Cette décision a été retenue en vertu du souhait du président de la République Abdelaziz Bouteflika de pousser l'enquête à ses extrêmes limites. Le tribunal d'Alger vient d'ouvrir une instruction judiciaire contre les auteurs du double assassinat qui a ciblé les deux diplomates algériens en poste à Bagdad, Ali Belarousi et Azzedine Belkadi, tués il y a sept jours par un groupe qui se définit comme celui d'Al Zarkaoui. Cette décision d'ouvrir une «instruction judiciaire contre X» a été retenue en vertu du souhait du président de la République Abdelaziz Bouteflika de pousser l'enquête à ses extrêmes limites. Le communiqué de la présidence de la République, publié le jour même de l'annonce de l'exécution des deux diplomates, disait notamment: «L'Algérie se souviendra. Elle poursuivra de sa froide détermination ceux qui ont osé s'attaquer si scandaleusement aux enfants d'un pays qui a tant fait pour lutter aux côtés du peuple irakien.» Emboîtant le pas à l'Algérie, Washington, avait aussi adressé un message de condoléances au président Bouteflika, dans lequel il est dit que «les Etats-Unis restent fermement engagés à travailler avec vous et avec l'Irak afin de présenter les auteurs de ce crime odieux devant la justice». Cette double volonté algéro-américaine d'agir en terre irakienne constitue bel et bien un antécédent. Nous n'avons pas assisté auparavant à pareille démarche de faire traduire devant la justice des auteurs de rapt pour la simple raison que la scène sécuritaire irakienne n'offre aucune grille de lecture cohérente, et que, par conséquent, toute démarche juridique tiendrait du luxe politique. Y a-t-il cette fois-ci des éléments nouveaux qui permettraient d'engager légalement et concrètement pareille procédure? On serait tentés de répondre par l'affirmative. Le magistrat instructeur auprès du tribunal d'Alger a confié l'instruction à la police judiciaire en relation avec Interpol. Les premiers éléments concrets du dossier existent et concernent des communiqués, cinq en tout, deux du Gspc et trois du groupe d'Al Zarkaoui, des enregistrements vidéo et audio. De ce fait sont concernés, en premier lieu, des éléments du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (Gspc) et des éléments se trouvant actuellement en Irak, dont une bonne partie d'Algériens «en djihad en Mésopotamie». Y a-t-il eu divergences entre des Algériens dans le groupe d'Al Zarkaoui et le reste de l'organisation, les premiers voulant exécuter les deux diplomates entre leurs mains et les seconds cherchant la négociation? Il semble bien que oui, pour au moins deux raisons. La première est qu'après l'exécution des otages, le groupe a marqué un temps d'arrêt, puis a voulu se laver les mains en publiant sur son site un démenti formel d'être l'auteur du double assassinat. Les Algériens au sein de la résistance ont-ils pris de vitesse Al Zarkaoui? Possible. D'autant plus que des sources sécuritaires algériennes estiment les Algériens engagés dans la résistance et les groupes armés à quelque 380 éléments. Récemment encore, un parlementaire irakien confirmait, à Alger, l'existence de kamikazes algériens à Bagdad et se lamentait que des Algériens «venaient se faire exploser en Irak». La seconde s'appuie sur un récent rapport de la Dgse (services de renseignement français chargés de la sécurité extérieure). Dans ce rapport, on peut lire que les servi-ces français ont identifié les ravisseurs des journalistes français Georges Malbrunot, Christian Chesnot et Florence Aubenas, ainsi que la cache où ils se trouvaient détenus. On peut y lire aussi que la France a versé une rançon de 2 millions de dollars pour la libération des deux premiers et 6 millions de dollars pour la libération de Florence Aubenas. Mais on lira à deux fois la partie qui dit que «les ravisseurs ne disent jamais au début qu'ils veulent de l'argent. Ils préfèrent se présenter comme un mouvement politique ou religieux, puis font comprendre que tout cela leur coûte cher et qu'une aide serait la bienvenue. Une somme est donc suggérée». Le groupe preneur d'otages algériens aurait-il été intéressé par une rançon avant que la partie algérienne au sein du groupe ne tranche en faveur de l'exécution? Là encore, on est en plein dans les hypothèses, mais qui tiennent quand même la route: la demande d'exécuter les deux otages formulée par le biais de deux communiqués du Gspc a dû trouver une oreille attentive en terre irakienne, et la connexion ne fait aucun doute entre le Gspc ou les djihadistes algériens du Maghreb et ceux du Machrek. Voilà donc engagée une des plus périlleuses instructions judiciaires qui soit et qui requiere un complément d'information dans les zones de guerre de l'Irak. L'arsenal juridique est mis à contribution et l'aide de la police irakienne et de la CIA américaine est déjà acquise. Reste que sur le terrain des opérations, déloger un seul combattant du groupe d'Al Zarkaoui relève de la performance, si on prend en ligne de compte les combats acharnés que le groupe livre aux GI's en en tuant entre deux et six quotidiennement. Le parquet d'Alger avait d'abord insisté sur la nécessité d'avoir une liste nominative et d'avoir des noms de présumés auteurs du rapt du double assassinat, afin de pouvoir procéder à l'instruction judiciaire, d'autant plus que les corps des deux otages exécutés restent introuvables. Finalement «une plainte contre X» a été jugée suffisante à la lumière de la volonté du président de la République de tirer au clair cet épisode douloureux et de tous les éléments existants entre les mains de la justice.