Nous avons eu la chance de l'interroger le 3 mai dernier, lors d'un long entretien qu'il nous a chaleureusement accordé pour l'écriture d'un livre sur l'Algérie contemporaine. «Tous les jours on se préparait en costume et Krim Belkacem s'assurait d'avoir un beau stylo pour signer», raconte le défunt Redha Malek. Il y va de l'Algérie naissante. «Or c'était tout le temps reporté. Le jour où c'est enfin arrivé, les Français ont signé d'abord, pour la délégation algérienne, il n'y avait qu'une seule place pour signer, alors Pierre Joxe a poussé les documents vers Krim Belkacem, et pour la première fois j'ai vu de l'hésitation et de l'émotion chez Krim, il s'est rétracté, il nous a regardés un par un, je lui ai souri, on lui a tous dit «vas-y!», alors il a signé. Ce moment restera unique». Redha Malek raconte ces anecdotes et sourit jovialement. «Krim Belkacem était le chef des négociations, il a fait preuve d'une grande capacité d'écoute, de patience et de sagesse durant les négociations». Ces témoignages du dernier négociateur des accords d'Evian remontent à il y a trois mois. Etait-ce les derniers qu'il aurait faits à des journalistes et chercheurs en histoire? Probablement oui? La leçon du patriote Nous avons donc eu la chance de l'interroger le 3 mai dernier, lors d'un long entretien qu'il nous a chaleureusement accordé pour l'écriture d'un livre sur l'Algérie contemporaine. En route son chauffeur a affirmé combien il admirait Redha Malek, qu'il appelle familièrement «Echeikh». Il couvre de louanges son employeur qu'il considère comme «un grand patriote et pur nationaliste algérien» puis alors que nous nous approchions de la propriété de l'ancien négociateur des accords d'Evian à l'ouest d'Alger, il ralentit. Nous sommes un peu en avance et il rappelle sa leçon visiblement bien assimilée: «Vous savez, Monsieur Malek est très à cheval sur la ponctualité, il me dit toujours 'avant l'heure c'est pas l'heure, après l'heure ce n'est plus l'heure''.» Nous arrivons donc devant la porte de Redha Malek qui m'accueille droit et souriant en lançant «vous êtes 5 minutes en avance.» Il m'invite à prendre place dans son salon et se livre très allègrement au jeu de mes questions. Un autre géant de notre histoire vient de tirer sa révérence. L'un des derniers négociateurs des accords d'Evian prend le départ. Avec la mort de Redha Malek c'est un pan entier de notre histoire qui s'éteint. Austère à la première impression, Redha Malek se détend très vite et apparaît comme un homme généreux et tendre, fier de son pays et de l'histoire à laquelle il a eu la chance de participer. Il s'asseoit et commence avec la plus grande des simplicités et une modestie incroyable à raconter le périple des longues négociations des accords d'Evian. A ses premières paroles on comprend pourquoi cet homme avait été choisi par le Gpra pour participer aux négociations d'Evian. «C'était une bataille qu'il fallait mener car elle reflétait la réalité sur le terrain, c'était une guerre qui avait atteint des sommets et cela s'est traduit par la création de ce Gouvernement provisoire en septembre 1958.» «L'expérience de Melun avait montré que nous ne pouvions pas négocier sur un terrain français, pour De Gaulle c'était difficile de négocier sur un territoire neutre hors de la France, on ira négocier à Evian, on a fait un compromis, mais la délégation algérienne séjournait en territoire suisse.» Son ton en évoquant les négociations devient ferme et dur. «On nous décrivait comme des sanguinaires, nous ne faisions pas la guerre au peuple français, nous faisions la guerre au colonialisme français.» Avec fermeté il rappelle le niveau de violence dans lequel la France avait sombré vis-à-vis du peuple algérien. Si son ton devint tranchant, Redha Malek apparaissait comme une force calme, un monument qu'aucune tempête ne pouvait faire vaciller. Il dresse un portrait rapide des conditions de déroulement des négociations, et il condamne la France coloniale, de son «manque d'humanité durant l'occupation de l'Algérie». Redha Malek martèle, que la délégation était intransigeante sur trois points essentiels sur lesquels il n'était pas question de faire aucune concession: «L'indépendance complète de l'Algérie, l'intégrité territoriale, et l'unité du peuple algérien.» Redha Malek évoque ensuite tous ces hommes qui ont oeuvré pour que cette Algérie devienne libre durant les négociations, il énumère et décrit la lutte et le dur travail sur le terrain. Et toutes les tactiques mises sur pied par De Gaulle pour faire discréditer l'autorité du Gpra, comme le fait que en feignant de négocier avec le Gpra, le général français recevait des colonels de la Wilaya IV combattante à L'Elysée. «Ils ont trouvé que nous nous battions dos au mur, on demandait l'indépendance de l'Algérie, nous étions prêts à nous battre jusqu'au bout, nous n'étions plus à quelques morts près, nous étions solidement unis.» Il reste encore beaucoup à faire... Redha Malek ne mâche pas ses mots sur les conditions de vie que la France avait imposées au peuple algérien, et il révèle une étrange fermeté en contradiction avec son visage aux traits doux et un sourire presque enfantin. «En 1956, il y a eu la grève des étudiants, ensuite j'a été nommé directeur de l'organe central du FLN, El Moudjahid et par la suite on a eu un certain nombre de missions à cette époque et çà nous a amenés aux négociations d'Evian pour aboutir à un cessez-le-feu, et à l'indépendance du pays. Cette colonisation avait atteint des sommets et lorsque De Gaulle est revenu au pouvoir il y avait déjà l'idée de la création d'un gouvernement provisoire, ce Gouvernement provisoire était la consécration de la lutte pour l'indépendance.» Les négociations pour la paix étaient longues et laborieuses. La première fois Joxe a rompu en disant «le FLN c'est du vent, vous n'avez aucun programme, vous ne voulez pas la paix, pas de cessez-le-feu, «il voulait garder Mers El Kebir, des bases militaires, le Sahara. Il voulait des concessions et garanties automatiques à 1 million de Français, il voulait la nationalité française et algérienne automatique à 1 million et demi de Français qui étaient contre l'indépendance, ce qui n'était pas sérieux». Ces négociations ont été un travail extrêmement laborieux, et nous avions conscience que nous étions tous solidement fixés sur une chose. Pas de concession à la France coloniale. Redha Malek parle de ses conversations avec le général de Gaulle avec un ton qui révèle que l'ancien négociateur d'Evian et chef de gouvernement n'avait jamais semblé impressionné par le charisme légendaire du président français, bien au contraire il raconte comment il l'interrompait à l'Elysée par ses allers-venues au sujet du bail signé par la France à propos de Mers el Kebir alors qu'il était ambassadeur. On réalise que Redha Malek avait joué la politique de l'usure contre le général jusqu'à ce que celui-ci cède et déclare: «Monsieur Malek, je l'ai bien compris vous voulez que nous partions, eh bien, nous allons partir», Redha Malek ajoute «il en avait assez de mes constantes visites». Il dévoile son patriotisme et admet que ce pays a traversé de «terribles périodes». «Mais notre pays, assurait-il, a les capacités de traverser les plus grandes épreuves.» Le défunt aura occupé des postes clés a des périodes critiques de l'histoire contemporaine algérienne, son militantisme et son patriotisme apparaissent indiscutables. Il note à la fin de l'entretien qu'«il reste encore beaucoup à faire pour que l'Algérie prospère, beaucoup d'efforts ont été fournis et il faut continuer, il faut croire en une Algérie moderne car c'est réalisable, et au fond c'est ce que tous les Algériens désirent». Alors que notre entretien touche à sa fin, Redha Malek me raccompagne vers la porte très heureux de notre entretien, il me présente avec fierté son petit-fils qui entre joyeusement avec sa bande d'amis en me confiant qu' il estime qu'il faut encourager les jeunes Algériens à découvrir leur histoire et le grand sacrifice que les générations précédentes ont consenti pour livrer un pays libre à leurs enfants. L'ancien négociateur me lance «un ennemi vous fera toujours croire que vous êtes faible, voilà ce que la France nous a fait croire, or nous avions compris que unis, nous la vaincrions» et il ajoute «la peur est une arme terrible, on l'agite pour empêcher l'homme de croire en lui-même, or l'homme possède des forces inépuisables. Un homme qui a peur est un homme mort». Ces phrases font étrangement écho à cette phrase lancée à Oran lors des obsèques de Abdelkader Alloula, lorsque face au terrorisme rampant il a rapellé aux Algériens que «la peur doit changer de camp».