Il y a une volonté de monnayer, encore une fois, la construction de l'ensemble maghrébin. Le roi Mohammed VI du Maroc a décidé de ne pas participer au sommet maghrébin de Tripoli, prévu les 25 et 26 mai, en raison, dit-on de sources officielles à Rabat, de l'attitude d'Alger dans l'affaire du Sahara occidental. Le roi du Maroc «ne pourra pas participer personnellement au sommet de Tripoli, comme il l'avait initialement décidé», souligne un communiqué du Palais royal, précisant que le Maroc sera néanmoins représenté par son ministre des Affaires étrangères. A la veille du Sommet de l'UMA, les Marocains prennent motif des récentes déclarations du président de la République sur la question du Sahara occidental pour essayer de torpiller le processus de construction du Grand Maghreb, endossant la responsabilité à l'Algérie. Ainsi, il y a eu d'abord la réaction du ministre marocain des Affaires étrangères qui, dans une déclaration sur le sujet, a fait montre d'un ton particulièrement virulent, frisant parfois l'ingérence. C'est ainsi que le département de Mohamed Benaïssa se permet de déplorer «vivement les déclarations et positions officielles que l'Algérie a cru devoir exprimer ces derniers jours sur la question du Sahara marocain, alors que les deux pays voisins et frères avaient décidé, en mars dernier à l'occasion de l'importante et historique visite de S. M. le Roi Mohammed VI à Alger, de s'engager résolument et sincèrement dans la voie de l'apaisement et de la normalisation en laissant notre question nationale trouver une solution définitive dans le cadre des Nations unies.» Le royaume chérifien, qui semble ne s'en tenir qu'aux déclarations de soutien de Bouteflika au principe de l'autodétermination, cultive dans la déclaration de son ministère des Affaires étrangères une attitude ambiguë, faisant croire que sur le dossier sahraoui, c'est le Palais royal qui est dans le vrai. Ainsi, usant d'un langage, à la limite, surréaliste en la circonstance. Faut-il souligner que les propos du président de la République sur la question n'ont pas changé d'un iota par rapport à ce qu'il a déjà dit à plusieurs occasions. Les Marocains ont vu dans les déclarations de Bouteflika au Chili et dans le message qu'il a adressé au président sahraoui «un parti pris systématique contre les intérêts supérieurs du Royaume en procédant à une lecture obstinément tronquée de la légalité internationale et en empruntant un argumentaire qui s'écarte de l'esprit et de la lettre des récentes résolutions du Conseil de sécurité», soutient la déclaration. Et au Maroc de donner sa propre lecture de la légalité internationale qui, n'était la gravité du problème, on en rirait, tellement les propos du communiqué tronquent la réalité du terrain. Ainsi, le ministère marocain des Affaires étrangères estime que «le plan Baker II de 2003, est largement dépassé au point que les Nations unies appellent officiellement depuis à la nécessité de sortir de l'impasse actuelle et de progresser vers une solution politique et définitive à négocier.» On en a pour preuve que l'Onu a réaffirmé en avril 2004 son soutien au plan Baker, qui préconise une période d'autonomie de cinq ans au Sahara occidental avant un référendum d'autodétermination sur le sort de l'ancienne colonie espagnole. Ainsi donc, le royaume, qui a provoqué le gel de l'UMA en 1994 justement à cause de la position de principe de l'Algérie sur la question sahraouie, aurait souhaité que Abdelaziz Bouteflika élude ce problème, pour donner toutes ces chances de succès au prochain Sommet de l'UMA. C'est là la version officielle de Rabat. Cependant, il est clair qu'à travers cette réaction officielle, il y a une volonté de monnayer, encore une fois, la construction de l'ensemble maghrébin en y adjoignant le dossier du Sahara occidental. Le Maroc semble décidé à replonger toute la région dans la logique de 1994. Un retour à la case départ en somme. Cette volte-face marocaine intervient alors que les ministres des Affaires étrangères des cinq pays membres de UMA ont entamé hier une réunion à Tripoli pour préparer le sommet de l'Organisation, assurant que la question du Sahara occidental ne sera pas à l'ordre du jour des travaux. Abdelaziz Belkhadem a, pour sa part, affirmé que «les divergences sur la question du Sahara resteront loin des préoccupations du sommet». Cet état de fait n'a pas empêché le chef de la diplomatie marocaine de dénoncer les déclarations du chef de l'Etat, estimant «qu'elles n'aident pas à relancer l'UMA». A côté de cette offensive diplomatique, le Maroc a actionné sa presse pour tirer à boulets rouges sur l'Algérie. Rendant le président de la République responsable de tous les malheurs de la région, les journaux marocains accusent le chef de l'Etat d'avoir «repris une posture d'activiste acharné de la cause du Polisario», comme l'écrit le quotidien socialiste Libération. Abondant dans le même sens que le communiqué de Benaïssa, le Matin du Sahara estime que le chef de l'Etat s'est exprimé à quelques jours du sommet «parce qu'il sait à quel point les regards sont (...) rivés sur un sommet de l'UMA difficilement réuni en Libye». Et au quotidien de s'interroger: «Oui ou non, l'Algérie est-elle partisane d'un Maghreb Arabe uni? Si oui, pourquoi s'emploie-t-elle à le saboter et à empêcher sa réalisation?». «L'attitude algérienne est de nature à remettre en cause un rapprochement maroco-algérien encore à ses débuts et donc fragile», selon Aujourd'hui le Maroc, qui se demande s'il ne s'agit pas de «l'objectif recherché par Bouteflika». Autant d'attaques qui cachent mal une tentative de saborder le sommet en rendant l'Algérie responsable de l'échec. Cela dit, même si le roi Mohammed VI a toujours l'intention d'y prendre part, il est à craindre que ledit sommet débouche sur un énième échec à cause de la frilosité marocaine. L'une des conséquences directes de cet état de fait sur les frontières entre les deux pays dont l'ouverture n'est manifestement pas pour demain.