Le compte à rebours a déjà commencé. Zarkaoui osera-t-il exécuter les deux diplomates algériens? Plus de soixante-douze heures après l'enlèvement des deux diplomates algériens à Bagdad, c'est le black-out total dans les milieux officiels algériens. Le moindre élément d'information est décortiqué, aussi bien par les diplomates que par les services spéciaux chargés de traiter ce dossier, pour tenter de dénouer rapidement l'écheveau d'un rapt qui, a priori, dissimulerait certains non-dits. Jusqu'à hier soir, le communiqué de Zarkaoui revendiquant cet enlèvement, n'a pu être ni authentifié ni certifié par les différentes officines pourtant habituées à ces affaires d'un genre plutôt ésotérique. Les spécialistes algériens planchent, depuis trois nuits, sans arrêt pour remonter le fil d'Ariane d'un rapt plein d'énigmes à cause surtout du choix fait par Zarkaoui de s'en prendre à l'Algérie, alors que les positions de celle-ci ne souffrent aucune équivoque quant à la défense des intérêts du peuple irakien dans les grandes instances internationales. Oui, Alger reste en pointe dans ses positions par rapport à l'ensemble des capitales arabes pour exiger le départ des troupes coalisées d'Irak et restaurer, au plus vite, la normalisation dans cet Etat. Explication: Belaroussi n'est que conseiller diplomatique. Il est à Bagdad depuis deux ans et demi. Quant à Belkadi, officiellement beaucoup plus agent administratif que diplomate, il n'est arrivé dans la capitale irakienne que depuis quarante-huit heures après un passage à notre chancellerie d'Amman, où notre ambassadeur Bouhoura l'avait briefé sur sa mission. Dans le communiqué de l'organisation de Zarkaoui revendiquant cet enlèvement, il n'est pas fait une seule fois allusion au sort de l'attaché administratif Belkadi, pour la simple raison, expliquent nos sources, que ses ravisseurs étaient au courant de son arrivée récente et que la seule personne visée était bel et bien le conseiller diplomatique. L'Algérie a refusé d'autoriser M. Bouhoura, son ambassadeur, à regagner son poste à Bagdad depuis le déclenchement de la guerre, en mars 2003. M.Bouhoura a été nommé à Sanaâ pendant quelques mois avant de se voir désigner à nouveau par le ministère des Affaires étrangères à Amman, avec pour mission de gérer également le dossier irakien à partir de la capitale jordanienne où il est officiellement accrédité. Le cas de l'otage algérien Belaroussi est différent de celui d'Ihab Al Cherif, le chargé d'affaires égyptien avec rang d'ambassadeur, enlevé et exécuté par le groupe de Zarkaoui. De plus, ce diplomate arabe avait entrepris une série de contacts ayant un «caractère délictueux» avec de pseudo-représentants de la résistance irakienne en vue de la conclusion d'une trêve entre eux et les troupes américaines d'une part, et d'autre part avec les forces de sécurité irakiennes. Il s'était ainsi exposé à la vindicte des hommes d'Al Qaîda. Son passage à Tel-Aviv en qualité de chargé d'affaires d'Egypte, il y a deux ans, est un facteur de charge supplémentaire que ses ravisseurs ont retenu contre lui pour en faire un «agent attitré du Mossad» dont les hommes et les relais, on le sait, sont très actifs dans les principales villes irakiennes. Les responsables algériens chargés de l'enquête sont très troublés par au moins trois faits ayant entouré ce rapt. Ni les deux portables, ni les documents, ni le véhicule des deux diplomates n'ont été pris par leurs ravisseurs. 1) Nos deux diplomates, du moins pour Belaroussi, ont l'habitude de fréquenter cette artère du quartier d'El Mansour où la sécurité était jusque-là bien assurée. Il leur arrivait de faire quotidiennement à pied le trajet, ne serait-ce que pour acheter leurs journaux ou prendre le pouls des événements qui ont cours après chaque attentat. 2) L'ambassade d'Algérie est située à quelque 300 mètres seulement du siège de l'ambassade du Sultanat d'Oman. Tous les Bagdadis savent que ce coin est truffé de policiers en civil et en uniforme. Pas moins de deux barrages, en plus, assurent, de jour comme de nuit, la surveillance dans cette zone considérée sensible en raison de sa fréquentation par les étrangers. 3) Les deux diplomates algériens, selon des témoignages reçus à Alger, ont été arraisonnés et embarqués dans des véhicules banalisés sous le regard ébahi des policiers irakiens de faction devant l'ambassade du Sultanat d'Oman, sans qu'aucun coup de feu ne soit tiré et sans qu'une réaction quelconque pour les protéger ne soit relevée. 4) Les Algériens circulaient dans un véhicule. Cette opération d'enlèvement a fait l'objet certainement d'une surveillance étroite. Elle a été programmée pour la veille de la réunion prévue à Amman, en Jordanie, du ministre irakien des Affaires étrangères, M.Hoshyar Zebari, avec les chefs de missions diplomatiques arabes qui sont tous installés, pour des raisons de sécurité, dans le royaume hachémite. Le chef de la diplomatie irakienne avait pour objectif de convaincre les ambassadeurs arabes de rejoindre Bagdad, où leur présence serait interprétée comme un signe évident de la normalisation politique et sécuritaire dans le pays. 5) Les services spéciaux algériens sont toutefois étonnés que, lors de ce rapt, ni les deux portables, ni les documents, ni le véhicule des deux diplomates n'ont été pris par leurs ravisseurs. 6) Première conclusion : on n'a pas affaire à une bande de malfaiteurs à la recherche d'une rançon, mais bel et bien à un groupe armé, structuré et poursuivant des objectifs clairs. Mais lesquels? Les premiers émissaires algériens sont arrivés à Amman depuis samedi. Leur mission: défricher le terrain pour une amorce de premiers contacts avec le groupe de Zarkaoui. La capitale jordanienne demeure une plaque importante pour toutes tractations avec ce qu'on appelle les sphères d'influence et de relais de proximité sur l'échiquier irakien. Zarkaoui, ancien militant du parti jordanien pour l'action islamiste (Hizb El Amal El Islami) compte encore de nombreux contacts à Amman. Le président irakien, M.Jallal Talabani, précisent nos sources, a promis aux Algériens d'intervenir directement auprès des chefs des grandes tribus irakiennes, en relation avec les groupes de la résistance, pour faciliter la libération de nos deux otages. Jusqu'à présent, aucune demande émanant de Zarkaoui n'est parvenue par quel que moyen que ce soit en Algérie. Hier matin, certains cercles algérois bruissaient de rumeurs infondées sur une demande d'échange du détenu islamiste El Para contre la libération des deux Algériens. Des sources autorisées excluent de manière catégorique cette éventualité. Dernière piste à vérifier, celle d'une manipulation d'agents de services spéciaux irakiens ou autres arabes en liaison avec le Mossad, très présent en Irak. L'enlèvement des diplomates vise-t-il à faire pression sur Alger? Dans quel sens? Rien n'est venu attester d'une telle hypothèse à l'heure actuelle. Dernier scénario: le rapt n'est pas de Zarkaoui, mais d'un groupe armé qui se dissimule derrière le paravent du célèbre lieutenant de Ben Laden. Il n'y a pas de motivations réelles et crédibles qui puissent justifier cet enlèvement. Enfin, dernière piste à vérifier, celle d'une manipulation d'agents de services spéciaux irakiens ou autres arabes en liaison avec le Mossad, très présent en Irak. Les responsables demeurent optimistes. Ils n'excluent pas un dénouement rapide et heureux dans les tout prochains jours. Wait and see...