Quand on voit les pièces de Mohya, on les comprend tout de suite. La langue ne constitue nullement un handicap en soi. Les oeuvres artistiques périssent par la négligence et l'amnésie les enterre. Cependant, de par la force de leurs créateurs qui se riront des injures du temps, certaines d'entre elles se garderont de cette endémie devenue légion chez l'homme. Et l'oeuvre de Mohya en fait partie. Quarante jours et quelques poussières après sa disparition, cet immense et prolixe dramaturge a été «invité» au Théâtre national algérien et ce, à travers la nouvelle édition de Echos de plumes, consacrée exclusivement à son oeuvre. Une oeuvre qui s'inscrit en dehors du temps et qui, par là même, se conjugue à tous les temps. Et dans ce contexte, Alfred Jarry pense que «l'art n'a pas de meilleure sanction de mérite de ses créateurs que leur affranchissement du temps». En effet, les pièces de Mohya résisteront certainement à la menace du temps par ce que, justement elles s'en sont affranchies. Outre A Mine yetsrajun R'abbi, Muhand U Cavan ou encore Werjeji, on cite bien l'exemple de la pièce Axir Akka, Wala Deg'Zekka, adaptée d'après Le suicidé de Nicole Erdmann. Le texte a été lu dimanche dernier au TNA, par le comédien Menad M'barek qui a aussi joué dans plusieurs créations théâtrales de Mohya (lire l'entretien ci-dessous). Axir Akka...aborde l'histoire d'un homme insomniaque qui réveille sa femme en pleine nuit et lui confie son intention de se suicider. Terrorisée et affolée, la pauvre épouse alerte le voisinage. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre. Et voilà qu'un défilé de personnalités de tout acabit, de tout horizon et de toute idéologie accourent. Nourrie de mauvaises intentions et d'un pragmatisme démoniaque, chaque partie de ce beau monde tente d'«accaparer» le futur décès, de ce «candidat à la mort». Les intellectuels voient en la mort de cette personne, la preuve irréfutable du malaise social. Les chercheurs convoitent son corps pour les servir dans leurs recherches... Et le concerné dans cette affaire? Son rôle est maintenant d'observer le déroulement de cette tragicomédie qui se joue à son insu. Doit-il satisfaire tout ce monde? certainement pas. Son dessein est tout autre: sortir de l'exclusion dont il est victime et sa notoriété en est le meilleur moyen. Machiavel ne disait-il pas que «la fin justifie les moyens»? En effet, et Mohya a su dire cette idée autrement. «C'est une écriture scénique. Ce n'est pas un texte littéraire, non moins linguistique mais, c'est un discours théâtral ayant une certaine spécificité sémiologique. Quand on voit les pièces de Mohya, on les comprend tout de suite. La langue ne constitue nullement un handicap en soi. Le spectateur peut comprendre le sens de la pièce et en saisir le message sans toutefois avoir accès à la langue amazighe» estime Brahim Nouel, conseiller artistique au TNA et enseignant à l'ex-Institut national des arts dramatiques (Inad) actuel Ismas. Ce qui est à relever en outre, c'est ce langage spontané et quotidien usité par Mohya. Les mots les plus insignifiants prennent une tournure bien originelle dans les pièces de cet artiste. Sous l'effet de sa magie, les malheurs les plus accablants se transforment en petites bribes de bonheur. A cet effet, Menad M'barek rapporte l'anecdote suivante: «assistant à l'une des représentations de Mohya, au théâtre de Béjaïa, une vieille femme entendant le comédien proférant des propos blasphématoires, s'est mise à applaudir et à se tordre de rire tout en balbutiant: Astaghfirou Allah (que Dieu me pardonne).» Mais, pourquoi a-t-on privé le public algérien de toute cette énergie et ce talent? Il n'est jamais trop tard pour bien faire. Le TNA, par la voix du conseiller artistique, Brahim Nouel, promet une surprise qu'on découvrira au courant de cette année. «Mohya devra se réjouir» déclare Menad M'barek qui salua la mémoire de ce dramaturge.«J'espère qu'il ne me grondera pas sur la lecture que je viens de faire». Certainement pas et l'entretien qui suit sera une meilleure façon de lui dire ce respect qu'on lui voue.