Le projet d'amnistie est synonyme de paix pour ces citoyens qui ont souffert d'une guerre sourde. Huit ans après les grands massacres des populations dans les différentes localités isolées de Aïn Defla et à quelques mois du référendum sur le projet d'amnistie générale, des citoyens se souviennent et racontent - sans haine - les années d'un drame qu'ils ont vécu et payé de leur sang. Les discussions avec ces citoyens révèlent un fait très important. De tous ceux que nous avons abordés, ils commencent spontanément d'abord par raconter le drame, expliquent leur résistance pour dire ensuite qu'ils sont prêts à pardonner. En filigrane, le message est clair. Nous sommes prêts à pardonner mais sans oublier. Ravis d'accueillir pour la première fois un officiel dans sa localité, le Dr Rachid Benaïssa, ministre délégué au développement rural, Ammi Abdelkader, un vieillard qui ne courbe pas l'échine, s'adresse aux journalistes sous un soleil cuisant. Il se met à raconter une guerre récente. «Ils crient Allah ou Akbar, nous aussi. Nous implorons le même Dieu, alors que les balles des armes crépitaient et le sang coulait. J'ai appelé un des éléments (un islamiste armé Ndlr) dans les feux de l'action, le suppliant de cesser le feu, de revenir à la raison. Il m'a répondu: "vous êtes des mécréants." L'accrochage a duré plusieurs heures. Il y a eu des pertes humaines des deux côtés ce jour-là. On a perdu quatre personnes, eux aussi ont eu des victimes, qu'ils ont reprises avec eux», raconte avec émotion Ammi Abdelkader, l'un des premiers GLD (Groupe de légitime défense) qui a pris les armes en 1997 à Aïn Tahgzoult. Cette localité qui se trouve au bout d'une piste de 20 km de la commune de Tarek Ibnou Ziad dans la wilaya de Aïn Defla, localité sortie de l'anonymat par un drame le 12 août 1997: 30 personnes ont été égorgées par des islamistes armés. Depuis, la localité de 748 habitants versée essentiellement dans l'élevage du bétail a été désertée par ses habitants. «Seules 8 personnes sont restées, les autres sont tous partis à Bir Oul Khlifa», relate Ammi abdelkader qui dit se retirer aujourd'hui des GLD pour se consacrer à son verger et dit qu'il ne «comprend rien en politique» quand on a voulu connaître son avis sur la réconciliation nationale, l'amnistie générale et tous les autres concepts qui font légion dans les salons feutrés d'Alger. Lancé à la manière d'un ballon-sonde par le président de la République qui affirme s'en remettre «à la volonté du peuple souverain», le projet d'amnistie est synonyme de paix pour ces citoyens qui ont réellement souffert d'une guerre sourde. «Je ne connais pas la signification de tout cela, ce que nous voulons ici c'est la paix, car nous sommes entres frères. Si elle va ramener la paix, nous sommes pour cette amnistie, nous sommes pour tout, pourvu que la paix revienne», insiste ce sexagénaire qui semble excédé par ces années de guerre. «On est lassé par cette razzia qu'il font à chaque fois, ils nous ont pris au moins deux milliards et chaque année, ils reviennent.» Aujourd'hui, plus de 30 familles ont regagné leur domicile à Aïn Tahgzoult. «Les terroristes rôdent toujours dans les parages», intervient Attia, qui montre une montagne qui surplombe la localité: «Ils ont pris pour quartier général le Djbel Amrou, c'est une zone libérée occupée par l'émir Souane et katibat El Ahoual». Et que penses-tu de l'amnistie générale? Il sourit et hoche la tête pour signifier un non: «On ne s'est pas entendu sur cela, il y a des gens qui ont tout perdu, ils nous menacent toujours, ils prennent notre bétail, je ne vois pas comment pardonner à des gens pareils.» A 30 km d'Aïn Taghzoult, on regagne un paisible hameau au bord d'un oued qui coule en ce mois de juillet. En 1997, la daïra d'El Amra de la commune de Arib a eu aussi son drame. 97 personnes ont été massacrées par des islamistes armés en plein jour. Chez les populations qui commencent à regagner timidement cette localité, on retrouve le même son de cloche par rapport à l'amnistie générale et la réconciliation nationale. «Je ne sais pas ce que c'est mais s'il s'agit de paix on ne demande que ça, on veut cultiver nos vergers en sécurité, circuler sans la peur au ventre et dormir paisiblement», déclare un père de famille. A quelques encablures plus haut, cinq GLD armés de kalachnikovs et de fusils à pompe veillent au grain. Hamid, le plus jeune d'entre eux étale son avis sur le concept du président: «Si l'Etat décide de leur pardonner c'est son affaire, en ce qui me concerne je les considère toujours comme mes ennemis», déclare-t-il puis montre un repenti: «Le voilà, il était mon voisin, il a quitté le maquis ils lui ont donné une maison mais je ne lui serre jamais la main ni lui adresse la parole». Hamid n'a pas omis de raconter les faits d'armes de son groupe. Des accrochages quasi quotidiens avec les islamistes armés, des face-à-face sans pitié: «Vois-tu? et nous sommes encore là a défier les hommes et la nature pour survivre», déclare-t-il avec un long soupir. A Tahariat, Sidi Brahim, Netmar, Bouakoub, les citoyens expriment les mêmes espérances sans fond politique ni idéologique. La paix mais sans oublier. Enclavée entre le massif de l'Ouarsenis au sud et celui du Dahra au nord, Aïn Defla à 165 km à l'ouest d'Alger, a subi le drame où les massacres sont répétitifs. Les assaillants investissent des hameaux sans défense et s'acharnent pendant plusieurs heures à décimer des familles, sans distinction d'âge ou de sexe: hommes, , bébés, enfants et vieillards. Le plus souvent ils égorgent ou massacrent leurs victimes à la hache, au sabre...