans après le sinistre. Les versions et les réponses divergent. Autorités publiques et experts se renvoient les accusations au moment où le doute a gagné les Algériens, frappés par une série de catastrophes naturelles et autres, par des défaillances impardonnables enregistrées à plusieurs niveaux et dans plusieurs secteurs. Hamid Boudaoud, président du Collège national des experts architectes «L'Algérie n'a pas appris la leçon» L'Expression: Des experts se sont soulevés pour dénoncer la manière avec laquelle se sont effectuées les opérations de réfection et de réhabilitation au niveau des sites sinistrés par le séisme de Boumerdès. Les choses se sont-elles améliorées depuis le 21 mai 2003? Hamid Boudaoud:Il faut rendre à César ce qui appartient à César. On reconnaît que l'Etat a mis le paquet dans le domaine de la reconstruction de Boumerdès, mais cette dernière a néanmoins agi dans la précipitation au vu de l'ampleur des dégâts et sous la pression de la conjoncture. Je citerai l'exemple de ces constructeurs qui ont vu leurs bâtiments s'effondrer lors du séisme et auxquels on a confié des chantiers de réhabilitation, ce qui est, à mon sens, grave. Comment expliquer ce laxisme et à quel niveau se situe la responsabilité? Je pense qu'avec du recul, l'Etat doit revenir à son rôle principal en se plaçant comme étant le garant de la sécurité, il doit agir avec rigueur pour mettre fin à cette situation d'anarchie qui peut être fatale. D'énormes lacunes sont enregistrées au niveau des opérations de confortement. C'est un secret de polichinelle. L'Algérie ne dispose pas d'une main-d'oeuvre qualifiée dans ce domaine. Le doute a gagné les sinistrés qui refusent dans la majorité de rejoindre leurs habitations. Deux ans après le séisme, pensez-vous que l'Algérie ait tiré des leçons de ce sinistre? Je crains que non. La situation ne risque aucune évolution tant que l'urbanisme demeure l'apanage des politiques au lieu d'être géré par des techniciens. Après les inondations de Bab El-Oued, j'ai cru sincèrement qu'on est arrivé au stade du perfectionnement. Le séisme de Boumerdès, suivi par l'explosion de Skikda, est venu détruire cette thèse. 50 % du parc immobilier est vétuste, l'Algérie dispose de plus de 63.000 constructions illicites. Des quartiers comme El Hamiz ont été érigés sans le respect des règles élémentaires de construction. Les APC ne disposent pas de plan d'urgence et d'intervention en cas de catastrophe. Pis, ces dernières ignorent leur territoire. Et puis avons-nous des entreprises de construction fiables? Malheureusement non. Ce constat fait craindre le pire si une catastrophe naturelle venait à frapper l'Algérie. Effectivement nous ne disposons pas de moyens à même de faire face à des sinistres naturels. Pratiquement tout le Nord algérien est classé zone à risque. Le Sud aussi avec les zones industrielles. Qu'avons-nous fait pour remédier à cette situation, rien. Il faut que le travail de prévention et de mise à niveau commence dès aujourd'hui. Il est important de mettre en oeuvre un arsenal juridique qui permet le contrôle et la sanction en cas de défaillance. Le ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme a déposé une plainte contre X le 13 juin 2003. Nous avons appris qu'un nombre important d'architectes a été auditionné par le juge d'instruction à la faveur des résultats préliminaires de la commission d'enquête mise en place par le même département... Moi-même j'ai été entendu par la justice. Tout d'abord, j'aimerais préciser qu'en Algérie, nous n'avons pas de culture des commissions. Citez-moi une seule commission dont le travail a abouti à des conclusions concrètes. En fait, les commissions sont créées en Algérie pour étouffer la réalité. La dernière en date n'échappe malheureusement pas à cette réalité. Preuve en est, aucun technicien ni architecte n'a été associé à l'enquête préliminaire, laquelle a été menée par une commission ministérielle, donc non indépendante. Le ministère est juge et partie, ce qui constitue une première infraction. Le peuple se pose des questions. Qui a signé les autorisations de construction sans passer par des études de sol approfondies? Qui a permis l'extraction du sable alors qu'elle est interdite depuis 1999? Pourquoi n'a-t-on pas respecté les normes de construction? Les réponses permettront de voir plus clair et de saisir les enjeux de ce procès. Par ailleurs, je tiens à préciser que la justice manque de preuves tangibles, tout simplement parce que le ministère de l'Habitat a trop attendu avant de saisir la justice. Entre-temps, les zones sinistrées ont été déblayées. Sur quelle donne, la justice va-t-elle se baser pour dévoiler la vérité, d'autant plus que les cahiers des charges qui définissent le rôle de chaque intervenant dans l'acte de bâtir, ont mystérieusement disparus? J'ai de sérieux doutes quant à l'aboutissement de cette affaire. Miloudi Benyoucef, DG de l'Opgi de Boumerdès «La reconstruction de la ville se fera selon les normes» L'Expression : Le séisme de Boumerdès a permis de dévoiler au grand jour les limites du secteur du bâtiment en Algérie. Les défaillances étaient fatales, plus de 2 000 personnes ont trouvé la mort, la majorité des corps ont été déterrés sous des tonnes de béton. La question certes est récurrente, mais l'on ne peut s'empêcher de la reposer encore une fois à l'occasion du deuxième anniversaire de la catastrophe. Comment a-t-on pu arriver à cette situation? Miloudi Benyoucef:Je tiens tout d'abord à souligner que les entreprises de construction ont érigé leur site à Boumerdès selon les normes requises. Maintenant toute la problématique est de savoir si ces normes correspondaient réellement à la nature du sol ou globalement à la spécificité de la région. La révision de ces normes à la suite du séisme a prouvé qu'on s'était trompé. Le danger est plus important que l'on croyait. Partant de ce constat, il serait injuste d'incriminer uniquement les entreprises de construction. Cela ne veut pas dire qu'aucune de ses dernières n'est infaillible. Les défaillances peuvent exister à différents degrés de responsabilité. Pensez-vous que le recours à la justice apportera des éclaircissements sur cette question? En temps qu'office nous avons mis entre les mains de la justice tous les documents nécessaires dans le cadre de l'enquête enclenchée par le ministère de l'Habitat. Certainement, la justice permettra de lever le voile dans un futur proche sur certains faits et vérités. Beaucoup de sinistrés refusent par peur de réintégrer les maisons réhabilitées ou confortées. Des experts ont expliqué cette situation par le fait que les travaux de réfection se sont déroulés sans le respect des normes, certains d'entre eux parlent de bricolage. Qu'en est-il sur le terrain, sachant que l'Opgi possède le gros lot en termes de travaux de réhabilitation à Boumerdès. La problématique peut être résumée ainsi. Sur le plan théorique, la solution est fiable. D'ailleurs des bureaux d'études étrangers ont salué notre travail, par contre sur le plan pratique, la situation diffère. Pourquoi? L'Etat était pris par le temps, il fallait réhabiliter dans les plus brefs délais pour gérer un malaise social. En parallèle, quels ont été nos moyens nationaux? Face à cette situation de catastrophe, la sélection des entreprises chargées des travaux de réhabilitation s'est faite sans prendre en compte leur niveau de qualification. Il fallait agir vite. Ces entreprises ont appris dans le tas. Beaucoup d'entre elles se sont retirées. Mais en général, je peux rassurer les citoyens qu'en ce qui concerne les bâtisses publiques, les craintes sont injustifiées, parce qu'un travail de contrôle très rigoureux accompagnait les opérations de réfection. Les craintes peuvent s'avérer réelles au niveau des constructions privées, dont les propriétaires ont bénéficié d'une aide leur permettant de prendre en charge de façon libre la réhabilitation de leur logement par des bureaux d'étude privées. Il est vrai, par contre, que le refus affiché par les sinistrés de rejoindre leurs logements nous pose un sérieux problème. Il faut savoir que dans le cas de la ville de Boumerdès, seules 450 familles sinistrées sur un total de 2000 ont libéré les chalets. Je vous informe que l' Opgi a réhabilité prés de 14.000 logements. Cette opération a coûté la bagatelle de 4,5 milliards de dinars. Maintenant il faut savoir que chaque famille a ses raisons qui ne sont pas liées, dans plusieurs cas, aux réticences que vous avez évoqué. En fait, certaines familles profitent de cette situation dans l'espoir de régler leur crise de logement. Ces cas peuvent être réglés plus tard dans le cadre des projets sociaux. La reconstruction de Boumerdès est un ambitieux projet lancé par les autorités publiques. Pensez-vous qu'on soit en mesure de relever ce défi? Le drame du 21 mai 2003 nous a beaucoup appris. Aujourd'hui nous sommes dix fois plus rigoureux. Je peux tranquilliser les Algériens que tout se fera dans le respect strict des normes.