Les jeunes d'aujourd'hui, ont vécu le séisme dévastateur du terrorisme qui a failli souffler les fondements de l'Etat et de la Nation «Ya bladi nabghik wa n'mout aâlik (ô mon pays, je t'aime et je donnerai ma vie pour te défendre)», «Dzaïr fi dami (l'Algérie coule dans mon sang)», chante la génération de l'après-indépendance, celle qui n'a certes pas vécu la Guerre de Libération nationale, mais qui n'a jamais trahi le serment fait par ses aînés. Elle a 80 ans. Issue d'une famille de moudjahidine et de chouhada, Malika a participé à la guerre d'indépendance. A sa façon. «Ce que j'ai fait aux côtés de millions d'autres Algériens n'était qu'un devoir pour mon pays, mais surtout pour vous, mes enfants.» Son époux était aussi un moudjahid auprès duquel elle a participé à la lutte de Libération nationale. «Mon mari était de ceux qui n'ont jamais voulu rompre avec le FLN version 54. Il croyait en l'Algérie, en ses hommes et surtout en ceux qui représentaient le FLN. Sa déception, accumulée tous les jours par des réalités irréfutables, il la dissimulait, préférant sûrement vivre dans un rêve. Son rêve.» Malika, pour sa part, ne rêve pas. Ne rêve plus. Elle «découd» progressivement avec la vie. La rue, les gens et surtout la politique ne sont qu'un lointain souvenir. Le 1er Novembre pour elle: une nostalgie. «Nous vivions mieux à l'époque. Nous vivions sous la menace, el hogra et l'humiliation. Dans une misère totale, mais entre nous les indigènes algériens'', il y avait de l'amour.» C'est pour transmettre cet amour que Malika a consacré sa vie «j'ai appris à mes enfants à s'aimer entre eux, à aimer autrui mais surtout à aimer leur patrie». En disant ces phrases, Malika avale difficilement sa salive. Un goût amer emplit sa bouche. Elle refusera de le dire, mais semble s'interroger sur la symbolique du 1er Novembre aujourd'hui. 63 ans après, qui s'en souvient? Qui ne l'a jamais oublié? Que représente-t-il encore pour la jeunesse? Malika semble en vouloir à la vie. Peut-être même à l'Algérie d'avoir «enfanté» cette jeunesse qui, après s'être engouffrée, une décennie durant, dans une guerre fratricide, se détache de plus en plus de la mère-patrie, de sa mémoire et de toute son histoire. En fait, Malika n'a pas tort. Elle n'a pas raison non plus. Les jeunes d'aujourd'hui semblent avoir tourné le dos à la fête de l'indépendance, celle du 1er Novembre ou encore la célébration du 8 Mai 1945. Ils donnent l'air d'avoir rompu le lien ombilical avec leur mère-patrie, l'Algérie. Ils n'ont jamais trahi le serment de leurs aînés Les enfants de l'après-indépendance connaissent très peu leur histoire et le sacrifice de leurs aïeux pour libérer leur terre, inondée par le sang d'un million et demi de chouhada. Mais est-ce leur faute ou plutôt celle d'un système éducatif qui n'a pas joué son rôle? Et pas seulement. N'est-ce pas là l'échec de toute la société qui n'a pas su transmettre la mémoire collective? La mémoire collective est la conscience d'un peuple, celle qui donne raison à son existence. C'est dans la mémoire collective que se composent les grands agrégats d'une nation. Chaque peuple a une mémoire où sont imprimés et enregistrés ses émotions, ses oeuvres, ses échecs et ses illusions. Réhabiliter la mémoire c'est réinventer la relation du passé au présent, dans une perspective d'avenir. Il est donc évident que la mémoire doit être transmise de père en fils pour barrer le chemin à l'oubli. Mais même s'il y a eu carence dans ce domaine, est-ce pour autant une raison pour dire que la jeunesse d'aujourd'hui n'aime pas l'Algérie? Ces jeunes sont accablés et à tort. Les raisons? Il y a lieu de rappeler en premier, qu'enfants, les jeunes d'aujourd'hui, ont vécu le séisme dévastateur du terrorisme qui a failli souffler les fondements de l'Etat et de la Nation. Pendant cette période tragique, l'emblème national, les symboles de la révolution et les repères communs aux Algériens ont été remis en cause par l'intégrisme religieux et la violence terroriste. Cette jeunesse a dû puiser, bien au fond d'elle-même, une force inouïe qui lui a permis de sortir du gouffre. Une force sustentée par un amour de la patrie, inné. La résistance de cette jeunesse contre la violence a réactivé spontanément la mémoire de la résistance nationale contre l'occupation coloniale. L'Histoire se répétait. Car, tout comme le colonialisme, le terrorisme appliquait la politique de la terre brûlée au nom d'une légitimité divine opposée à tout ce qui symbolise l'épopée nationale depuis l'Emir Abdelkader en passant par l'Etoile nord-africaine jusqu'au PPA-MTLD et au FLN de Novembre 1954. L'objectif du terrorisme visait, tout comme la politique coloniale, à oblitérer la mémoire collective et à couper le cordon ombilical qui liait les générations de l'indépendance à celle du Mouvement national indépendantiste et libérateur. Une fois la première bataille contre l'intégrisme gagnée, les jeunes ont dû faire face à une autre réalité amère: celle de voir l'esprit de Novembre et les symboles de la révolution dévoyés par les comportements immoraux de certains responsables. Ils ont dû vivre aux rythmes de la corruption, des détournements des deniers publics, de la dilapidation du foncier agricole, industriel et urbain par des notables du régime, notamment pendant la période du terrorisme. Autant d'éléments qui expliquent l'attitude de la jeunesse algérienne qui a donné l'impression de s'être détournée de ces référents historiques. Aujourd'hui et en raison de leur démission de la vie politique, de leur refus d'un statut de «citoyens à temps partiel», de leur refus d'être convoités le temps d'un vote ou de garnir les discours électoraux, les jeunes sont accusés de tous les maux. Certains ont fait le choix, loin d'être le meilleur, de la harga. D'autres ont opté pour les manifestations, la casse ou encore l'émeute. Pour toutes ces raisons, ils sont accusés de ne pas aimer l'Algérie. Et pourtant! Même si les jeunes donnent cette impression d'avoir tourné le dos à leur pays, même si ces jeunes ont choisi de mourir au large en s'embarquant dans des barques de fortune, ils n'ont jamais cessé de chanter l'Algérie. «Ya bladi nabghik wa n'mout aâlik (ô mon pays, je t'aime et je donnerai ma vie pour te défendre)», «Dzaïr fi dami (l'Algérie coule dans mon sang)», chante la génération de l'après-indépendance, celle qui n'a certes pas vécu la Guerre de Libération nationale, mais qui n'a jamais trahi le serment fait par ses aînés. La jeunesse n'a rien à prouver Et à bien voir, beaucoup de choses sont exigées de la jeunesse algérienne. Il lui est demandé d'exprimer son abnégation pour la patrie, d'accepter les conditions de vie quelles qu'elles soient. Des conditions générées par la politique de gestion du pays dans laquelle elle n'a pas son mot à dire. Et enfin d'attendre éternellement son tour pour recevoir le flambeau de ceux qui revendiquent leur légitimité historique pour se maintenir au pouvoir. Qu'a-t-elle en retour? Encore un refus d'exister; de s'exprimer...à sa façon. Et pourtant! Un jeune a le droit d'avoir sa façon de s'extérioriser, même si elle est tordue. Car par définition, être jeune, c'est être fou, fougueux, rebelle, indomptable et impatient... Malgré cela, la jeunesse s'est toujours montrée à la hauteur des attentes. Et elle l'a démontré à plus d'une occasion. Prenons l'exemple des manifestations sportives où pour exprimer sa joie d'une victoire du Onze algérien, la jeunesse a toujours crié «viva l'Algérie». Au rythme du ballon rond, les jeunes, unis et solidaires, ont toujours exprimé leur amour à la patrie. Ces derniers n'ont jamais manqué à l'appel pour défendre l'honneur du pays. Faut-il rappeler leur réaction aux insultes contre l'Algérie, son histoire, ses symboles, ses martyrs et son identité. Le feu qui avait brûlé l'emblème national sur le sol égyptien s'était vite répandu à Alger dont les enfants révoltés ont peint leur pays en blanc, vert et rouge. Il n'y a pas si longtemps aussi, le pays du million et demi de chahids a été orné des couleurs de l'emblème national en réaction à l'atteinte qui lui a été portée sur le sol du Royaume chérifien. Deux situations qui ont offert une occasion d'expression tant recherchée et ont mis en évidence l'amour du vert, blanc, rouge. Cet amour enfoui au fond de chaque enfant d'Algérie ne pouvait que rejaillir à un moment où l'on a tenté de porter atteinte à l'Algérie. Ce sont les enfants de ce pays, auxquels il a toujours été reproché de tourner le dos à l'Algérie qui n'ont pas manqué, à la première occasion qui s'est offerte à eux, d'extérioriser cet amour. A quel autre moment pouvaient-ils le faire? Eux qui n'ont vécu qu'au rythme de la rébellion (1988), du terrorisme, des émeutes cycliques et de la harga. Il aura fallu attendre la magie du football pour voir les jeunes se soulever, tel un seul homme, pour défendre la patrie. La magie footballistique a permis la communion. Il aura fallu vivre l'agression contre l'emblème nationale pour voir le sentiment patriotique rejaillir spontanément chez les jeunes. La réaction innée les a même poussés à tailler le drapeau national dans leur coeur et à crier à nouveau «bladi nebghik». L'amour qu'exprime la jeunesse au pays est quotidien: sur les réseaux sociaux, sur les chaînes de télévision, à l'école et même...dans l'émeute ou dans une barque de fortune. Il suffit de le vouloir pour voir et comprendre le message. Les jeunes gardent l'amour de la patrie. Un amour tellement fort qu'il relègue au second plan leurs différends avec les gouvernants de l'heure à chaque fois qu'il est question de la patrie, son histoire ou son honneur. Cet amour fédérateur, extraordinaire a permis au sentiment patriotique de refaire surface. Car, il faut le reconnaître, s'envelopper dans le drapeau algérien est toute une symbolique. Crier fort, à faire briser les tympans, son amour pour la patrie est emblématique. C'est là une réponse cinglante aux négationnistes de tous bords et aux intégristes mercenaires. Avec cette attitude, la jeunesse algérienne n'a plus rien à prouver. Tout à attendre. Avec cette attitude, la jeunesse algérienne a montré que quand un peuple décide de se réapproprier sa parole, son histoire, sa culture, son drapeau... rien ne saura l'arrêter.