«C'est un assassinat de la mémoire qui est mis en oeuvre». Au cours d'un toast offert par Houari Boumediene à son hôte Giscard d'Estaing qui effectuait la première visite à la République algérienne en 1975, les deux présidents se sont échangé à peu près ces brefs propos: «A la France historique et à l'Algérie indépendante» déclarait M.Giscard en levant son verre. «A la France historique et que Dieu nous préserve de l'opprobre de l'Histoire» avait répliqué du tac au tac M.Boumediene. Trente ans après cet épisode, 60 ans après les massacres du 8 Mai 1945 et 43 ans après l'indépendance de l'Algérie les événements ne se sont pas tassés. 43 ans après, les promoteurs du mythe de l'Algérie, française subissent un autre échec. L'accès au cimetière de Marignane, où une association souhaitait inaugurer une stèle à la gloire des «morts pour l'Algérie française», dont des membres de l'OAS, était bloqué hier, par les forces de l'ordre, en application d'une décision du préfet des Bouches-du-Rhône, Christian Frémont, interdisant cette manifestation. En dépit de cette interdiction préfectorale, des militants de l'Association défense intérêts moraux d'anciens détenus (Adimad), se sont massés hier, devant l'entrée du cimetière Saint-Laurent Imbert de Marignane (Bouches-du-Rhône) pour inaugurer la stèle controversée. L'accès du cimetière étant toutefois bloqué par des cordons de CRS, les militants se sont contentés de déposer une gerbe devant la grille du cimetière. Alors que des contre-manifestations étaient annoncées à l'initiative du Mrap et de la Ligue des droits de l'homme, Christian Frémont a annoncé que la manifestation était interdite car elle est «susceptible d'entraîner des troubles à l'ordre public». «Je ne veux pas que tout cela dégénère», a-t-il déclaré. Daniel Simonpieri a, de son côté, demandé, le 23 juin, à l'association de renoncer à ce projet «le temps que les passions s'apaisent». Un véritable tollé a été soulevé en France suite à l'annonce de ce projet dédié aux «113 fusillés et combattants tombés pour que vive l'Algérie française». «Cette cérémonie, c'est comme rendre hommage aux militaires allemands de la Seconde Guerre mondiale, je suis ici pour défendre la mémoire de mon père» s'est insurgée Madeleine Ould Aoudia, fille de Salah Ould Aoudia, l'un des six enseignants assassinés le 15 mars 1962 sur les hauteurs d'Alger par l'OAS. Safia Hammoutène, fille de Ali Hammoutène, autre enseignant assassiné le 15 mars 1962, a estimé que «cette cérémonie est un affront fait à mon père qui est mort quand j'avais 3 ans. C'est une douleur immense. En Algérie, nous avons une très bonne image de la France. Je ne comprends pas comment la France puisse laisser faire ce genre de choses». Egalement présent parmi les anti-OAS Jean-François Gavoury, fils de Roger Gavoury, le commissaire central d'Alger assassiné le 31 mai 1961 par l'OAS. Mouloud Aounit, secrétaire général du Mrap, a qualifié l'inauguration d'«offense et d'insulte à la République». «Comment peut-on accepter que la France glorifie des hommes que la République a condamnés. C'est un assassinat de la mémoire qui est mis en oeuvre», a-t-il dit lors d'une conférence de presse mardi à Marignane. Des associations comme la rédaction d'En Rade demandent l'interdiction de cette inauguration indigne: on y retrouve l'Association nationale des anciens combattants de la résistance, la Ligue des droits de l'homme, la Ligue de l'enseignement, le Mrap, l'institut Charles André Julien, le Collectif des historiens contre la loi du 23 février 2005. Du côté politique, Michel Vauzelle, président du Conseil régional, a demandé au préfet d'interdire cette inauguration qui est «en totale contradiction avec les valeurs humanistes de la France» et «de nature à troubler l'ordre public». Le sénateur-maire de Marseille, J-C Gaudin, dit «oui à un hommage pour les soldats du contingent, harkis, civils morts pendants la guerre d'Algérie» mais pas «à ceux qui ont tenté d'assassiner le général De Gaulle». «Nous demandons le démantèlement pur et simple de cette stèle en l'honneur d'assassins et de terroristes condamnés par la justice française, explique Mouloud Aounit, président du Mrap. Sinon, même si l'inauguration n'a pas lieu aujourd'hui, elle pourra se faire à n'importe quel autre moment.» Des monuments semblables ont été érigés à Toulon (1980), à Théoule-sur-Mer (2002), à Valras-Plage (1990), à Perpignan et Béziers (2003). Ces initiatives sont antérieures à la loi du 23 février 2005, et l'inauguration de «la stèle de la discorde» de Marignane s'appuie principalement sur cette loi. «C'est avec le plus grand mépris que nous observons les perversions de l'histoire auxquelles se livrent depuis quelque temps les nostalgiques d'une Algérie colonisée et les laudateurs d'un terrorisme aussi crapuleux que celui que nous venons de vivre au cours de cette dernière décennie» a déclaré le président de la République à propos de cette loi.