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«L'Etat aide au développement du cinéma au Maroc»
HASSAN LEGZOULI (REALISATEUR MAROCAIN)
Publié dans L'Expression le 16 - 06 - 2005

Réalisateur au parcours atypique, ce Français d'origine marocaine revendique sa double «assise» culturelle à travers ses films.
Les rencontres cinématographiques de Béjaïa ont entamé leur rythme de croisière, entre projection de films l'après-midi et l'organisation la matinée d'ateliers dont on peut citer les plus intéressants. Ils sont deux: le ciné-club animé par Yann Goupol. Ce dernier est directeur de l'Agence du court -métrage dont le travail consiste notamment à sensibiliser le public à l'histoire du cinéma, ses différentes formes de réalisation et aux aspects de la diffusion, et Matthieu Darras, directeur de «Nisi masa», association européenne pour la promotion des jeunes cinéphiles. Son rôle consiste à aider les jeunes à concevoir correctement leurs scénarios. Après cette rencontre de Béjaïa, ces stagiaires travailleront en septembre avec des tuteurs étrangers. En outre, parmi les films projetés, on retiendra Tanja ( 2005) avec comme acteurs principaux Roshdi Zem et Atika. Ce film nous fait pénétrer au coeur du Maroc ancestral qui se meurt. Il donne à voir une image d'un pays qui louvoie entre le passé et le présent, l'ancien et le devenir à travers une relation père-fils inachevée qui tend à réconcilier l'un avec l'autre par le biais de la culture et des traditions. C'est l'identité retrouvée ou le chemin vers les origines. Ecoutons le réalisateur qui nous brossera l'état du cinéma marocain.
L'Expression: On vient de voir votre film, Tanja. L'histoire d'un Français d'origine marocaine qui retourne aux sources de ses origines, pour rapatrier le corps de son père comme le veut la tradition. Cette trame, j'imagine, n'est pas fortuite?
Hassan Legzouli: Non, rien n'est au hasard. D'abord, il y a une volonté de raconter l'histoire d'un jeune homme effectivement français d'origine marocaine, qui a sa vie dans le nord de la France, et qui appartient à cette histoire des enfants de mineurs marocains et algériens qui ont fait les mines dans le Nord depuis le début du siècle.
Donc, il y a le fruit de cette histoire qu'il vit très bien au Nord. Il se pose pas 30.000 questions. Du jour au lendemain, il se retrouve à exécuter le testament de son père et retourne au Maroc pour l'enterrer au fin fond de l'Atlas d'où il est venu. Le fils, par respect du mort, se retrouve à faire le voyage dans un pays qu'il ne connaît pratiquement pas. Le père n'était pas dans ce trip de retour au bled. En fait, le but du film est cette idée qu'a trouvée le père qui n'a pas pu de son vivant raconter son pays et son histoire à son fils, le fait par et grâce à sa mort. C'est-à-dire, c'est la manière qu'il a trouvée de faire revenir son fils dans son pays d'origine en quelque sorte.
L'idée ne serait-elle pas de parler de cette nouvelle génération qui ne connaît pas son pays et qui porte en elle cette double culture? Vous dites d'ailleurs au personnage (Noredine) campé par Roshdi Zem: «Quand mon père nous parlait en berbère, on lui répondait en français»
Oui. C'est vrai que dans notre culture, la communication est très difficile, on ne met pas de mots sur les sentiments, encore moins quand il s'agit d'amour. Entre ce père et ce fils il y a un déficit d'amour. Cela ne veut pas dire qu'ils se détestaient. Il se trouve que chez nous, encore plus dans la culture berbère, il y a une grosse pudeur qui fait qu'on se parle très peu. Et ces deux-là ne se parlaient pas. On bascule dans une autre dimension où cette pudeur n'existe plus et ils se parlent. Même s'ils se parlent peu, ils se disent des choses. A la limite, c'est plus cela qui m'intéressait. C'est cette relation entre père et fils qui est symbolique de la relation père-fils dans l'histoire de l'immigration, c'est un peu particulier parce que voilà une relation entre un père et un fils dans une tradition maghrébine où les mots sont rares, mais en même temps dans une société, en l'occurrence française, où tout est dit. Tout est mis en mot.
Vous cassez des tabous en faisant communiquer le fils et ce père après le décès de ce dernier.
Oui, je transgresse ce «taboulà», grâce à la mort. Celle-ci devient finalement une sorte de continuité de la vie. Je n'avais pas envie que l'histoire de la mort du père soit vécue comme une sorte de drame. Au contraire, elle est plus la continuité de quelque chose. c'est quelque chose de naturel : le père meurt et le fils revient au premier plan. Il est serein comme s'il était la passation de relais qui se fait grâce à ce voyage et quand celui-ci est terminé, le fils est en situation de sérénité totale, en retrouvant son pays d'origine, mais ne sera de toute façon jamais complètement marocain. En même temps, il a l'impression d'avoir acquis quelque chose en plus qui est cette marocanité qu'il va vivre comme un plus. L'essentiel est de connaître la trajectoire du père et de se réconcilier avec cette image du père qui est complètement bousillée dans l'histoire de l'immigration parce que son image est dévalorisée. C'est une mauvaise référence pour le fils. Par contre, quand les choses se font en douceur et que les enfants arrivent à comprendre que le fait de partir du fin fond de l'Atlas par exemple marocain ou bien de la Kabylie, pour arriver aux confins du Nord et puis réussir à se construire une famille, c'est déjà réussir à créer la vie.
Les enfants arriveront-ils à quelque chose? Pour moi, cela est une réussite. Quand on prend conscience de ce trajet-là, l'image du père devient la conquête de l'autre. C'est un parcours humain. L'idée est de dire que sur la question des origines, il n'y a rien d'automatique, ce n'est parce que ce fils est un enfant marocain qu'il est automatiquement marocain. C'est quelque chose qui se construit avec ce qu'on apprend. Ce sont les gens qu'il rencontre qui lui font prendre conscience qu'il y a des choses à prendre de ce pays aussi. Quand il part, c'est avec des amours. Ceux voués à des gens et des hommes qu'il a connus. C'est une richesse en plus.
Cette réapparition culturelle, est -ce un souci majeur pour vous d'autant que vous êtes, vous-même, un immigré?
Le fait de vivre en France n'a jamais été un handicap pour moi. J'ai appris à assumer les deux cultures. Le fait d'être capable de jongler entre deux cultures cela a toujours été mon point fort. Je suis sur deux pays et non pas entre deux pays. Je suis bien posé entre deux cultures, en équilibre.
En tant que réalisateur marocain, pourriez-vous nous parler de la situation du cinéma marocain?
Le cinéma marocain, dans le Maghreb, est un cinéma qui bouge. Il y a deux raisons. Il y a une génération de cinéastes marocains ou d'origine marocaine qui ont cette particularité d'être tous à l'étranger. On prend des cinéastes qui habitent en Egypte, en France, en Norvège ou aux Etats-Unis mais qui ont gardé un lien très fort avec le Maroc. Ce ne sont pas des enfants d'immigrés, ils sont eux-mêmes des immigrés. Comme moi qui suis parti à 18 ans pour faire des études en Europe ou ailleurs. Ces gens-là ont manifesté le désir, un moment, de raconter des histoires sur le Maroc tout en restant à l'extérieur. Je pense que cela permet d'avoir un regard moins complaisant et cela crée une distanciation. Cette génération-là a fait des films qui ont une certaine exigence et qui en même temps parviennent à s'imposer sur la scène internationale et nationale. Leur sincérité et leur justesse ont touché les Marocains en dépit du fait qu'ils ne vivent pas au Maroc. En même temps ce regard sur un Maroc différent touche les Européens qui n'ont pas l'habitude de voir cela. Des cinéastes marocains se sont retrouvés à Cannes, à Locarno, à Venise, à Berlin ... et d'un seul coup, depuis 4 ou 5 ans le cinéma marocain s'est mis à exister. Cela est le premier facteur. Le deuxième facteur est qu'il y a une réelle politique de développer le cinéma, quoique cela existait déjà dès le début. Il y a le Centre cinématographique marocain mais il avait besoin d'organisation. Il y a des personnes qui sont arrivées à la tête de ce centre et qui ont réalisé des choses. Le révélateur est que l'Etat a doublé le budget du Fonds d'aide. Ce qui n'est pas anodin. On est passé de la possibilité de faire quatre ou cinq films à un objectif de faire une quinzaine de films dans cinq ou six ans par an. Effectivement, il reste du travail à faire. On procède étape par étape. Et voilà, des films se font et existent sur la scène internationale.
Quelle critique a eu votre film au Maroc?
Le film sort au mois de septembre au Maroc. Il a été sélectionné au Festival de Marrakech et a été projeté devant une salle pleine.
La réaction du public a été la même que celle d'ici. Ce qui a touché est cette sensibilité et cette justesse dans le propos, sans complaisance. Vraiment j'étais aux anges ! J'espère que le film sera vu par un maximum de gens.
Que pensez-vous de l'initiative du réalisateur algérien Belkacem Hadjadj de réunir une sorte de menu sur lequel figureraient tous les acteurs maghrébins, algériens, tunisiens et marocains pour un travail d'échange et de collaboration afin de mettre fin à cette crise d'acteurs dans le Maghreb?
Je trouve que c'est une très bonne idée. Justement, la mère de Noredine qui fait une apparition dans le film, est campée par la comédienne algérienne Fatima Ousliha. Je l'ai vue au théâtre en France.
J'ai aussi travaillé avec Rachida Bracni qui est d'origine algérienne. Pour moi, la question des origines ne se pose même pas.


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